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LFT_1/LFT128
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE VII
I
LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE
Un mal qui répand la terreur, 8
Mal que le Ciel en sa fureur 8
Inventa pour punir les crimes de la terre, 12
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), 12
5 Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, 12
Faisoit aux animaux la guerre. 8
Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés ; 12
On n'en voyoit point d'occupés 8
À chercher le soutien d'une mourante vie ; 12
10 Nul mets n'excitoit leur envie ; 8
Ni loups ni renards n'épioient 8
La douce et l'innocente proie ; 8
Les tourterelles se fuyoient : 8
Plus d'amour, partant plus de joie. 8
15 Le lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, 12
Je crois que le Ciel a permis 8
Pour nos péchés cette infortune. 8
Que le plus coupable de nous 8
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; 12
20 Peut-être il obtiendra la guérison commune. 12
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents 12
On fait de pareils dévouements. 8
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence 12
L'état de notre conscience. 8
25 Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, 12
J'ai dévoré force moutons. 8
Que m'avoient-ils faits ? Nulle offense ; 8
Même il m'est arrivé quelquefois de manger 12
Le berger. 3
30 Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense 12
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi ; 12
Car on doit souhaiter, selon toute justice, 12
Que le plus coupable périsse. 8
Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ; 12
35 Vos scrupules font voir trop de délicatesse. 12
Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, 12
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur, 12
En les croquant, beaucoup d'honneur ; 8
Et quant au berger, l'on peut dire 8
40 Qu'il étoit digne de tous maux, 8
Étant de ces gens-là qui sur les animaux 12
Se font un chimérique empire. 8
Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir. 12
On n'osa trop approfondir 8
45 Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances, 12
Les moins pardonnables offenses : 8
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, 12
Au dire de chacun, étoient de petits saints. 12
L'âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance 12
50 Qu'en un pré de moines passant, 8
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, 12
Quelque diable aussi me poussant, 8
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue ; 12
Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net. 12
55 À ces mots, on cria haro sur le baudet. 12
Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue 12
Qu'il falloit dévouer ce maudit animal, 12
Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal. 12
Sa peccadille fut jugée un cas pendable. 12
60 Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! 12
Rien que la mort n'étoit capable 8
D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. 12
Selon que vous serez puissant ou misérable, 12
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. 12
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