Métrique en Ligne
LCA_2/LCA112
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
MÉDITATIONS ET CANTIQUES
NUIT SUR LES ÉCRITURES
La colline a sombré dans l'horreur solitaire, 12
Et la Nature a pris une noire beauté : 12
La lune, à l'éclatant et terrible mystère, 12
Ne montre pas ce soir sa face d'Astarté. 12
5 Mais, comme des regards jetés par d'autres mondes 12
Vers ce vieux monde, où l'homme a son précaire abri, 12
Des scintillations vivantes et profondes 12
Fourmillent dans la paix de l'éther assombri. 12
Je suis seul : et ma lampe a ses deux flammes droites 12
10 Quelque chose est dans l'air, dont je sens la frayeur ; 12
De mon humanité les limites étroites 12
S'effacent : je verrai de ta gloire, Seigneur ! 12
Sous mes doigts les feuillets se tournent, des Saints Livres 12
Voici flotter l'odeur des vignes d'Engaddi… 12
15 Les hommes d'aujourd'hui, de ténèbres sont ivres : 12
Faisons-les ressurgir vers l'éternel midi ! 12
Il plane autour de moi d'invisibles présences. 12
Je vous appelle, ô Dieu, de mon ardent poumon : 12
Donnez-moi, contemplant les séraphiques danses, 12
20 Les éblouissements des nuits de Salomon… 12
Ah ! que m'apportez-vous, mon Épouse, Sagesse ? 12
Je suis lourd de tristesse et de ressouvenirs… 12
Faites-moi savourer, ma divine maîtresse, 12
Votre beauté céleste et vos saints élixirs 12
25 Montrez-moi l'origine éternelle des Êtres, 12
Les cycles jaillissant du Verbe, d'un élan ; 12
La pullulation d'innombrables Ancêtres, 12
Des flancs de l'Ève immense et de l'immense Adam. 12
Qu'en esprit je m'unisse aux premiers Patriarches, 12
30 Levant leurs bras dans les minuits Iduméens ; 12
Autour de l'Arche en feu que je suive les marches 12
De Moïse, et du peuple abrité sous ses mains. 12
M'auréolant d'éclairs que je me mêle aux trombes 12
Du Sinaï terrible, annonçant le Thabor ; 12
35 Extase de mon Dieu, que devant moi tu tombes 12
Sur David, au milieu des candélabres d'or. 12
Et dites-moi surtout ce que l'Ecclésiaste, 12
Le Prince de la Paix, Seigneur, a fait tenir 12
D'oracles fulgurants dans ce Cantique chaste. 12
40 Où ses yeux de colombe embrassaient l'avenir. 12
— La nuit silencieuse absorbe mes paroles… 12
O Seigneur, vous tentez, peut-être, votre Roi. 12
Il s'en ira demain, riche de paraboles, 12
Par vous-même investi, sacré de votre effroi. 12
45 Apocalypse large, ô gouffres johanniques, 12
Ouvrez-vous, rayonnez pour lui, divin séjour, 12
Anges, revêtez-le de vos blanches tuniques. 12
Archanges, mitrez-le de splendeur et d'amour ! 12
Vous lui ferez des traits brûlants et diaphanes. 12
50 Il centrera nimbé dans les temples : mais vous, 12
Si l'Épouse l'attend dans vos profonds arcanes, 12
A travers Lui, Seigneur, vous resterez l' Époux. 12
Promenez son esprit dans les similitudes. 12
Qu'il vous élève un jour l'autel sur les hauts Lieux, 12
55 Qu'il vous suive parmi toutes vos solitudes, 12
En courbant devant vous. Dieu vivant, tous les Dieux. 12
Oui, répandez sur lui mille cornes, du baume 12
Dont l'or liquide et doux nous vient des oliviers ; 12
Qu'il soit un constructeur de l'immortel Royaume ; 12
60 Que la haine et le mal s'éteignent à ses pieds ! 12
Que même les méchants implorent sa prière ! 12
Que, mêlant à l'ardeur des roses la candeur 12
Des lys, parlant avec des gestes de lumière, 12
Il soit l'harmonieux Réconciliateur… 12
65 Tel je rêve, égaré dans vos sacrés abîmes. 12
Et, me sentant grandir parfois immensément, 12
Je reconquiers, guerrier aux victoires opimes, 12
Les mystères cachés dès le commencement. 12
Et, plein du grand passé, plein des choses future 12
70 Entre ma calme lampe et tout le ciel qui luit, 12
Sans pouvoir détacher mes yeux des Écritures, 12
Je laisse avec lenteur se consumer la nuit. 12
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