Métrique en Ligne
LCA_2/LCA68
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
L'HEURE SACRÉE
Nous avions prolongé l'amicale veillée : 12
Sur les touches tes doigts avaient couru longtemps. 12
Je t'écoutais, la main à ma tempe appuyée : 12
Minuit dardait au ciel mille feux éclatants. 12
5 Mais le clavier se tut. Les choses indicibles, 12
Que cette heure évoquait, nous oppressaient tous deux. 12
Tout près, sur les rayons, dormaient de vieilles bibles ; 12
Des souffles inconnus passaient dans nos cheveux. 12
Soudain je me dressai, comme au toucher d'un Ange 12
10 Qui serait survenu silencieusement ; 12
Mes paroles vibraient de certitude étrange, 12
Ma voix sonnait avec un grave emportement. 12
Le flot, le flot sacré des sagesses antiques, 12
De mes lèvres roulait, tel un torrent d'un mont ; 12
15 Je devenais pareil aux hommes extatiques 12
Dont le regard voyait dans l'Au-Delà profond. 12
Et, comme j'avais dit, fils de la pure Essence, 12
La reflétant selon de multiples degrés, 12
Par le souffle brûlant de la toute-puissance, 12
20 Les Esprits de splendeur, ensemble proférés ; 12
Comme j'avais chanté ces mondes de lumière 12
Où la divine image éclate en décroissant. 12
Pour aller, dans le sein muet de la matière, 12
Jusqu'à n'être plus qu'ombre enfin, s'obscurcissant ; 12
25 Comme j'avais dit l'âme ici-bas descendue, 12
Afin d y mériter, de souffrance en effort, 12
La pauvre âme qui va, dans ses rêves perdue, 12
El rejoint l'infini par l'Amour et la Mort ; 12
Comme le soulevant à la fois tous les voiles 12
30 Je l'avais éclairé cet univers obscur, 12
Au ciel intérieur le montrant plus d'étoiles 12
Qu'il n'en luisait là-haut dans le visible azur, 12
Palpitant, ébloui de l'éclair de ces choses,. 12
Emporté par-delà l'éther sombrement bleu 12
35 Au sanctuaire même où s'engendrent les Causes, 12
Tu me crias : en toi je sens frémir un Dieu ! 12
Cette heure, elle a passé comme toutes les heures. 12
Le Temps à séparer, à disperser est prompt… 12
Sous d'autres cieux pour toi, comme en d'autres demeures 12
40 Bien des nuits ont brillé, bien des nuits brilleront. 12
Tu t'en iras mûri, chargé d'expérience ; 12
Ta fièvre de connaître avidement boira, 12
Pour s'y désaltérer, à l'humaine science 12
Et j'aurai disparu. Mais rien n'effacera 12
45 Cette nuit où, voyant s'ouvrir tant de symboles, 12
Comme à travers la flamme et l'encens d'un autel, 12
Tu sentis tout à coup, au feu de mes paroles, 12
La secrète grandeur de ton être immortel. 12
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