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Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE VIII
XIV
LES OBSÈQUES DE LA LIONNE
La femme du lion mourut ; 8
Aussitôt chacun accourut 8
Pour s'acquitter envers le prince 8
De certains compliments de consolation, 12
5 Qui sont surcroît d'affliction. 8
Il fit avertir sa province 8
Que les obsèques se feroient 8
Un tel jour, en tel lieu ; ses prévôts y seroient 12
Pour régler la cérémonie, 8
10 Et pour placer la compagnie. 8
Jugez si chacun s'y trouva. 8
Le prince aux cris s'abandonna, 8
Et tout son antre en résonna : 8
Les lions n'ont point d'autre temple. 8
15 On entendit, à son exemple, 8
Rugir en leur patois messieurs les courtisans. 12
Je définis la cour un pays où les gens, 12
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents, 12
Sont ce qu'il plaît au prince, ou, s'ils ne peuvent l'être, 12
20 Tâchent au moins de le paroîtreparaître. 8
Peuple caméléon, peuple singe du maître ; 12
On diroit qu'un esprit anime mille corps : 12
C'est bien là que les gens sont de simples ressorts. 12
Pour revenir à notre affaire, 8
25 Le cerf ne pleura point. Comment eût-il pu faire ? 12
Cette mort le vengeoit : la reine avoit jadis 12
Étranglé sa femme et son fils. 8
Bref, il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire, 12
Et soutint qu'il l'avoit vu rire. 8
30 La colère du roi, comme dit Salomon, 12
Est terrible, surtout celle du roi lion ; 12
Mais ce cerf n'avoit pas accoutumé de lire. 12
Le monarque lui dit : Chétif hôte des bois, 12
Tu ris ! tu ne suis pas ces gémissantes voix ! 12
35 Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes 12
Nos sacrés ongles ! Venez, loups, 8
Vengez la reine, immolez tous 8
Ce traître à ses augustes mânes. 8
Le cerf reprit alors : Sire, le temps des pleurs 12
40 Est passé ; la douleur est ici superflue. 12
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs, 12
Tout près d'ici m'est apparue, 8
Et je l'ai d'abord reconnue. 8
Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi, 12
45 Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes. 12
Aux champs élysiens j'ai goûté mille charmes, 12
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi. 12
Laisse agir quelque temps le désespoir du roi : 12
J'y prends plaisir. À peine on eut ouï la chose, 12
50 Qu'on se mit à crier : Miracle ! Apothéose ! 12
Le cerf eut un présent, bien loin d'être puni. 12
Amusez les rois par des songes, 8
Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges : 12
Quelque indignation dont leur cœur soit rempli, 12
55 Ils goberont l'appât ; vous serez leur ami. 12
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