Métrique en Ligne
LCA_2/LCA63
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
ASSISTUM
I
A Gabriel Faure.
O ville où le passé gravement se prolonge, 12
Et qui sembles dormir sous son fardeau pesant 12
S'il est d'autres cités pour éveiller le songe, 12
Toi tu parles au cœur d'un plus profond accent. 12
5 Bien des jours ont coulé depuis que, solitaire, 12
Je parcours, pèlerin qui ne s'en irait plus, 12
Tes chemins dont la paix conseille de se taire. 12
Dans l'oubli des désirs et des soins superflus. 12
Devant tes horizons, toujours mélancoliques, 12
10 Même quand le malin les remplit de clarté, 12
L'âme peut s'attarder à ses propres reliques 12
Et comparer le Temps avec l'Éternité. 12
Parfois, lointain rappel d'un monde qui s'enfièvre, 12
El continue un bruit que j'ai trouvé trop vain, 12
15 Du bord de tes sentiers, où va broutant la chèvre, 12
Je vois passer là-bas, sous sa fumée, un train. 12
Qu'il ne me tente pas d'inutiles voyages ! 12
Il suffît, calme Assise, à ton hôte pensif, 12
D'admirer tes coteaux pleins d'oliviers sauvages, 12
20 Que çà et là domine, obscur et sobre, un if. 12
Je le sais bien, tous ceux dont le rêve est frivole, 12
Et qui n'entendent pas la voix de tes vieux murs : 12
Prompts toujours à l'ennui, l'appellent nécropole. 12
Pour ton repos ces cœurs ne sont pas assez mûrs. 12
25 Garde-moi, garde-moi parmi tes sépultures, 12
Et tes anciens palais, l'hiver en proie aux vents. 12
Car je suis incliné, par ce temps plein d'injures, 12
A préférer les morts, chère Assise, aux vivants ! 12
II
A Georges Le Cardonnel.
Dans ce jour qui finit comme tous les beaux jours, 12
30 Tandis que de grands bœufs, aux fronts cornus et lourds, 12
S'en reviennent, suivis par leur pâtre tranquille. 12
Le poète, tout seul, retourne vers la ville. 12
Mais avant que son pas ait rejoint les maisons, 12
Il égare sa vue aux lointains horizons. 12
35 Il laisse sa pensée errer, lente et sereine, 12
Des collines sans fin à l'idyllique plaine. 12
•Sous la lumière d'or de l'astre qui descend, 12
Son esprit s'élargit : il sourit au passant. 12
Il regarde, le long du sentier qui serpente, 12
40 Les calmes oliviers grimper de pente en pente. 12
Il a tout oublié des maux longtemps soufferts : 12
Son âme est rayonnante ainsi que l'Univers. 12
Pour l'élever plus haut que toi-même, ô Nature, 12
Tu lui parles au cœur, de ta voix grave et pure. 12
45 Devant cet orbe en feu, disparaissant là-bas, 12
Il rêve d'un soleil qui ne se couche pas : 12
Et doucement, avant que la clarté ne meure, 12
Il bénit et l'espace et la saison et l'heure. 12
logo du CRISCO logo de l'université