Métrique en Ligne
LCA_2/LCA89
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
ORPHICA
IV
Fait pour laisser un jour une durable trace, 12
Et rêvant d'ajouter par tes efforts, bientôt, 12
Une grandeur nouvelle à celle de ta race, 12
Au moment magnifique où ton génie éclôt, 12
5 C'est plein d'espoir en toi que tout bas je te nomme. 12
Par de longs entretiens, tu sais que j'ai voulu 12
Éveiller un beau feu dans ton cœur de jeune homme 12
Et mettre des éclairs dans ton regard d'élu. 12
La fleur de la jeunesse, épanouie, aspire 12
10 L'air vaste : devant toi le monde radieux, 12
Ouvrant ses horizons, est comme ton empire ; 12
Un désir infini fait rayonner tes veux. 12
Ces jours, ces jours si pleins, ils passeront trop vite 12
Ainsi que le printemps se hâte vers l'été, 12
15 L'âge où la sève en nous monte et se précipite 12
Se précipite aussi vers la maturité. 12
Ton père, les amis, et plus qu'eux tous, ta mère, 12
Ont peut-être rêvé doucement, mais en vain, 12
D'arrêter sur ton front cette grâce éphémère 12
20 Qui te pare aujourd'hui de son éclat divin. 12
Comme nous tu devras connaître la souffrance. 12
Savoir la vie amère et les hommes ingrats ; 12
Il te faudra lutter : mais j'en ai l'assurance, 12
Jeune homme, lu sauras lutter, et tu vaincras. 12
25 Tu ne laisseras pas, comme tant de victimes 12
De nos âges, pesants de médiocrité, 12
S'éteindre le flambeau de tes vœux magnanimes 12
Au souffle obscur d'en bas, jaloux de sa clarté. 12
Ces Muses l'ont juré, dont la voix d'or te presse 12
30 De n'aspirer jamais à rien que d'éternel, 12
Et je sais les ferments de l'héroïque Grèce, 12
Dans tes veines roulés par le sang maternel. 12
Eux-mêmes, tes aïeux de Rome et de Sicile, 12
Te conjurent, du fond de leur sacré tombeau, 12
35 De porter haut tes pas, loin du chemin facile, 12
Jusqu'aux sources du Vrai, jusqu'aux sources du Beau 12
Ces fontaines, mon doigt aussi te les indique : 12
Tendrement inquiet, par l'âme je te suis ; 12
Je pénètre ton cœur d'un regard prophétique, 12
40 Je vois les rêves fiers qui traversent tes nuits. 12
Dans son océan noir, quand le sommeil te roule, 12
N'entends-tu pas, avec des rumeurs d'ouragan, 12
A tes pieds s'agiter une confuse foule, 12
Que tu domptes soudain par un geste éloquent ? 12
45 D'élans virils et purs tes aurores sont pleines : 12
Sur le clavier tes mains voltigent sans repos ; 12
Tu te plais à chanter des strophes tyrtéennes, 12
Et ton sein, par instants, s'enfle comme les flots. 12
Ah ! merveilleux élans d'une âme neuve encore ! 12
50 Elle peut s'en aller de sentier en sentier ; 12
Rien ne contentera l'ardeur qui la dévore : 12
A cette soif sublime il faut le Ciel entier… 12
L'heure est charmante et grave, où je te dis ces choses. 12
Le cœur trop frémissant pour pouvoir m'endormir, 12
55 Dans l'ombre, qu'embaumait l'été chargé de roses, 12
Cette nuit j'ai cru voir ton étoile frémir. 12
C'est Florence, là-bas, qui maintenant t'appelle ; 12
C'est Bologne la docte, asile aimé des Lois ; 12
C'est toute l'Italie indiciblement belle, 12
60 Qui voudrait attirer ta chère âme à la fois. 12
Sois fier d'être un des fils de cette auguste terre, 12
Dont les siècles n'ont pas épuisé les trésors ; 12
Nourris pour elle un culte ardent, fidèle, austère ; 12
Recueille en ton esprit l'esprit de ses grands Morts. 12
65 J'ai rêvé de laisser ma dépouille à ses rives. 12
Mais si le sort, demain, m'en éloigne à jamais, 12
Garde le souvenir des saisons fugitives 12
Où l'Aîné, qui t'aima, fut sûr que tu l'aimais. 12
Pense à lui longuement dans tes heures obscures. 12
70 Et, ranimant ton âme à son souffle lointain. 12
Fort de son espérance et selon ses augures, 12
Sans orgueil, mais sans peur, marche vers ton destin. 12
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