Métrique en Ligne
LEC_1/LEC47
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Effet de lune
Sous la nue où le vent qui roule 8
Mugit comme un troupeau de bœufs, 8
Dans l'ombre la mer dresse en foule 8
Les cimes de ses flots bourbeux. 8
5 Tous les démons de l'Atlantique, 8
Cheveux épars et bras tordus, 8
Dansent un sabbat fantastique 8
Autour des marins éperdus. 8
Souffleurs, cachalots et baleines, 8
10 Mâchant l'écume, ivres de bruit, 8
Mêlent leurs bonds et leurs haleines 8
Aux convulsions de la nuit. 8
Assiégé d'écumes livides, 8
Le navire, sous ce fardeau, 8
15 S'enfonce aux solitudes vides, 8
Creusant du front les masses d'eau. 8
Il se cabre, tremble, s'incline, 8
S'enlève de l'Océan noir, 8
Et du sommet d'une colline 8
20 Tournoie au fond d'un entonnoir. 8
Et nul astre au ciel lourd ne flotte ; 8
Toujours un fracas rauque et dur 8
D'un souffle égal hurle et sanglote 8
Au travers de l'espace obscur. 8
25 Du côté vague où l'on gouverne, 8
Brusquement, voici qu'au regard 8
S'entr'ouvre une étroite caverne 8
Où palpite un reflet blafard. 8
Bientôt, du faîte de ce porche 8
30 Qui se hausse en s'élargissant, 8
On voit pendre, lugubre torche, 8
Une moitié de lune en sang. 8
Le vent furieux la travaille, 8
Et l'éparpille quelquefois 8
35 En rouges flammèches de paille 8
Contre les géantes parois ; 8
Mais, dans cet antre, à pleines voiles, 8
Le navire, hors de l'enfer, 8
S'élance au-devant des étoiles, 8
40 Couvert des baves de l'a mer. 8
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