Métrique en Ligne
LEC_1/LEC39
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Le Manchy
Sous un nuage frais de claire mousseline, 12
Tous les dimanches au matin, 8
Tu venais à la ville en manchy de rotin, 12
Par les rampes de la colline. 8
5 La cloche de l'église alertement tintait ; 12
Le vent de mer berçait les cannes ; 8
Comme une grêle d'or, aux pointes des savanes, 12
Le feu du soleil crépitait. 8
Le bracelet aux poings, l'anneau sur la cheville, 12
10 Et le mouchoir jaune aux chignons, 8
Deux Telingas portaient, assidus compagnons, 12
Ton lit aux nattes de Manille. 8
Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant, 12
Souples dans leurs tuniques blanches, 8
15 Le bambou sur l'épaule et les mains sur les hanches, 12
Ils allaient le long de l'Étang. 8
Le long de la chaussée et des varangues basses 12
Où les vieux créoles fumaient, 8
Par les groupes joyeux des Noirs, ils s'animaient 12
20 Au bruit des bobres Madécasses. 8
Dans l'air léger flottait l'odeur des tamarins ; 12
Sur les houles illuminées, 8
Au large, les oiseaux, en d'immenses traînées, 12
Plongeaient dans les brouillards marins. 8
25 Et tandis que ton pied, sorti de la babouche, 12
Pendait, rose, au bord du manchy, 8
A l'ombre des Bois-noirs touffus et du Letchi 12
Aux fruits moins pourprés que ta bouche ; 8
Tandis qu'un papillon, les deux ailes en fleur, 12
30 Teinté d'azur et d'écarlate, 8
Se posait par instants sur ta peau délicate 12
En y laissant de sa couleur ; 8
On voyait, au travers du rideau de batiste, 12
Tes boucles dorer l'oreiller, 8
35 Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller, 12
Tes beaux yeux de sombre améthyste. 8
Tu t'en venais ainsi, par ces matins si doux, 12
De la montagne à la grand'messe, 8
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse, 12
40 Au pas rhythmé de tes Hindous. 8
Maintenant, dans le sable aride de nos grèves, 12
Sous les chiendents, au bruit des mers, 8
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers, 12
O charme de mes premiers rêves ! 8
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