Métrique en Ligne
LEC_1/LEC13
Charles-Marie LECONTE DE LISLE
POÈMES BARBARES
1862
Les Larmes de l'Ours
Le Roi des Runes vint des collines sauvages. 12
Tandis qu'il écoutait gronder la sombre mer, 12
L'ours rugir, et pleurer le bouleau des rivages, 12
Ses cheveux flamboyaient dans le brouillard amer. 12
5 Le Skalde immortel dit : — Quelle fureur t'assiège, 12
O sombre Mer ? Bouleau pensif du cap brumeux, 12
Pourquoi pleurer ? Vieil Ours vêtu de poil de neige, 12
De l'aube au soir pourquoi te lamenter comme eux ? 12
— Roi des Runes ! lui dit l'Arbre au feuillage blême 12
10 Qu'un âpre souffle emplit d'un long frissonnement, 12
Jamais, sous le regard du bienheureux qui l'aime, 12
Je n'ai vu rayonner la vierge au col charmant. 12
— Roi des Runes ! jamais, dit la Mer infinie, 12
Mon sein froid n'a connu la splendeur de l'été. 12
15 J'exhale avec horreur ma plainte d'agonie, 12
Mais joyeuse, au soleil, je n'ai jamais chanté. 12
— Roi des Runes ! dit l'Ours, hérissant ses poils rudes, 12
Lui que ronge la faim, le sinistre chasseur ; 12
Que ne suis-je l'agneau des tièdes solitudes 12
20 Qui paît l'herbe embaumée et vit plein de douceur ! — 12
Et le Skalde immortel prit sa harpe sonore : 12
Le Chant sacré brisa les neuf sceaux de l'hiver ; 12
L'Arbre frémit, baigné de rosée et d'aurore ; 12
Des rires éclatants coururent sur la Mer. 12
25 Et le grand Ours charmé se dressa sur ses pattes : 12
L'amour ravit le cœur du monstre aux yeux sanglants, 12
Et, par un double flot de larmes écarlates, 12
Ruissela de tendresse à travers ses poils blancs. 12
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