Métrique en Ligne
LEG_1/LEG76
Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
IMPRESSIONS ET SOUVENIRS
EN BRETAGNE
SOIRS DE SAINT-JEAN
À Jean Madeline.
I
Terre de la nuance et des métamorphoses ! 12
Quel voile délicat s’est posé sur les choses 12
Et donne au ciel ce ton mourant des fleurs de lin ? 12
Est-ce à Saint-Qille, au Huelgoat, à Qoudelin ? 12
5 Le paysage, avec sa lande et son église, 12
Dans l’air ambré du soir se spiritualise 12
Et, vaporeux, atténué comme un pastel, 12
Semble flotter vraiment aux confins du réel. 12
Aucun souffle n’émeut cet impalpable tulle. 12
10 Et, cependant qu’à pas feutrés le crépuscule 12
Descend le chemin creux qui mène vers l’étang, 12
Le silence avec lui glisse, plane et s’étend. 12
II
Est-ce à Gurunhuel, à Botmeur, à Crozon ? 12
Du soleil qui chavire au ras de l’horizon. 12
15 Tel un brick torpillé dont la membrure éclate, 12
L’adieu s’exhale en jets de soufre et d’écarlate. 12
Puis tout s’éteint et tout s’apaise par degrés. 12
Un fin croissant de lune argenté les Arrhés 12
Et découpe en plein ciel leurs graves silhouettes, 12
20 Qui rêvent dans le soir au bord des eaux muettes. 12
Et c’est comme une attente et c’est comme un secret. 12
Les couples se sont tus sur la route : on dirait, 12
A l’obscure langueur qui soudain les pénètre. 12
Que quelque chose d’infiniment doux va naître. 12
III
25 On ne voit plus l’église, on ne voit plus la lande. 12
Est-ce à Trédrez, à Guéradur, à l’Île-Grande ? 12
Un sel subtil se mêle à l’acre odeur du foin. 12
Maintenant c’est la nuit, la molle nuit de juin, 12
Blonde comme un verger, tiède comme une alcôve. 12
30 Vers l’ouest traîne un dernier lambeau de clarté mauve… 12
Hosanna ! Car voici que sur les monts d’argent 12
Pétillent, flambent, les bûchers de la Saint-Jean. 12
Leurs feux jusqu’à Roscoff étoilent la campagne 12
Et, priant ou chantant autour d’eux, la Bretagne 12
35 Sent, en ce premier soir du solstice d’été. 12
S’épanouir la fleur de sa mysticité. 12
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