Métrique en Ligne
LEC_1/LEC37
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Les Éléphants
Le sable rouge est comme une mer sans limite, 12
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit. 12
Une ondulation immobile remplit 12
L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite. 12
5 Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus 12
Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues, 12
Et la girafe boit dans les fontaines bleues, 12
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus. 12
Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile 12
10 L'air épais, où circule un immense soleil. 12
Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil, 12
Fait onduler son dos dont l'écaille étincelle. 12
Tel l'espace enflammé brûle sous les deux clairs. 12
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes, 12
15 Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes, 12
Vont au pays natal à travers les déserts. 12
D'un point de l'horizon, comme des masses brunes, 12
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit, 12
Pour ne point dévier du chemin le plus droit, 12
20 Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes. 12
Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps 12
Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine ; 12
Sa tête est comme un roc, et l'arc de son échine 12
Se voûte puissamment à ses moindres efforts. 12
25 Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche, 12
Il guide au but certain ses compagnons poudreux ; 12
Et, creusant par derrière un sillon sablonneux, 12
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche. 12
L'oreille en éventail, la trompe entre les dents, 12
30 Ils cheminent, l'œil clos. Leur ventre bat et fume, 12
Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume ; 12
Et bourdonnent autour mille insectes ardents. 12
Mais qu'importent la soif et la mouche vorace, 12
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ? 12
35 Ils rêvent en marchant du pays délaissé, 12
Des forêts de figuiers où s'abrita leur race. 12
Ils reverront le fleuve échappé des grands monts, 12
Où nage en mugissant l'hippopotame énorme, 12
Où, blanchis par la lune et projetant leur forme, 12
40 Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs. 12
Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent 12
Comme une ligne noire, au sable illimité ; 12
Et le désert reprend son immobilité 12
Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent. 12
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