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LFT_1/LFT154
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE VIII
X
L'OURS ET L'AMATEUR DES JARDINS
Certain ours montagnard, ours à demi léché, 12
Confiné par le Sort dans un bois solitaire, 12
Nouveau Bellérophon, vivoit seul et caché. 12
Il fût devenu fou : la raison d'ordinaire 12
5 N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés. 12
Il est bon de parler, et meilleur de se taire ; 12
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés. 12
Nul animal n'avoit affaire 8
Dans les lieux que l'ours habitoit ; 8
10 Si bien que, tout ours qu'il étoit, 8
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie. 12
Pendant qu'il se livroit à la mélancolie, 12
Non loin de là certain vieillard 8
S'ennuyoit aussi de sa part. 8
15 Il aimoit les jardins, étoit prêtre de Flore ; 12
Il l'étoit de Pomone encore. 8
Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrois parmi 12
Quelque doux et discret ami. 8
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre ; 12
20 De façon que, lassé de vivre 8
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin, 12
Va chercher compagnie, et se met en campagne. 12
L'ours, porté d'un même dessein, 8
Venoit de quitter sa montagne. 8
25 Tous deux, par un cas surprenant, 8
Se rencontrent en un tournant. 8
L'homme eut peur ; mais comment esquiver ? et que faire ? 12
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire 12
Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur. 12
30 L'ours, très-mauvais complimenteur 8
Lui dit : Viens-t'en me voir. L'autre reprit : Seigneur, 12
Vous voyez mon logis : si vous me vouliez faire 12
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas, 12
J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas 12
35 De nosseigneurs les ours le manger ordinaire ; 12
Mais j'offre ce que j'ai. L'ours accepte ; et d'aller. 12
Les voilà bons amis avant que d'arriver : 12
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ; 12
Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble ; 8
40 Beaucoup mieux seul qu'avec des sots, 8
Comme l'ours en un jour ne disoit pas deux mots, 12
L'homme pouvoit sans bruit vaquer à son ouvrage. 12
L'ours alloit à la chasse, apportoit du gibier ; 12
Faisoit son principal métier 8
45 D'être bon émoucheur ; écartoit du visage 12
De son ami dormant ce parasite ailé 12
Que nous avons mouche appelé. 8
Un jour que le vieillard dormoit d'un profond somme, 12
Sur le bout de son nez une allant se placer 12
50 Mit l'ours au désespoir ; il eut beau la chasser. 12
Je l'attraperai bien, dit-il ; et voici comme. 12
Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur 12
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur, 12
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche ; 12
55 Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur, 12
Roide mort étendu sur la place il le couche. 12
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; 12
Mieux vaudroit un sage ennemi. 8
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