Métrique en Ligne
LFT_1/LFT131
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE VII
IV
LE HÉRON — LA FILLE
Un jour, sur ses longs pieds alloit je ne sais où 12
Le héron au long bec emmanché d'un long cou : 12
Il côtoyoit une rivière. 8
L'onde étoit transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ; 12
5 Ma commère la carpe y faisoit mille tours 12
Avec le brochet son compère. 8
Le héron en eût fait aisément son profit : 12
Tous approchoient du bord ; l'oiseau n'avoit qu'à prendre. 12
Mais il crut mieux faire d'attendre 8
10 Qu'il eût un peu plus d'appétit : 8
Il vivoit de régime, et mangeoit à ses heures. 12
Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau, 12
S'approchant du bord, vit sur l'eau 8
Des tanches qui sortoient du fond de ces demeures. 12
15 Le mets ne lui plut pas ; il s'attendoit à mieux, 12
Et montroit un goût dédaigneux 8
Comme le rat du bon Horace. 8
Moi, des tanches ! dit-il ; moi, héron, que je fasse 12
Une si pauvre chère ! Et pour qui me prend-on ? 12
20 La tanche rebutée, il trouva du goujon. 12
Du goujon ! c'est bien là le dîner d'un héron ! 12
J'ouvrirois pour si peu le bec ! aux dieux ne plaise ! 12
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon 12
Qu'il ne vit plus aucun poisson. 8
25 La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise 12
De rencontrer un limaçon. 8
Ne soyons pas si difficiles : 8
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles ; 12
On hasarde de perdre en voulant trop gagner. 12
30 Gardez-vous de rien dédaigner, 8
Surtout quand vous avez à peu près votre compte. 12
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons 12
Que je parle : écoutez, humains, un autre conte : 12
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons. 12
35 Certaine fille, un peu trop fière, 8
Prétendoit trouver un mari 8
Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière, 12
Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci. 12
Cette fille vouloit aussi 8
40 Qu'il eût du bien, de la naissance, 8
De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ! 12
Le destin se montra soigneux de la pourvoir : 12
Il vint des partis d'importance. 8
La belle les trouva trop chétifs de moitié : 12
45 Quoi ! moi ! quoi ! ces gens-là ! l'on radote, je pense. 12
À moi les proposer ! hélas ! ils font pitié : 12
Voyez un peu la belle espèce ! 8
L'un n'avoit en l'esprit nulle délicatesse ; 12
L'autre avoit le nez fait de cette façon-là : 12
50 C'étoit ceci, c'étoit cela ; 8
C'étoit tout, car les précieuses 8
Font dessus tout les dédaigneuses. 8
Après les bons partis, les médiocres gens 12
Vinrent se mettre sur les rangs. 8
55 Elle de se moquer. Ah ! vraiment je suis bonne 12
De leur ouvrir la porte ! Ils pensent que je suis 12
Fort en peine de ma personne : 8
Grâce à Dieu, je passe les nuits 8
Sans chagrin, quoique en solitude. 8
60 La belle se sut gré de tous ces sentiments. 12
L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants. 12
Un an se passe, et deux, avec inquiétude : 12
Le chagrin vient ensuite ; elle sent chaque jour 12
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour ; 12
65 Puis ses traits choquer et déplaire ; 8
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire 12
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron. 12
Les ruines d'une maison 8
Se peuvent réparer : que n'est cet avantage 12
70 Pour les ruines du visage ! 8
Sa préciosité changea lors de langage. 12
Son miroir lui disoit : Prenez vite un mari. 12
Je ne sais quel désir le lui disoit aussi : 12
Le désir peut loger chez une précieuse. 12
75 Celle-ci fit un choix qu'on n'auroit jamais cru, 12
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse 12
De rencontrer un malotru. 8
logo du CRISCO logo de l'université