Métrique en Ligne
LEC_1/LEC85
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Les Paraboles de dom Guy
En l'An mil quatre cent onzième de l'Hostie 12
Éternelle, de qui la lumière est sortie, 12
Du Roi Christ, mort, cloué par les pieds et les mains, 12
Sigismund de Hongrie étant chef des Romains, 12
5 Manoel, d'Orient, Charles, que Dieu soutienne, 12
Des trois fleurs de lys d'or de la Gaule chrétienne, 12
Et Balthazar Cossa, pirate sur la mer, 12
Étant diacre du Diable et légat de l'Enfer, 12
Moi, Guy, prieur claustral en la bonne abbaye 12
10 De Clairvaux, où la règle étroite est obéie, 12
J'inscris, Dieu le voulant, ceci, pour être su 12
Du siècle très pervers, dans le péché conçu. 12
Clairs flambeaux, qu'en chemin l'œil de l'âme regarde, 12
Saints Martyrs, prenez-moi d'en haut sous votre garde ; 12
15 De la Béatitude auguste où je vous vois, 12
Mettez votre candeur héroïque en ma voix ; 12
De l'éblouissement de vos joyeux domaines 12
Penchez-vous au plus noir des ténèbres humaines, 12
Voyageurs du beau ciel, Anges et Séraphins, 12
20 Qui nagez richement dans vos gloires d'ors fins, 12
Et faites sur ma langue, au vent frais de vos ailes, 12
Pétiller et flamber le feu des meilleurs zèles. 12
Puis, veuille m'assister le divin Paraclet 12
Par qui l'humble ignorant mieux qu'un docte parlait ! 12
25 O mon Seigneur Jésus et Madame la Vierge, 12
Plus d'huile dans la lampe et plus de mèche au cierge ! 12
La moisissure mord le vélin du missel, 12
Et tout soleil mûrit le mal universel, 12
Depuis que, divisant la Chaire principale, 12
30 Trois cornes ont poussé sur la mitre papale : 12
Trois rameaux fort malsains, de malice nourris, 12
Florissants au dehors, mais au dedans pourris ; 12
De sorte que, voyant, par le temps et l'espace, 12
Sous cette ombre, la fleur de la foi qui trépasse, 12
35 La charité décroître et l'espoir s'engloutir, 12
Le rocher du salut, Pierre, prince et martyr, 12
Pleure. La route est vide où s'en venaient les âmes ; 12
Toutes cuisent, sitôt la mort, aux grandes flammes ; 12
Et le Portier divin, tant harcelé jadis, 12
40 Laisse pendre les clefs aux gonds du Paradis ! 12
Certes, sa peine est forte, et rude est sa navrure, 12
De n'ouïr plus chanter la céleste Serrure, 12
Ce, pendant qu'Astaroth et Mammon, très contents, 12
Ouvrent la flamboyante issue à deux battants, 12
45 Et que, la crosse au poing, dans les Obédiences, 12
Le Prince des damnés donne ses audiences ! 12
Or, Caïphe et Pilate ont tant rivé tes clous, 12
Jésus ! que tes agneaux sont mangés par les loups. 12
L'Église est moribonde en son chef et ses membres ; 12
50 Les mou tiers sont, du Feu sans fin, les antichambres ; 12
Les rois sont fort mauvais, les gens d'armes pillards, 12
Sans pitié des enfants, sans respect des vieillards, 12
Luxurieux, mettant à mal toutes les femmes, 12
Et dans les vases saints buvant les vins infâmes ! 12
55 Puisque aussi bien, Jésus, ta terrestre maison 12
Est un lieu de blasphème et non plus d'oraison, 12
Puisqu'en cet âge sombre et tenace où nous sommes, 12
Ton ineffable sang est perdu pour les hommes, 12
O mon Seigneur, m'ayant de ta grâce pourvu, 12
60 Tu m'as dit : Vois ! et dis ce que tes yeux ont vu. 12
I
L'Esprit a délié mon entrave charnelle : 12
J'ai franchi les hauteurs du monde sur son aile ; 12
Par les noirs tourbillons de l'ombre j'ai gravi 12
Les trois sphères du ciel où saint Paul fut ravi ; 12
65 Et, de là, regardant, au travers des nuées, 12
Les cimes de la terre en bas diminuées, 12
J'ai vu, par l'œil perçant de cette vision, 12
L'empire d'Augustus et l'antique Sion ; 12
Et, dans l'immense nuit de ces temps, nuit épaisse 12
70 Où s'ensevelissait toute l'humaine espèce 12
Comme un agonisant qui hurle en son linceul, 12
J'ai vu luire un rayon éblouissant, un seul ! 12
Et c'était, entre l'âne et le bœuf à leur crèche, 12
Un Enfant nouveau-né sur de la paille fraîche : 12
75 Chair neuve, âme sans tâche, et, dans leur pureté, 12
Étant comme un arôme et comme une clarté ! 12
Le Père à barbe grise et la Mère joyeuse 12
Saluaient dans leur cœur cette aube radieuse, 12
Ce matin d'innocence après la vieille nuit, 12
80 Apaisant ce qui gronde et charmant ce qui nuit ; 12
Cette lumière à peine éclose et d'où ruisselle 12
L'impérissable Vie avec chaque étincelle ! 12
Et les Bergers tendaient la tête pour mieux voir ; 12
Et j'ai soudainement ouï par le ciel noir, 12
85 Tandis que les rumeurs d'en bas semblaient se taire, 12
Une voix dont le son s'épandit sur la terre, 12
Mais douce et calme, et qui disait : Emmanoël ! 12
Et l'espace et le temps chantaient : Noël ! Noël ! 12
Puis, comme les trois Rois survenus de Palmyre 12
90 Offraient au bel Enfant l'encens, l'or et la myrrhe, 12
J'ai vu, toute ma chair étant blême d'effroi, 12
Plus sombre que la nuit et plus haut qu'un beffroi, 12
Un Esprit, un Démon formidable apparaître 12
En face du petit Jésus venant de naître ; 12
95 Et ses yeux reluisaient fixement dans son chef. 12
Les Bergers, ni les Rois, ni le bon saint Joseph, 12
Ni Madame Marie en son amour bercée, 12
Ne voyaient cette forme au milieu d'eux dressée. 12
Cet Esprit était beau comme un grand mont chenu ; 12
100 Une foudre grondait autour de son front nu ; 12
Il était impassible et dur, et sur sa bouche 12
Siégeaient l'amer mépris et le vouloir farouche. 12
Il secoua sa tête où crépita le feu, 12
Et parla comme suit, sans vergogne, à son Dieu : 12
105 — Les siècles ont tenu les vieilles prophéties. 12
Donc, te voici vivant entre tous les Messies, 12
Toi qui mettras Juda sur Ninive et Sidon ! 12
C'est pitié de te voir en si piètre abandon : 12
Ton trône est de fumier, ton palais est de chaume, 12
110 Et le roi, certe, est trop chétif pour le royaume ! 12
Écoute ! j'ai nom Force, et j'ai nom Volonté ; 12
Ma main tient le licou de l'univers dompté ; 12
Je suis très grand, très fier, et plein d'intelligence, 12
Et tout est devant moi comme une vile engeance. 12
115 Or, je te plains, étant plus grêle qu'un roseau, 12
Sans défense et tout nu comme un petit oiseau ; 12
Et je pourrais, du pied t'écrasant, forme vaine, 12
Épuiser brusquement tout le sang de ta veine. 12
Adore-moi, fétu de paille ! et tu seras 12
120 Comme un cèdre immobile avec de larges bras, 12
Dans leur germe étouffant les arbres et les plantes 12
Et versant l'ombre immense aux nations tremblantes. — 12
Et le petit enfant Emmanoël lui dit : 12
— Tu ne tenteras point le Seigneur Dieu, Maudit ! 12
125 Ta puissance est fumée, et ta force est mensonge ; 12
Et j'ai mieux : les trois Clous et la Lance et l'Éponge ! — 12
Le Spectre ceint de flamme, en entendant cela, 12
Comme une haute tour dans l'ombre s'écroula. 12
Je vous le dis, Benoît, Grégoire et Jean, vicaires 12
130 De l'Antéchrist, gardiens des damnés reliquaires, 12
Mulets mitrés, crossés, malheur à vous, malheur, 12
Qui navrez le bercail très chrétien de douleur, 12
Triple déchirement de la Foi, triple plaie 12
Dont le troupeau dolent des saints Anges s'effraie ! 12
135 Triple spectre d'Orgueil, gare aux gouffres ardents 12
Où sont les pleurs avec les grincements de dents ! 12
II
En Esprit, j'ai plané du haut des cieux sans bornes, 12
Oyant les nations en tumultes ou mornes, 12
Bruit lugubre parfois et tantôt irrité, 12
140 Mais qui, des profondeurs de cette obscurité, 12
Avait, plainte sinistre ou clameur meurtrière, 12
Un vrai son de blasphème et jamais de prière. 12
Et voici que j'ai vu la Ville où fut occis 12
Le tyran Julius en son orgueil assis, 12
145 La grand' Rome, hormis l'antique populace 12
Des idoles, dont Christ en croix tenait la place. 12
J'ai vu, blême, en haillons, par la pluie et le vent, 12
Tout un peuple affamé, maigre, à peine vivant, 12
D'où sortait un sanglot désespéré, sauvage, 12
150 Comme en pousse la mer qui se rue au rivage ; 12
Et ce peuple assiégeait l'abord silencieux 12
D'un palais hérissé d'un triple rang de pieux, 12
De grilles et de crocs aigus et de murailles 12
Massives, qu'enlaçait un réseau de ferrailles. 12
155 Or, la foule, parfois se taisant, écoutait 12
Comme un sourd cliquetis qui de l'antre sortait. 12
Sous le dôme, à travers la voûte colossale, 12
J'ai vu, chose effroyable ! au centre d'une salle 12
Éclatante, où brûlaient sept lampes au plafond, 12
160 Sur le pavé de marbre accroupi, comme font 12
Les bêtes, râlant d'aise, un fils d'Adam, un homme, 12
Ou, quel que soit le nom dont Belzébuth le nomme, 12
Un être abominable et rapace, acharné, 12
Ivre de sa débauche, et l'œil illuminé, 12
165 Avec rage plongeant ses longues mains flétries 12
En des monceaux d'argent, d'or et de pierreries, 12
Qui sonnaient et luisaient, pleins de flamboyements, 12
En tombant de sa bouche et de ses vêtements. 12
Cet argent était chaud de vos larmes amères, 12
170 Pauvres enfants tout nus et lamentables mères ! 12
Il se nommait Traîtrise et Spoliation ; 12
Et c'était, nuit et jour, une exécration 12
Qui montait au Vengeur des faits illégitimes ! 12
Cet or fumait du sang d'innombrables victimes : 12
175 Il se nommait Larcin à la pointe du fer, 12
Meurtre qui va battant l'écume de la mer, 12
Et Guet-apens du Diable à l'Équité suprême ! 12
Mais, — ô fange mêlée à l'huile du saint chrême ! — 12
Ces anneaux, ces colliers, ces nœuds de diamants 12
180 Avaient nom Simonie infâme et Faux serments ; 12
Et c'était pis que pleurs et sang des misérables, 12
Car c'était le trafic des deux Clefs adorables, 12
O Seigneur Christ, qui bus l'hysope avec le fiel ! 12
C'était ta chair divine à l'encan, et ton ciel, 12
185 Jésus ! Et, tout autour de ce palais immonde, 12
Ceux qui souffraient étaient les chrétiens de ce monde : 12
C'était le troupeau maigre et sept fois l'an tondu 12
Dont le Berger rapace au Maître a répondu, 12
Et que lui-même, hélas ! étant un loup féroce, 12
190 Sans relâche exténue, assomme avec la crosse, 12
Étrangle avec l'étole, et suspend au plancher, 12
Le ventre tout béant, comme fait un boucher ! 12
Et l'immense troupeau, par la nuit lamentable, 12
En attendant, Jésus, bêlait vers ton étable ! 12
195 Et voici que j'ai vu, s'allongeant hors du mur, 12
Comme une main qui va détacher un fruit mûr, 12
Une griffe, rougie à l'infernale forge, 12
Saisir le Grippe-sou monstrueux à la gorge 12
Et l'emporter, grouillant, sifflant, serrant encor 12
200 D'un poing crispé du feu qu'il prenait pour de l'or, 12
Afin d'être à son tour dépecé, mis en vente 12
Sur l'Étal éternel d'horreur et d'épouvante, 12
Débité membre à membre, et quartier par quartier, 12
Et toujours aussi vif que s'il était entier ! 12
205 A toi qui tiens le Siège avec la Pentapole, 12
Vêtu du pallium, et la chappe à l'épaule, 12
Bandit de terre et d'eau, que le Diable a sacré 12
Pour être au grand soleil un blasphème mitré ! 12
Puisqu'il faut pour ta soif que l'Océan tarisse, 12
210 Je dis que l'Océan est à sec, Avarice ! 12
Et qu'au milieu de l'or sanglant qu'il entassa, 12
La Griffe est sur le cou de Balthazar Cossa ! 12
III
L'Esprit m'a dit : Regarde ! — Un vol d'oiseaux funèbres, 12
Silencieux, battait le flot lourd des ténèbres : 12
215 Chauves-souris, hiboux, guivres, dragons volants, 12
Ayant la face humaine avec les yeux dolents, 12
Tels que Virgilius le disait des Harpies. 12
Ils tournoyaient du fond des villes assoupies, 12
Sortant par noirs essaims, démons lâches et laids, 12
220 De la sainte abbaye autant que du palais. 12
Ils avaient nom la Peur, la Honte et la Sottise, 12
Appétits empêchés que l'impuissance attise, 12
Ambition inepte et blême Vanité, 12
Attrait de faire mal avec impunité, 12
225 Rancune inexorable et Parole mentie, 12
Poison dans l'eau bénite et poison dans l'hostie, 12
Haine sans but, Fureurs sans brides et sans mors, 12
Bave sur les vivants et bave sur les morts ! 12
Et voici que j'ai vu, par les ombres nocturnes, 12
230 S'amasser en un bloc les Oiseaux taciturnes, 12
Se fondre étroitement comme s'ils n'étaient qu'un : 12
Bête hideuse ayant la laideur de chacun, 12
Araignée avec dents et griffes, toute verte 12
Comme un Dragon du Nil, et d'écume couverte, 12
235 Écume de fureur muette et du plaisir 12
De souiller pour autrui ce qu'on ne peut saisir. 12
Sa bouche en était pleine, et pleine sa paupière ; 12
Et ce venin mordait l'or et creusait la pierre, 12
Et, quand il atteignait l'homme juste et puissant, 12
240 Il n'en restait qu'un peu de fange avec du sang. 12
Donc, remuant la nuit de ses ailes sans nombre, 12
Cette Bête rôdait lugubrement dans l'ombre. 12
Or, j'ai vu, du couchant, venir le Foudroyé 12
Qui devant le Seigneur son Dieu n'a point ployé, 12
245 L'Archange porte-flamme où s'allumaient les astres, 12
Dont les cieux autrefois ont pleuré les désastres, 12
Et qui, vil et méchant, lâche, impur et menteur, 12
De la race maudite horrible tourmenteur 12
Dont la poix et le soufre enseignent les approches, 12
250 Règne piteusement sur les pals et les broches. 12
Il venait d'Aragon, de Rome et d'Avignon, 12
Le noir Sire, ayant pris Judas pour compagnon, 12
Et, tenant par la peau du ventre Ischariote, 12
S'en retournait avec ce vieux compatriote. 12
255 Et la Bête au-devant du Maître s'envola. 12
Et j'ai vu l'Orient s'entr'ouvrir, et voilà 12
Que trois Formes d'azur, de lumière et de grâce, 12
Laissant trois fleuves d'or ruisseler sur leur trace, 12
Montaient d'un même trait dans le ciel réjoui, 12
260 Sans voir le monstre terne et Satan ébloui ; 12
Et j'ai vu que c'étaient, en pure gloire égales, 12
Les trois Roses, les trois Vertus théologales. 12
La Bête dit, sifflant de rage : — Par malheur, 12
Si haut, je ne les puis atteindre ! Arrache-leur 12
265 Une aile, Maître, et prends les miennes en échange. 12
— Aucune, dit Satan, n'en a, n'étant point Ange, 12
Mais impalpable idée et divin sentiment. 12
— Leurs yeux ! arrache-les. Un œil, un seulement ! 12
Et tu crèveras, Maître, après, mes deux prunelles. 12
270 — Nulle, dit Satan, n'a de visions charnelles. 12
Point d'ailes et point d'yeux : ce sont pures clartés. 12
Va ! Laisse-les monter par les immensités 12
De lumière où leur Dieu se rit de ma défaite 12
Et de la destinée horrible qu'il m'a faite. 12
275 Aussi bien, qui pourrait les suivre au fond du ciel ? 12
Mais le monde est à nous ; noyons-le dans le fiel : 12
C'est un gouffre plus sûr que l'antique Déluge ; 12
Et que l'homme n'ait plus que l'Enfer pour refuge ! 12
Va ! Jean est chair du Diable, et Grégoire est mauvais, 12
280 Et Benoît fort têtu. Donc, rejoins-les. — J'y vais, 12
Dit la Chauve-souris énorme, j'y vais, Maître. — 12
Et je l'ai vue au fond de la nuit disparaître. 12
Or l'Envie est en vous, Pierre, Ange et Balthazar ! 12
Cramponnés aux haillons de pourpre où fut César, 12
285 Chacun rit d'être nu, s'il a dépouillé l'autre ; 12
Et sur les trois morceaux du siège de l'Apôtre, 12
Près de rôtir, avec un goupil infecté, 12
Intrus, vous aspergez le monde et la cité ! 12
IV
L'Esprit, par ses chemins, m'a mené d'une haleine 12
290 Sur une masse noire et bourdonnante, pleine 12
De vapeurs, où dormait un fleuve entre des joncs, 12
D'aiguilles hérissée et de tours, de donjons, 12
D'enclos tout crénelés comme des citadelles, 12
Et de vols carnassiers faisant un grand bruit d'ailes 12
295 Autour de hauts gibets où flottaient, morfondus, 12
Sous la pluie et le vent des amas de pendus. 12
Et j'ai vu que c'était Paris, la bonne Ville : 12
Masures et palais, princes et plèbe vile, 12
Et non loin, le coteau des trois martyrs bénis, 12
300 Éleuthère, Rustique et Monsieur saint Denys. 12
Et j'ai vu la maison des Lys, muette et haute, 12
Géhenne dont le roi Charles sixième est l'hôte ; 12
Et les murs en montaient dans la brume, tout droits, 12
Mornes, si ce n'était que, par rares endroits, 12
305 Une rouge lueur, du fond des embrasures, 12
Sortait, comme du sang qui jaillit des blessures. 12
Et l'une des clartés de ce royal tombeau 12
Était la lampe d'or de Madame Isabeau. 12
Certe, au pays d'Égypte, où brandit l'oriflamme 12
310 Loys, le chevalier dont le Seigneur a l'âme, 11
Jadis régna, du temps des mille dieux païens, 12
Sur Thèbes et Memphis et les Éthiopiens, 12
Cléopâtre avec qui le Démon fit ses œuvres, 12
Et qui portait, dit-on, un collier de couleuvres. 12
315 C'était une damnée effroyable, en effet. 12
N'ayant peur de l'enfer ni honte, elle avait fait 12
De son lit une auberge où s'en venait la terre 12
Se soûler à pleins brocs du vin de l'adultère. 12
Rois d'Asie et consuls de Rome, jours et nuits, 12
320 Y coudoyaient, tout pleins d'imbéciles ennuis, 12
L'esclave et l'homme noir à la face abêtie 12
Que, dès l'aube, la mort happait à la sortie. 12
Mais tous étaient frappés du même aveuglement, 12
Cette larve et le peuple antique son amant ; 12
325 Tous péchaient et mouraient sous la loi d'anathème, 12
Ignorant la Parole et les fonts du baptême ; 12
Car ton soleil, Jésus, ne s'était point levé 12
Sur la femme, chair vile, et sur l'homme énervé. 12
Or j'ai vu, comme aux temps de cette Égyptienne, 12
330 Seigneur Christ ! en Paris, la Ville très chrétienne, 12
L'oratoire royal étant un mauvais lieu, 12
La débauche s'ébattre à la face de Dieu ; 12
Et, l'Époux étant fol, l'Épouse déchaînée 12
Meurtrir la bonne France aux quatre bouts saignée, 12
335 La vendre par quartiers à l'inceste éhonté, 12
Au parjure damnable, au meurtre ensanglanté, 12
Aux limiers d'Armagnac, aux bouchers de Bourgogne ; 12
Pourvu que, secouant sa dernière vergogne, 12
La Ribaude, en horreur même aux plus avilis, 12
340 Prostituât sa chair sur la couche des Lys ! 12
Et voici que j'ai vu, dans la vapeur malsaine 12
Épandue aux deux bords marécageux de Seine, 12
Force maisons de Dieu, silencieusement, 12
Monter comme des bras au sombre firmament ; 12
345 Et j'ai vu, tout navrés durant ces infamies, 12
Au fond des saintes nefs à cette heure endormies, 12
Les Anges qui pleuraient du haut des pendentifs ; 12
Et leurs lèvres de pierre avaient des sons plaintifs ; 12
Et saint Michel-Archange, en sa cotte de mailles, 12
350 Foulait plus rudement le Diable ceint d'écailles ; 12
Et Madame la Vierge, un pied sur le croissant, 12
Dans sa robe d'azur étoilé, gémissant, 12
Suppliante, tournait sa face maternelle 12
Vers le Supplicié de la Croix éternelle ! 12
355 Ah ! Madame Isabeau, tristes étaient les cieux ! 12
Mais j'ai vu clairement s'en venir, fort joyeux, 12
Par milliers, les démons hurler à votre porte, 12
Demandant si votre âme est à point qu'on l'emporte. 12
Et voici qu'au milieu du sabbat rugissant, 12
360 J'ai vu, prise aux cheveux, livide, l'œil en sang, 12
Louve qui, de ses dents, retroussait sa babine, 12
De l'intrus Jean vingt-trois la vieille concubine 12
Qui, devant Balthazar et Madame Isabeau, 12
Frayait le grand chemin du flamboyant tombeau 12
V
365 L'Esprit, en cette nuit impassible et sans trêve, 12
A soufflé dans mes yeux la forme de mon rêve ; 12
Et j'ai vu, de mon ombre, émerger au levant 12
Le soleil, nef de feu que flagellait le vent, 12
Qui voguait, haut et rude, et, crevant les nuées, 12
370 Rejetait en plein ciel leurs masses refluées. 12
Les monts resplendissaient comme de grands falots 12
Allumés par d'épais brouillards ; et, sur les flots 12
De la mer, une rouge et furieuse écume 12
Sautait avec le bruit de l'eau qui bout et fume ; 12
375 Et les plaines, où sont les villes, les hameaux, 12
Fleuves et lacs, et l'homme et tous les animaux, 12
Avec la multitude innombrable des plantes, 12
S'épandaient sous mes yeux, humides et sanglantes ; 12
Et j'ai cru voir le jour, dès longtemps résolu, 12
380 Où viendra de l'abîme un astre chevelu, 12
Horrible, qui fera de la terre une braise, 12
Et puis un peu de cendre au fond de la fournaise ! 12
Seigneur ! ce n'était pas la suprême clarté 12
Qui doit flamber au seuil de notre éternité ; 12
385 Ce n'était pas le jour des tardives détresses, 12
Ni le clairon d'appel aux âmes pécheresses, 12
Ni Josaphat ployant sous la foule des morts, 12
Effroyable moisson d'inutiles remords ; 12
C'était, grâce à Satan qui l'allume et l'amène, 12
390 L'ordinaire soleil dont luit la race humaine ! 12
Or, voici que j'ai vu le monde, comme un pré 12
Immense, qui grouillait sous ce soleil pourpré, 12
Plein d'hommes portant heaume et cotte d'acier, lance, 12
Masse d'armes et glaive, engins de violence 12
395 Avec loques d'orgueil, bannières et pennons 12
Où le Diable inscrivait leur lignée et leurs noms. 12
Et c'était un amas de nations diverses : 12
Sarrasins de Syrie, Arméniens et Perses, 12
Et ceux d'Égypte et ceux de Tartarie avec 12
400 Le More grenadin, le Sarmate et le Grec. 12
Et ces troupes de pied et ces cavaleries, 12
Hurlant, les yeux hagards, haletantes, meurtries, 12
Se ruant pêle-mêle en tourbillons, rendant 12
L'écume de la rage à chaque coup de dent, 12
405 Sur la terre, Jésus, que ta croix illumine, 12
S'entre-mangeaient, ainsi qu'en un temps de famine. 12
Et les plus furieux, Seigneur, quels étaient-ils ? 12
Était-ce donc la horde aveugle des Gentils, 12
Ou ceux qui, pour nier à l'aise ta lumière, 12
410 Du fil de la malice ont cousu leur paupière ? 12
Non ! les plus égorgeurs, hélas ! c'étaient tes fils, 12
Les rois, oints du saint chrême aux pieds du Crucifix, 12
Les peuples baptisés de ton sang adorable, 12
Tels que des chiens hurlant sur un os misérable, 12
415 Qui faisaient de la terre et de la Chrétienté 12
Un heu de boucherie et de rapacité ! 12
Et les trois Échappés de leur triple conclave 12
Soufflaient cet incendie et chauffaient cette lave ! 12
Ah ! s'il faut que toujours le terrestre troupeau 12
420 Donne une issue à l'âme au travers de la peau, 12
Et que le sang toujours, par les monts et les plaines, 12
Emplissant le ciel bleu de ses âcres haleines, 12
Fume dans l'holocauste éternel d'ici-bas, 12
Rends-nous la Foi vivante et les sacrés combats, 12
425 Ton amour, ô Jésus, avec ton espérance, 12
Comme aux jours des Philippe et des Loys de France, 11
Alors qu'un monde entier, plein de joie et priant, 12
Ta pure image au cœur fluait vers l'Orient ! 12
Où les âmes, du corps périssable échappées, 12
430 Et ceintes de l'éclair sans tache des épées, 12
Montaient, laissant les fronts tranquilles et hardis, 12
Par leur chemin sanglant, au divin Paradis ! 12
Car en ce temps, Jésus ! la mort, c'était la vie, 12
La gloire bienheureuse où ta grâce convie 12
435 Les héros trépassés autant que les martyrs, 12
Et toutes les vertus et tous les repentirs. 12
Mais en ce pré, champ clos immense de la haine, 12
La Colère broyait les morts pour la Géhenne, 12
Et, triomphant dans sa hideuse déraison, 12
440 D'un râle de damnés emplissait l'horizon 12
VI
L'Esprit m'a descendu sur les grasses vallées 12
Tourangelles, durant les heures étoilées 12
Où l'alouette dort dans les blés, où les bœufs 12
Ruminent en songeant aux pacages herbeux, 12
445 Où le Jacque, épuisé de son labeur, oublie 12
Sa grand'misère avec la chaîne qui le lie. 12
Et j'ai vu que la nuit était muette autour 12
Du chaume pitoyable et de la noble tour, 12
Hormis le noir moutier, qui, de la Loire claire, 12
450 Dressait hautainement sa masse séculaire, 12
Et d'où sortaient des voix et de larges clartés 12
Comme aux saintes Noëls dans les solennités. 12
Or, ce n'était, selon les règles accomplies, 12
Ni matines, Jésus ! ni laudes, ni complies, 12
455 Ni les neuf psaumes, ni les pieuses leçons ; 12
A vrai dire, c'étaient d'effroyables chansons, 12
Et, par entier mépris du divin monitoire, 12
Les torches de l'orgie autour du réfectoire ! 12
Et voici que j'ai vu, par ces rouges éclats, 12
460 La table, aux ais massifs, qui ployait sous les plats, 12
Les cruches, les hanaps, les brocs, les écuelles ; 12
Et, jetant leurs odeurs brutes et sensuelles, 12
Les viandes qui fumaient : chair de porc à foison, 12
Chair de bœuf, jars et paons rôtis, et venaison ; 12
465 Chair d'agneau, moutons gras qui grésillaient encore, 12
Et bons coqs que leur crête écarlate décore. 12
Et les vapeurs montaient, épaisses, au plafond. 12
Le sire Abbé trônait sur son banc-d'œuvre, au fond ; 12
Et, tout le long de cette énorme goinfrerie, 12
470 Cent moines très joyeux, à la trogne fleurie, 12
Entonnant les bons jus de Touraine, plongeant 12
Les dix doigts dans la viande écharpée, aspergeant 12
De sauces et de vin leurs faces et leurs ventres, 12
Semblaient au tant de loups sanglants au fond des antres. 12
475 Derrière ces goulus, non moins empressés qu'eux, 12
Convers et marmitons, avec les maîtres queux, 12
Les caves ou cuisaient les choses étant proches, 12
Comblaient les plats vidés, dégarnissaient les broches, 12
Allant, venant, courant, suant, vrai tourbillon 12
480 De diables tout mouillés des eaux du goupillon. 12
Quelque moine alourdi tombait par intervalle 12
A la renverse, avec la cruche qu'il avale, 12
Et les autres riaient de ses gémissements, 12
Et l'ensevelissaient sous les reliefs fumants. 12
485 Mais j'ai vu que le sire Abbé, droit sur son siège, 12
Bouche close, au milieu du fracas qui l'assiège, 12
Sous son capuchon noir, ainsi qu'un étranger, 12
Oyait et regardait, sans boire ni manger. 12
Or, prenant en souci ce jeûne et ce silence, 12
490 J'ai vu ses yeux, aigus comme des fers de lance, 12
Qui tantôt reluisaient à travers ses cils roux, 12
Et s'emplissaient tantôt d'ombre comme deux trous. 12
De sorte que, la bande étant à bout de forces, 12
Les uns, tels que des troncs qui crèvent leurs écorces, 12
495 Faisant craquer la peau trop pleine de leurs flancs ; 12
Les autres, à demi noyés, les bras ballants, 12
La tête sur la table, et la langue tirée, 12
Pareils à des pourceaux repus de leur curée ; 12
J'ai vu le sire Abbé se lever lentement 12
500 Au bout du réfectoire infect et tout fumant ; 12
Et sa tête toucha les poutres enflammées ; 12
Et j'ai vu les deux mains d'ongles crochus armées, 12
La face où le regard divin a flamboyé, 12
Et j'ai vu que c'était Satan, le Foudroyé ! 12
505 Un silencieux rire ouvrit ses blêmes lèvres 12
Que dessèche la soif des ineffables fièvres. 12
De son œil rouge et creux comme un gouffre, soudain 12
Jaillit un morne éclair de joie et de dédain ; 12
Il dit : — Holà ! c'est l'heure ! — Et voici qu'à cet ordre, 12
510 Tandis que les repus commençaient de se tordre 12
Et de geindre, voilà que, par milliers surgis, 12
Marmitons, queux, servants, avec des pals rougis, 12
Des fourches, des tridents et des pieux et des piques, 12
A la file embrochaient les moines hydropiques, 12
515 Et jetaient, toute chaude et vive, dans l'enfer, 12
La Goinfrerie, ayant pour abbé Lucifer ! 12
VII
L'Esprit m'a flagellé rudement en arrière 12
Des temps, et j'ai revu, sous Rome la guerrière, 12
Et le tétrarque Hérode et le vieux sanhédrin, 12
520 La cité de David liée au joug d'airain, 12
Josaphat, le Cédron et les saintes piscines, 12
Et le bois d'oliviers aux antiques racines. 12
Et voici que j'ai vu, par le soleil levant, 12
Le Temple où résidait l'arche du Dieu vivant. 12
525 Une foule, semblable à des essaims d'abeilles, 12
Entrait, sortait. Ceux-ci ployés sous des corbeilles 12
De légumes, de fruits ou de chairs en quartiers ; 12
Ceux-là traînant des bœufs. Gens de mille métiers, 12
Vendeurs de lin d'Égypte et vendeurs de ramées, 12
530 Vendeurs de graisse brute ou d'huiles parfumées, 12
D'étoffes et de vins de la Perse, et d'amas 12
De glaives et de dards fabriqués à Damas, 12
De piques, de cuissards, de casques et de dagues ; 12
Orfèvres, débitant les colliers et les bagues ; 12
535 Changeurs d'or et d'argent bien munis de faux poids, 12
Marchands de sel, marchands de résine et de poix ; 12
Marchands de grains, donnant la mauvaise mesure, 12
Et force grippe-sous prêtant à grande usure 12
Autour des Chérubins et des sept Chandeliers. 12
540 Donc, du parvis profond au bas des escaliers, 12
Le Temple n'était plus qu'une halle effroyable 12
Dont les Anges pleuraient et dont riait le Diable. 12
Or, voici que j'ai vu, sous ses beaux cheveux roux, 12
Jésus, Notre-Seigneur, très pâle de courroux, 12
545 Qui passait à travers toutes ces industries 12
Et ces gens par la soif d'un lucre vil flétries, 12
Infectant de fumier, de graisses et de vin, 12
De clameurs et de vols impurs, le lieu divin ! 12
Le Roi Christ était doux, plein de miséricorde ; 12
550 Mais j'ai vu qu'il tirait de sa robe une corde 12
Noueuse, mise en trois et dure comme il faut, 12
Et qu'à grands coups de fouet il les chassait d'en haut 12
Par les rampes, crevant les sacs, les escarcelles 12
Pleines d'argent, poussant les bœufs sur les vaisselles, 12
555 Et les outres de vin sur les riches tissus, 12
Et l'âne sur l'ânier et le tout par-dessus ; 12
Parce que cette engeance, ainsi qu'au temps moderne, 12
Faisait de la maison divine une caverne ! 12
Et tandis que Jésus rendait ce jugement 12
560 Et fouettait ces voleurs très véhémentement, 12
Les disciples, non loin, assis sous les portiques, 12
Méditaient, le cœur plein de visions mystiques, 12
Et de l'âme cherchaient, comme d'autres des yeux, 12
Le Royaume du Maître au delà des sept cieux. 12
565 Nul ne se souciait, plongé dans sa pensée, 12
De la foule en rumeur hors du Temple chassée, 12
Croyant que tout est bien sur terre, quand on croit, 12
Et que le mieux, après, arrive par surcroît. 12
Et le Roi Christ survint, disant : — Ce n'est point l'heure 12
570 De prier, quand le feu dévore la demeure. 12
Bienheureux qui se lève, et, luttant, irrité, 12
Pour la justice en peine et pour la charité, 12
Applique sur le mal l'efficace remède ! 12
Et malheur à qui n'est ni chaud ni froid, mais tiède ! 12
575 Or, que faites-vous là ? Rien. Moi, je vous le dis, 12
L'inactif n'aura point de place au Paradis ! — 12
Et moi, je vous le dis, après Christ, la Lumière 12
Qui s'en vint dissiper l'obscurité première, 12
L'Eau vive qui circule au sillon desséché ; 12
580 Je vous le dis à vous qui fuyez le Péché, 12
Et les fanges du siècle, âmes encor sans tache 12
Parmi ceux qu'en enfer Satan mène à l'attache ; 12
O princes ! — s'il en est ! — moines, prieurs, abbés, 12
Qui n'êtes point encor dans ses pièges tombés, 12
585 Mais qui, les bras croisés et les yeux pleins de larmes, 12
Pour le combat de Dieu n'endossez point vos armes, 12
Je vous le dis : Malheur ! Et quand le jour luira 12
Du dernier jugement, le Roi Christ vous dira : 12
— Arrière, paresseux ! cœurs tremblants, cœurs d'esclaves, 12
590 Je ne suis pas le Dieu des lâches, mais des braves ! 12
Qui de vous a souffert ? qui de vous a lutté ? 12
Allez ! Je vous renie, et pour l'éternité ! — 12
Voilà ce que j'ai vu par le nocturne espace, 12
En ce monde où l'Agneau divin bêle et trépasse 12
595 Pour l'âme et pour la chair d'Adam dur et têtu ; 12
Où le Sang qui nous lave a perdu sa vertu ; 12
Où la barque de Pierre, aux trois courants livrée, 12
Heurte les rocs aigus, et s'en va, démembrée, 12
En haute mer, portant, sous les cieux assombris, 12
600 La pauvre Chrétienté qui charge ses débris. 12
Voilà ce que j'ai vu, par la grâce très sainte 12
De l'Esprit : la Foi morte et la Vérité ceinte 12
D'épines, comme Christ, après Gethsémani ; 12
Le Siège unique à bas et son éclat terni ; 12
605 Le bon grain pourrissant dans les sillons arides ; 12
Royautés sans lumière, et nations sans brides ; 12
Et, par grande misère, au milieu de cela, 12
En liesse, sonnant ses trompes de gala, 12
Par-devant Sigismund qui souffre ce blasphème, 12
610 La nouvelle hérésie au pays de Bohême. 12
Or le Roi Jésus-Christ, parlant, comme il lui plaît, 12
Par la bouche de l'aigle ou bien de l'oiselet, 12
M'a dit : — Lève-toi, Guy de Clairvaux, pauvre moine, 12
Car voici que Satan détruit mon patrimoine, 12
615 Et le temps est venu d'agir de haute main 12
Et promptement, de peur qu'il soit trop tard demain. — 12
Moi, je l'ai supplié, d'une oraison fervente, 12
De m'épargner, chétif que le siècle épouvante ; 12
Mais Jésus, derechef, m'a pris par les cheveux, 12
620 Disant : — Parle tout haut, moine Guy ! je le veux. — 12
Donc, Monsieur saint Bernard qui siège au lieu céleste, 12
Hausse ma voix ! l'Esprit divin fera le reste. 12
Sus ! sus ! La coupe est pleine et déborde. Debout, 12
Les forts, les purs, les bons, car le monde est à bout ! 12
625 Et voici que tantôt la vieille idolâtrie 12
S'en va noyer la terre et sa race flétrie, 12
Mieux qu'au déluge où Dieu jadis se résolut, 12
Moins la colombe, avec le rameau du salut ! 12
Sus ! Empereurs et Rois, chefs du Centre et des Marches, 12
630 Cardinaux et Primats, Évêques, Patriarches, 12
Abbés, Généraux d'ordre et Docteurs très chrétiens, 12
Vous tous, les boucliers, les flambeaux, les soutiens 12
De la très vénérable Église, notre mère, 12
Qui languit et qui pleure en son angoisse amère ! 12
635 Je vous adjure, au nom des Âmes en danger 12
Qui sont pâture aux loups et n'ont plus de Berger, 12
Par la sanglante Croix où pend le Fils unique, 12
Sus ! Debout ! Au très saint Concile oecuménique ! 12
Au Concile ! Sitôt que vous y siégerez, 12
640 A vos fronts comme à ceux des apôtres sacrés, 12
Luira le Paraclet en flamboyantes langues, 12
Qui mettra la sagesse en vos bonnes harangues ; 12
Et le sens infaillible et la droite équité 12
Seront fruits mûrs de votre impeccabilité ! 12
645 Sus ! triez le froment des pailles de l'ivraie ! 12
Par Décrets et Canons qui sont la Règle vraie 12
Que tout soit apaisé, que tout soit rétabli ; 12
Qu'en son gouffre Satan retombe enseveli ; 12
Que le Siège, étant Un comme Dieu qui le fonde, 12
650 Soit Parole et Lumière aux quatre bouts du monde, 12
Source vive au Fidèle, espérance au Gentil, 12
Et joie en terre comme au ciel ! Ainsi soit-il ! 12
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