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Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE I
XIV
SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX
On ne peut trop louer trois sortes de personnes : 12
Les dieux, sa maîtresse et son roi. 8
Malherbe le disoit : j'y souscris, quant à moi ; 12
Ce sont maximes toujours bonnes. 8
5 La louange chatouille et gagne les esprits : 12
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix. 12
Voyons comment les dieux l'ont quelquefois payée. 12
Simonide avoit entrepris 8
L'éloge d'un athlète ; et, la chose essayée, 12
10 Il trouva son sujet plein de récits tout nus. 12
Les parents de l'athlète étoient gens inconnus, 12
Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite : 12
Matière infertile et petite. 8
Le poëte d'abord parla de son héros. 12
15 Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire, 12
Il se jette à côté, se met sur le propos 12
De Castor et Pollux ; ne manque pas d'écrire 12
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux ; 12
Élève leurs combats, spécifiant les lieux 12
20 Où ces frères s'étoient signalés davantage : 12
Enfin l'éloge de ces dieux 8
Faisoit les deux tiers de l'ouvrage. 8
L'athlète avoit promis d'en payer un talent : 12
Mais, quand il le vit, le galant 8
25 N'en donna que le tiers, et dit fort franchement 12
Que Castor et Pollux acquittassent le reste. 12
Faites-vous contenter par ce couple céleste. 12
Je vous veux traiter cependant : 8
Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie. 12
30 Les conviés sont gens choisis, 8
Mes parents, mes meilleurs amis ; 8
Soyez donc de la compagnie. 8
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur 12
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange. 12
35 Il vient : l'on festine, l'on mange. 8
Chacun étant en belle humeur, 8
Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte 12
Deux hommes demandoient à le voir promptement. 12
Il sort de table ; et la cohorte 8
40 N'en perd pas un seul coup de dent. 8
Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge. 12
Tous deux lui rendent grâce ; et, pour prix de ses vers, 12
Ils l'avertissent qu'il déloge, 8
Et que cette maison va tomber à l'envers. 12
45 La prédiction en fut vraie. 8
Un pilier manque ; et le plafonds, 8
Ne trouvant plus rien qui l'étaie, 8
Tombe sur le festin, brise plats et flacons, 12
N'en fait pas moins aux échansons. 8
50 Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète 12
La vengeance due au poëte, 8
Une poutre cassa les jambes à l'athlète, 12
Et renvoya les conviés 8
Pour la plupart estropiés. 8
55 La renommée eut soin de publier l'affaire. 12
Chacun cria : Miracle ! On doubla le salaire 12
Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux. 12
Il n'étoit fils de bonne mère 8
Qui, les payant à qui mieux mieux, 8
60 Pour ses ancêtres n'en fît faire. 8
Je reviens à mon texte : et dis premièrement, 12
Qu'on ne sauroit manquer de louer largement 12
Les dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène 12
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ; 12
65 Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix. 12
Les grands se font honneur dès lors qu'ils nous font grâce : 12
Jadis l'Olympe et le Parnasse 8
Étoient frères et bons amis. 8
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