Métrique en Ligne
LCA_2/LCA74
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
STANCES A LA TOSCANE
A D. Bruno Binazzi.
En ce juillet romain, je pense à la Toscane, 12
Où partout monte un chœur léger d'allègres voix ; 12
Pays où librement l'âme s'élance et plane ; 12
Ciel, dont j'ai contemplé la beauté diaphane ; 12
5 Sol divin, que mes pieds n'ont foulé qu'une fois. 12
Je souffrais : sa douceur endormit ma blessure 12
Oh ! gracieusement, comme elle m'a versé, 12
Avec son air subtil et sa lumière pure. 12
Les consolations de sa claire nature 12
10 El les enchantements que donne son passé ! 12
Je me suis promené, pèlerin, dans ses villes, 12
Qui voudraient retenir tous les chanteurs errants ; 12
J'ai longuement songé sur ses routes tranquilles. 12
Tandis que dans le soir, du haut des campaniles. 12
15 Tombaient les angélus tendres et pénétrants. 12
J'ai connu la Cité des fleurs, l'auguste Dôme, 12
Le fleuve aux quais joyeux, et ces nobles jardins 12
Dont le vent du matin emporte au loin l'arôme : 12
Dante m'est apparu de loin, puissant fantôme ; 12
20 J'ai retrouvé l'odeur des temps médicéens. 12
La paix du Val d'Arno m'était hospitalière : 12
A Figline, par des matins resplendissants, 12
Tandis que les grands bœufs soulevaient la poussière 12
Je voyais les coteaux fumer dans la lumière 12
25 Ainsi que des autels couronnés par l'encens. 12
Au cher San Biagio, lorsque la canicule 12
Triomphe, j'entendais s'abattre les fléaux ; 12
J'écoutais, dans l'ardeur calme du crépuscule, 12
Se hâter quelque char fou qui tintinnabule, 12
30 Ou s'en revenir tard de sonores chevaux. 12
Devant moi les maisons s'ouvraient familiales : 12
Car j'étais, pour ces cœurs, l'aède au cœur divin. 12
Les repas m'attendaient, servis aux fraîches salles ; 12
Et vers moi se tournaient les faces cordiales, 12
35 Et les belles chansons naissaient du sombre vin. 12
Et puis c'étaient les soirs à la caresse immense, 12
Où l'âme sent une âme autour d'elle frémir ; 12
Où, là-bas, le cyprès sur la colline pense ; 12
Où l'on voit, au lointain, pesante de silence. 12
40 Quelque pâle villa sur les hauteurs dormir… 12
Je revivrai ces jours passés en Étrurie, 12
Ces beaux jours, où Florence à moi se révéla ; 12
Et mon âme sera neuve et toute fleurie. 12
Car vous me sourirez, ô vous sainte Marie 12
45 Del Fiore, vous Santa Maria Novella ! 12
El, puisqu'il est venu, dans sa gloire solaire, 12
Avec ses longs travaux, le règne de l'été, 12
Afin d'entendre encor battre le grain sur l'aire, 12
Vite je m'en irai vers la campagne claire. 12
50 Au val d'Arno. C'est là que mon cœur est resté. 12
Près des fermes ornant de lierre leurs murailles, 12
Je reverrai les doux vieillards patriarcaux, 12
Songeurs au souvenir d'anciennes semailles ; 12
Et j'entendrai les chars, secouant leurs sonnailles, 12
55 S'en revenir encor dans le soir plein d'échos. 12
Attachés à mes pas en escortes fidèles, 12
A ma voix, de nouveau liés, les bruns garçons 12
Un moment laisseront tomber leurs ritournelles 12
Quand je leur parlerai des choses éternelles 12
60 Avec un doigt tendu vers les purs horizons. 12
Et, lorsque tout s'efface aux campagnes obscures, 12
De nouveau, dans l'azur sans lune et sourd des cieux, 12
Les constellations aux antiques figures 12
Allumeront pour moi, perçant d'or les ramures, 12
65 Leurs diamants vivants, palpitants, glorieux. 12
Harmonieusement fuira chaque journée, 12
Puis s'en viendra, pensive et belle, à travers champs, 12
L'automne, sous son poids de pampres inclinée ; 12
Et les derniers travaux rustiques de l'année 12
70 Me feront méditer sur la fuite du temps. 12
Moissons, accueillez-moi ; recevez-moi, vendanges 12
Ruches d'or, regorgez d'abeilles et de miel : 12
Que mon âme exaltée abonde en vos louanges ; 12
Et vous, autour de moi, pareils à des yeux d'anges 12
75 Brillez, beaux yeux toscans, pleins des douceurs du ciel 12
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