Métrique en Ligne
LEC_1/LEC22
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Le Désert
Quand le Bédouin qui va de l'Horeb en Syrie 12
Lie au tronc du dattier sa cavale amaigrie, 12
Et, sous l'ombre poudreuse où sèche le fruit mort, 12
Dans son rude manteau s'enveloppe et s'endort, 12
5 Revoit-il, faisant trêve aux ardentes fatigues, 12
La lointaine oasis où rougissent les figues, 12
Et l'étroite vallée où campe sa tribu, 12
Et la source courante où ses lèvres ont bu, 12
Et les brebis bêlant, et les bœufs à leurs crèches, 12
10 Et les femmes causant près des citernes fraîches, 12
Ou, sur le sable, en rond, les chameliers assis, 12
Aux lueurs de la lune écoutant les récits ? 12
Non, par delà le cours des heures éphémères, 12
Son âme est en voyage au pays des chimères. 12
15 Il rêve qu'Al-Borak, le cheval glorieux, 12
L'emporte en hennissant dans la hauteur des deux ; 12
Il tressaille, et croit voir, par les nuits enflammées, 12
Les filles de Djennet à ses côtés pâmées. 12
De leurs cheveux plus noirs que la nuit de l'enfer 12
20 Monte un âcre parfum qui lui brûle la chair ; 12
Il crie, il veut saisir, presser sur sa poitrine, 12
Entre ses bras tendus, sa vision divine. 12
Mais sur la dune au loin le chacal a hurlé, 12
Sa cavale piétine, et son rêve est troublé ; 12
25 Plus de Djennet, partout la flamme et le silence, 12
Et le grand ciel cuivré sur l'étendue immense ! 12
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