Métrique en Ligne
LCA_2/LCA61
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
CHANTS D'OMBRIE ET DE TOSCANE
SAINT FRANÇOIS A LA CIGALE
A Charles Le Goffic.
Le poudroyant Midi, de sa clarté précise, 12
Découpe les coteaux silencieux d'Assise ; 12
L'alouette, sans voix, se cache dans le blé ; 12
L'air, où rien ne frémit, sent le myrte brûlé. 12
5 C'est l'heure morne où, seule, une cigale crie 12
C'est l'implacable été sur l'immobile Ombrie. 12
A ses frères, ayant ordonné le sommeil, 12
Pour entonner encore un cantique au soleil, 12
François, le fou divin, s'en va, les mains ouvertes. 12
10 Les pins l'ont appelé sous leurs aiguilles vertes : 12
Il sourit doucement d'un sourire du ciel ; 12
Et, comme s'il venait, ainsi qu'Ézéchiel, 12
De contempler l'ardeur des flamboyantes Roues, 12
Il tressaille, et l'on voit une flamme à ses joues. 12
15 L'Esprit l'a ressaisi : voici qu'il va chanter, 12
Car son cœur est trop plein pour ne pas éclater, 12
O toi, dit-il. ô toi, stridente dès l'aurore. 12
Harmonieuse enfant, créature sonore 12
Que bercent les grands pins dans leur chaude épaisseur. 12
20 Musicienne d'or, que je nomme ma sœur, 12
O cigale, en vigueur allègre, qui t'égale ? 12
Vibrante, crépitante, exultante cigale, 12
Ta voix infatigable est l'hymne de midi : 12
Et, t'écoutant crier, mon cœur rouge a bondi, 12
25 Bénissant la lumière illimitée et blanche. 12
Qui, royale, du sein du Roi des Rois s'épanche. 12
Pauvrette, comme toi nous allons, l'âme en feu, 12
Insoucieux de tout, fors de bien louer Dieu. 12
La Nature nous voit, dans notre zèle agile, 12
30 Pleins du tressaillement sacré de l'Évangile, 12
Des sandales aux pieds, passer le long des champs : 12
Chanteuse, comme toi nous ne sommes que chants. 12
Mais avec les beaux jours, fille de la lumière, 12
O cigale d'été, tu mourras tout entière, 12
35 Tandis que nous, tournés vers l'immuable jour, 12
Nous trouverons qu'il fait clair et chaud dans l'Amour. 12
Ainsi nous connaîtrons la vie harmonieuse. 12
Jusqu'à l'heure où la Mort s'en viendra, gracieuse. 12
O bons frères Mineurs, dira-t-elle, venez ; 12
40 Soyez entre mes bras comme des nouveau-nés : 12
J'ai la clef des jardins de la Joie infinie, 12
C'est par moi que, sans fin, au Christ on communie. 12
Vite !vous danserez, autour du firmament, 12
Une danse d'amour sempiternelle ment. 12
45 Lui-même, le Seigneur, présidera la fête : 12
Car c'est le Coryphée et l'éternel Poète. 12
Son cœur est comme un luth pour sa divinité, 12
Et le ciel vibre au chant de son Humanité. 12
Telle nous parlera la bonne Mort candide… 12
50 Et nous, les yeux fixés sur la paix du splendide 12
Azur, sentant les jours terrestres révolus, 12
Nous mourrons du trépas radieux des Élus. 12
Jésus, nous ayant fait grande miséricorde, 12
Tous, à son luth vivant nous serons une corde. 12
55 A la gloire du Père, il tirera de nous, 12
Dans les éternités, des sons perçants et doux : 12
Et nous jubilerons, et nous battrons des ailes, 12
Dans l'immortel Été cigales immortelles ! 12
Il dit, et se découvre en silence le sein, 12
60 Car son cœur brûle. Alors, s'envolant d'un vieux pin, 12
La cigale, tandis qu'il se pâme, extatique, 12
Vient chanter sur le cœur du Père séraphique. 12
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