Métrique en Ligne
LCA_2/LCA66
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
LA LAMPE
A D. Gregorio Frangipani.
Ce moine est seul gardien de son vieux monastère, 12
Qui domine la plaine aux souriants lointains. 12
Je regarde sa face ardente et volontaire : 12
Il est bien l'héritier des grands Bénédictins. 12
5 Dans ses veines le sang d'aïeux illustres coule. 12
Son front ample me dit son rayonnant cerveau ; 12
Il a l'horreur du bruit et de l'aveugle foule ; 12
Il n'a pas foi beaucoup dans noire Age nouveau. 12
Ensemble, devisant de doctrines mystiques, 12
10 Nous allons par le calme et profond corridor, 12
Où le soleil d'été, sur le pavé de briques, 12
De place en place pose une sandale d'or. 12
Vous, dit-il, qui venez chercher la solitude, 12
Qu'elle vous soit propice, à l'abri de ces murs. 12
15 Moi je me suis fait d'elle une chère habitude, 12
Car les contacts humains sont trop souvent impurs. 12
L'Œuvre que vous rêvez aura plus de puissance, 12
Venant ainsi du fond de l'ombre et du secret : 12
Les nuits y verseront de leur magnificence ; 12
20 Le mystère du cloître y mettra son attrait. 12
Les yeux toujours plongés dans la paix des espaces, 12
D'ici vous parlerez, d'un accent solennel, 12
Non aux passants du siècle, épris des biens fugaces. 12
Non à l'homme d'un jour, mais à l'homme éternel. 12
25 Voici, voici la chambre où, pour vous, les journées, 12
Longtemps pourront couler avec enchantement, 12
Toutes, de poésie et de science ornées. 12
Vous y verrez les soirs tomber pieusement. 12
Mais prenez cette lampe ancienne, où l'huile brûle 12
30 Avec lenteur, ainsi qu'à celles du Lieu saint : 12
Je vais vous laisser seul devant le crépuscule, 12
En face de ces monts où le soleil s'éteint… 12
Je demeure charmé des paroles de l'hôte. 12
L'horizon m'apparaît, suave, indéfini ; 12
35 Je contemple la chambre : elle est sévère et haute 12
Une Madone y songe, en un tableau jauni. 12
Le circulaire vol des hirondelles crie. 12
Pour saluer encor l'azur décoloré. 12
L'ombre a noyé déjà la plaine de l'Ombrie, 12
40 Et cet asile heureux, longuement désiré. 12
Préside à mes travaux, lampe bénédictine, 12
Docte lampe, amicale aux moines d'autrefois ; 12
Inspire-moi l'effort patient qui s'obstine 12
A scruter âprement d'hiératiques lois. 12
45 Verse une clarté pure à mes veilles ferventes. 12
Pleine d'une huile d'or, oh ! fidèlement luis. 12
Et rends-moi chaque fois plus ardemment vivante ? 12
Ces vérités qui font resplendir les minuits. 12
Oui, dans la solitude où mon esprit s'exile, 12
50 Loin du monde féroce et de ses bruits menteurs, 12
O lampe, que jamais ta flamme ne vacille 12
Sous le souffle des noirs démons déprédateurs. 12
Tu me protégeras de leur foule haineuse, 12
En ces moments sacrés faits pour la vision 12
55 Où, la fenêtre ouverte à la nuit lumineuse, 12
Je lirai l'exaltant Songe de Scipion. 12
D'En-Haut il me viendra de solennels messages, 12
Tandis que, poursuivant mon austère dessein, 12
J'irai, partout puisant la doctrine des Sages, 12
60 De l'antique Boèce à Marsile Ficin. 12
Et, jusqu'à l'heure vague où l'aube va paraître, 12
Sous ta jaune clarté qui dorera mon front, 12
O lampe, en tressaillant, je trouverai peut-être 12
Quelques divins pensers dont les âmes vivront. 12
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