Métrique en Ligne
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Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
LE BOIS DORMANT
RONDES ET CHANSONS
LA COMPLAINTE DE L’ÂME BRETONNE
À Henry Mauger.
Sur la lande et dans les taillis, 8
Cueillez l’ajonc et la bruyère, 8
Doux compagnons à l’âme fière, 8
O jeunes gens de mon pays ! 8
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5 Quand du sein de la mer profonde, 8
Comme un alcyon dans son nid, 8
L’Âme Bretonne vint au monde 8
Dans son dur berceau de granit, 8
C’était un soir, un soir d’automne, 8
10 Sous un ciel bas, cerclé de fer, 8
Et sur la pauvre Âme Bretonne 8
Pleurait le soir, chantait la mer. 8
Fut-ce mégarde chez les fées 8
Ou qu’au baptême on ne pria, 8
15 Blanches et de rayons coiffées, 8
Urgande ni Titania ? 8
Il n’en vint, dit-on, qu’une seule, 8
Aux airs bourrus de sauvageon, 8
Qui froissait dans ses mains d’aïeule 8
20 Des fleurs de bruyère et d’ajonc. 8
Misère (ainsi s’appelait-elle) 8
Allait nu-tête et pieds déchaux ; 8
Mais ce n’est pas sous la dentelle 8
Que battent les cœurs les plus chauds 8
25 Et, se penchant sur la pauvrette. 8
Qui grelottait, blême et sans voix, 8
Vivement à sa collerette 8
Elle piqua la fleur des bois. 8
La fleur embaumait comme l’ambre, 8
30 — L’ambre, le musc ou le benjoin, — 8
Si bien qu’au mitan de novembre 8
On aurait dit le mois de juin. 8
Mais tout là-bas, sur la mer grande, 8
Le vent guettait comme un voleur, 8
35 Et Misère, de sa guirlande, 8
Détacha la seconde fleur. 8
Et depuis lors nulle menace 8
N’a prévalu contre l’enfant : 8
L’ajonc, c’est la Force tenace 8
40 Qui se bande et tient tête au vent ; 8
Et la bruyère, dont s’embaume 8
Le pur cristal des nuits d’été, 8
C’est le mystique et tiède arôme 8
De la divine Charité… 8
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45 Doux compagnons à l’àme fière. 8
Debout au seuil des temps nouveaux, 8
Dans vos pensers, dans vos travaux, 8
Mêlez l’ajonc à la bruyère. 8
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