Métrique en Ligne
LEC_1/LEC17
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Christine
Une étoile d'or là-bas illumine 10
Le bleu de la nuit, derrière les monts. 10
La lune blanchit la verte colline : 10
— Pourquoi pleures-tu, petite Christine ? 10
5 Il est tard, dormons. 5
— Mon fiancé dort sous la noire terre, 10
Dans la froide tombe il rêve de nous. 10
Laissez-moi pleurer, ma peine est amère ; 10
Laissez-moi gémir et veiller, ma mère : 10
10 Les pleurs me sont doux. — 5
La mère repose, et Christine pleure, 10
Immobile auprès de l'âtre noirci. 10
Au long tintement de la douzième heure, 10
Un doigt léger frappe à l'humble demeure : 10
15 — Qui donc vient ici ? 5
— Tire le verrou, Christine, ouvre vite : 10
C'est ton jeune ami, c'est ton fiancé. 10
Un suaire étroit à peine m'abrite ; 10
J'ai quitté pour toi, ma chère petite, 10
20 Mon tombeau glacé. — 5
Et cœur contre cœur tous deux ils s'unissent. 10
Chaque baiser dure une éternité : 10
Les baisers d'amour jamais ne finissent. 10
Ils causent longtemps ; mais les heures glissent, 10
25 Le coq a chanté. 5
Le coq a chanté, voici l'aube claire ; 10
L'étoile s'éteint, le ciel est d'argent. 10
— Adieu, mon amour, souviens-toi, ma chère ! 10
Les morts vont rentrer dans la noire terre, 10
30 Jusqu'au jugement. 5
— O mon fiancé, souffres-tu, dit-elle, 10
Quand le vent d'hiver gémit dans les bois, 10
Quand la froide pluie aux tombeaux ruisselle ? 10
Pauvre ami, couché dans l'ombre éternelle, 10
35 Entends-tu ma voix ? 5
— Au rire joyeux de ta lèvre rose, 10
Mieux qu'au soleil d'or le pré rougissant, 10
Mon cercueil s'emplit de feuilles de rose ; 10
Mais tes pleurs amers dans ma tombe close 10
40 Font pleuvoir du sang. 5
Ne pleure jamais ! Ici-bas tout cesse, 10
Mais le vrai bonheur nous attend au ciel. 10
Si tu m'as aimé, garde ma promesse : 10
Dieu nous rendra tout, amour et jeunesse, 10
45 Au jour éternel. 5
— Non ! je t'ai donné ma foi virginale ; 10
Pour me suivre aussi, ne mourrais-tu pas ? 10
Non ! je veux dormir ma nuit nuptiale, 10
Blanche, à tes côtés, sous la lune pâle, 10
50 Morte entre tes bras ! — 5
Lui ne répond rien. Il marche et la guide. 10
A l'horizon bleu le soleil paraît. 10
Ils hâtent alors leur course rapide, 10
Et vont, traversant sur la mousse humide 10
55 La longue forêt. 5
Voici les pins noirs du vieux cimetière. 10
— Adieu, quitte-moi, reprends ton chemin ; 10
Mon unique amour, entends ma prière ! — 10
Mais Elle au tombeau descend la première, 10
60 Et lui tend la main. 5
Et, depuis ce jour, sous la croix de cuivre, 10
Dans la même tombe ils dorment tous deux. 10
O sommeil divin dont le charme enivre ! 10
Ils aiment toujours. Heureux qui peut vivre 10
65 Et mourir comme eux ! 5
logo du CRISCO logo de l'université