Métrique en Ligne
LEC_1/LEC41
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Un Coucher de soleil
Sur la côte d'un beau pays, 8
Par delà les flots Pacifiques, 8
Deux hauts palmiers épanouis 8
Bercent leurs palmes magnifiques. 8
5 A leur ombre, tel qu'un Nabab 8
Qui, vers midi, rêve et repose, 8
Dort un grand tigre du Pendj-Ab, 8
Allongé sur le sable rose ; 8
Et, le long des fûts lumineux, 8
10 Comme au paradis des genèses, 8
Deux serpents enroulent leurs nœuds 8
Dans une spirale de braises. 8
Auprès, un golfe de satin, 8
Où le feuillage se reflète. 8
15 Baigne un vieux palais byzantin 8
De brique rouge et violette. 8
Puis, des cygnes noirs, par milliers, 8
L'aile ouverte au vent qui s'y joue, 8
Ourlent, au bas des escaliers, 8
20 L'eau diaphane avec leur proue. 8
L'horizon est immense et pur ; 8
A peine voit-on, aux cieux calmes, 8
Descendre et monter dans l'azur 8
La palpitation des palmes. 8
25 Mais voici qu'au couchant vermeil 8
L'oiseau Rok s'enlève, écarlate : 8
Dans son bec il tient le soleil, 8
Et des foudres dans chaque patte. 8
Sur le poitrail du vieil oiseau, 8
30 Qui fume, pétille et s'embrase, 8
L'astre coule et fait un ruisseau 8
Couleur d'or, d'ambre et de topaze. 8
Niagara resplendissant, 8
Ce fleuve s'écroule aux nuées, 8
35 Et rejaillit en y laissant 8
Des écumes d'éclairs trouées. 8
Soudain le géant Orion, 8
Ou quelque sagittaire antique, 8
Du côté du septentrion 8
40 Dresse sa stature athlétique. 8
Le Chasseur tend son-arc de fer 8
Tout rouge au sortir de la forge, 8
Et, faisant un pas sur la mer, 8
Transperce le Rok à la gorge. 8
45 D'un coup d'aile l'oiseau sanglant 8
S'enfonce à travers l'étendue ; 8
Et le soleil tombe en brûlant, 8
Et brise sa masse éperdue. 8
Alors des volutes de feu 8
50 Dévorent d'immenses prairies, 8
S'élancent, et, du zénith bleu, 8
Pleuvent en flots de pierreries. 8
Sur la face du ciel mouvant 8
Gisent de flamboyants décombres ; 8
55 Un dernier jet exhale au vent 8
Des tourbillons de pourpre et d'ombres : 8
Et, se dilatant par bonds lourds, 8
Muette, sinistre, profonde, 8
La nuit traîne son noir velours 8
60 Sur la solitude du monde. 8
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