Métrique en Ligne
LCA_2/LCA69
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
DISTIQUES A NOVEMBRE
Novembre, dont le front penché ressemble au mien, 12
En traînant ton manteau de brume, tu reviens. 12
Tu reviens : et mon cœur,plus lourd d'un an, t'accueille, 12
Dans ce jardin rempli par la chute des feuilles. 12
5 Ah ! lu vas, une fois de plus, morne saison, 12
Amasser la pesante neige aux horizons ! 12
Et, des coteaux flétris au vide de la plaine, 12
Je t'entendrai gémir tes longues cantilène. 12
Et tu me glaceras de tes noirs frissons, toi 12
10 Qui fais, sur les chemins, crier les vieilles croix. 12
O Novembre, par qui, dans leur seizième année, 12
Tant de vierges s'en vont, en pleine fleur fanées : 12
Novembre, dont les glas, au soir de la Toussaint, 12
Ont longuement pleuré, pareils à des tocsins ! 12
15 Je le puis maintenant savourer mieux, ton charme 12
Plus que jamais mon cœur est saturé de larmes, 12
Car un harmonieux enfant, dont je formai 12
L'âme neuve, est parti, peut-être pour jamais. 12
Et mon âme, à ce seuil de l'hiver, est plus seule 12
20 Que ne sont, remuant la tête, les aïeules. 12
Or, je veux justement, Novembre, que, pour lui. 12
Tu m'accordes le long sommeil des lentes nuits, 12
Afin que, lui montrant mieux la route tracée, 12
Par mon calme, de loin, j'ordonne ses pensées. 12
25 Souhaitant qu'il revienne à moi, dans quelque avril, 12
Mûr, et le cœur vibrant de poèmes virils. 12
Car je le suis, là-bas, tendre comme une mère, 12
Moi qui l'ai dégoûté des choses éphémères… 12
Mais, tu n'as pas toujours, Novembre, ce front lourd ; 12
30 Tu sais nous accorder d'inoubliables jours. 12
On dirait que le clair Octobre se prolonge ; 12
On se sent entraîné sur le chemin des songes. 12
On trouve souriant même un Carapo-Santo 12
Le chant des paysans fait vibrer les échos. 12
35 Dans l'air, dont la clarté redevient caressante, 12
Il flotte un souvenir de vendanges récentes… 12
Ces jours, où l'an qui meurt attendrit son adieu, 12
Ils pourront me donner des instants radieux. 12
Puis reviendra, battant mes fenêtres, la pluie : 12
40 Les chères visions seront toutes enfuies. 12
Par les champs dépouillés, par les coteaux, le vent. 12
De nouveau, poussera ses grands cris émouvants 12
Et toujours renaîtra, saintement ignorée, 12
Ma tristesse, et, tout seul, dans l'ennui des soirées, 12
45 Je redirai les vers de cet enfant lointain, 12
Dont les destins encor s'agitent incertains. 12
Et mon cœur désolé n'aura pour se distraire 12
Que l'âtre, où le £eu meurt aux braises cinéraires. 12
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