Métrique en Ligne
LEC_3/LEC192
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES ANTIQUES
1852
Souvenir
Le ciel, aux lueurs apaisées, 8
Rougissait le feuillage épais, 8
Et d'un soir de mai, doux et frais, 8
On sentait perler les rosées. 8
5 Tout le jour, le long des sentiers, 8
Vous aviez, aux mousses discrètes, 8
Cueilli les pâles violettes 8
Et défleuri les églantiers. 8
Vous aviez fui, vive et charmée, 8
10 Par les taillis, en plein soleil ; 8
Un flot de sang jeune et vermeil 8
Pourprait votre joue animée. 8
L'écho d'argent de votre voix 8
Avait sonné sous les yeuses, 8
15 D'où les fauvettes envieuses 8
Répondaient toutes à la fois. 8
Et rien n'était plus doux au monde 8
Que de voir, sous les bois profonds, 8
Vos yeux si beaux, sous leurs cils longs, 8
20 Étinceler, bleus comme l'onde ! 8
Ô jeunesse, innocence, azur ! 8
Aube adorable qui se lève ! 8
Vous étiez comme un premier rêve 8
Qui fleurit au fond d'un cœur pur ! 8
25 Le souffle des tièdes nuées, 8
Voyant les roses se fermer, 8
Effleurait, pour s'y parfumer, 8
Vos blondes tresses dénouées. 8
Et déjà vous reconnaissant 8
30 À votre grâce fraternelle, 8
L'étoile du soir, blanche et belle, 8
S'éveillait à l'est pâlissant. 8
C'est alors que, lasse, indécise, 8
Rose, et le sein tout palpitant, 8
35 Vous vous blottîtes un instant 8
Dans le creux d'un vieux chêne assise. 8
Un rayon, par l'arbre adouci, 8
Teignait de nuances divines 8
Votre cou blanc, vos boucles fines. 8
40 Que vous étiez charmante ainsi ! 8
Autour de vous les rameaux frêles, 8
En vertes corbeilles tressés, 8
Enfermaient vos bras enlacés, 8
Comme un oiseau fermant ses ailes ; 8
45 Ou comme la dryade enfant, 8
Qui dort, s'ignorant elle-même, 8
Et va rêver d'un dieu qui l'aime 8
Sous l'écorce qui la défend ! 8
Nous vous regardions en silence. 8
50 Vos yeux étaient clos ; dormiez-vous ? 8
Dans quel monde joyeux et doux 8
L'emportais-tu, jeune espérance ? 8
Lui disais-tu qu'il est un jour 8
Où, loin de la terre natale, 8
55 La vierge, d'une aile idéale, 8
S'envole au ciel bleu de l'amour ? 8
Qui sait ? L'oiseau sous la feuillée 8
Hésite et n'a point pris l'essor, 8
Et la dryade rêve encor… 8
60 Un dieu ne l'a point éveillée ! 8
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