Métrique en Ligne
LEC_1/LEC70
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Les Rêves morts
Vois ! cette mer si calme a comme un lourd bélier 12
Effondré tout un jour le flanc des promontoires, 12
Escaladé par bonds leur fumant escalier, 12
Et versé sur les rocs, qui hurlent sans plier, 12
5 Le frisson écumeux des longues houles noires. 12
Un vent frais, aujourd'hui, palpite sur les eaux ; 12
La beauté du soleil monte et les illumine, 12
Et vers l'horizon pur où nagent les vaisseaux, 12
De la côte azurée, un tourbillon d'oiseaux 12
10 S'échappe, en arpentant l'immensité divine. 12
Mais, parmi les varechs, aux pointes des îlots, 12
Ceux qu'a brisés l'assaut sans frein de la tourmente, 12
Livides et sanglants sous la lourdeur des flots, 12
La bouche ouverte et pleine encore de sanglots, 12
15 Dardent leurs yeux hagards à travers l'eau dormante. 12
Ami, ton cœur profond est tel que cette mer 12
Oui sur le sable fin déroule ses volutes : 12
Il a pleuré, rugi comme l'abîme amer, 12
Il s'est rué cent fois contre des rocs de fer, 12
20 Tout un long jour d'ivresse et d'effroyables luttes. 12
Maintenant il reflue, il s'apaise, il s'abat. 12
Sans peur et sans désir que l'ouragan renaisse. 12
Sous l'immortel soleil c'est à peine s'il bat ; 12
Mais génie, espérance, amour, force et jeunesse 12
25 Sont là, morts, dans l'écume et le sang du combat. 12
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