Métrique en Ligne
LFT_1/LFT109
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE VI
V
LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU
Un souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu, 12
Fut presque pris au dépourvu. 8
Voici comme il conta l'aventure à sa mère : 12
J'avois franchi les monts qui bornent cet État, 12
5 Et trottois comme un jeune rat 8
Qui cherche à se donner carrière, 8
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux ; 12
L'un doux, bénin et gracieux, 8
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ; 12
10 Il a la voix perçante et rude, 8
Sur la tête un morceau de chair, 8
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air 12
Comme pour prendre sa volée, 8
La queue en panache étalée. 8
15 Or c'étoit un cochet dont notre souriceau 12
Fit à sa mère le tableau 8
Comme d'un animal venu de l'Amérique. 12
Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras, 12
Faisant tel bruit et tel fracas, 8
20 Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, 12
En ai pris la fuite de peur, 8
Le maudissant de très-bon cœur. 8
Sans lui j'aurois fait connoissance 8
Avec cet animal qui m'a semblé si doux : 12
25 Il est velouté comme nous, 8
Marqueté, longue queue, une humble contenance, 12
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant. 12
Je le crois fort sympathisant 8
Avec messieurs les rats ; car il a des oreilles 12
30 En figure aux nôtres pareilles. 8
Je l'allois aborder, quand d'un son plein d'éclat 12
L'autre m'a fait prendre la fuite. ‒ 8
Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat, 12
Qui, sous son minois hypocrite, 8
35 Contre toute ta parenté 8
D'un malin vouloir est porté. 8
L'autre animal tout au contraire, 8
Bien éloigné de nous mal faire, 8
Servira quelque jour peut-être à nos repas. 12
40 Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. 12
Garde-toi, tant que tu vivras, 8
De juger les gens sur la mine. 8
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