Métrique en Ligne
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Charles LE GOFFIC
Poésies complètes
1889-1914
AMOUR BRETON
LE PREMIER SOIR
Belle nuit, ô nuit d’amour !…
(Contes d’Hoffmann).
Ce premier soir, pourquoi, pourquoi 8
M’avais-tu dit, tout abattue, 8
Qu’avant de te donner à moi 8
Un autre que moi t’avait eue ? 8
5 Et comment, comment, ce soir-là. 8
Faut-il que seul je me souvienne 8
Comment ma pitié te parla, 8
Te parla de la faute ancienne ? 8
Ne nous revois-tu pas auprès, 8
10 Assis auprès de ce vieux saule ? 8
Ne sais-tu pas que tu pleurais 8
Éperdument sur mon épaule ? 8
Moi je sais que je bus tes pleurs 8
Et, t’emportant loin de la route. 8
15 Quand je te couchai dans les fleurs, 8
Je sais que tu défaillis toute. 8
C’était en Bretagne, voici 8
Trois ans passés depuis septembre, 8
Un soir pareil à celui-ci. 8
20 Dans les genêts aux gousses d’ambre. 8
À-t-on coupé les genêts verts ? 8
Les amants suivent-ils encore 8
Le sentier qui mène au travers. 8
De Keriel à Roudarore ? 8
25 De Roudarore à Keriel, 8
Ô le bon sentier frais et sombre ! 8
L’air était doux comme le miel ; 8
Des sources bruissaient dans l’ombre. 8
Moi je n’évoque qu’en tremblant 8
30 Ce coin de la terre bretonne 8
Et ce beau soir, languide et blanc, 8
Où mourait le soleil d’automne. 8
Ah ! ce soir, ce soir adoré, 8
Ce soir qu’emplissaient nos deux âmes, 8
35 Ah ! pauvres enfants, c’est donc vrai, 8
C’est vrai que nous nous abusâmes ! 8
Tous ceux que j’aimais sont partis. 8
Je ne sais pas si j’en suis cause ; 8
Mais sur mes yeux appesantis 8
40 Je sens qu’un nouveau deuil se pose. 8
J’ai peur… Rassure-moi… Ce bruit, 8
Ces pas furtifs près de la porte… 8
Quelqu’un s’est levé dans la nuit. 8
Si ce n’est pas toi, que m’importe ? 8
45 Et qui donc serait-ce, ô mon cœur ? 8
Pour qui me tiendrais-je aux écoutes ? 8
Quel autre éveillerait le chœur 8
De mes soupçons et de mes doutes ? 8
Toi qui fuis à pas inquiets, 8
50 Je t’avais pardonné ta faute. 8
Pourquoi t’en vas-tu ? Je croyais 8
Qu’on devait vivre côte à côte. 8
Ô nuits, ô douces nuits d’antan, 8
Où sont nos haltes et nos courses, 8
55 Le vieux saule près de l’étang 8
Et les genêts au bord des sources ? 8
C’est ici la chanson d’amour 8
Qu’on chante au coin des cheminées, 8
L’hiver, sur le déclin du jour. 8
60 Dans les maisons abandonnées… 8
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