Métrique en Ligne
LCA_2/LCA110
Louis LE CARDONNEL
CARMINA SACRA
1912
MÉDITATIONS ET CANTIQUES
A UNE CARMÉLITE
Le seuil mélancolique, enfin, s'est refermé ! 12
Et tu peux contempler, d'un long regard d'épouse, 12
Pâle sur une Croix, l'Époux, le Bien-Aimé, 12
Qui, de ton âme forte, et si douce, charmé, 12
5 Fera peser sur toi sa tendresse jalouse. 12
D'un fervent, d'un vivace amour tu l'aimeras, 12
Et quand, pour t'exercer par de terribles feintes, 12
Il semblera s'enfuir à jamais de tes bras, 12
Vers ton cœur nuptial tu le ramèneras 12
10 Par l'héroïque attrait des patiences saintes. 12
Il te l'a dit Lui-même : et lu n'as pas frémi ! 12
Il te demandera de ton sang pour les crimes, 12
Dont l'enivrement lourd tient le monde endormi. 12
Il te faudra répondre aux désirs de l'Ami, 12
15 Qui, Victime, avec Lui ne veut que des victimes. 12
Afin que le Ciel trouve où décharger ses coups. 12
Tu seras une hostie aimante et volontaire. 12
Une vivante cible offerte à ses courroux. 12
Entends tous les pécheurs te crier : sauve-nous ! 12
20 Et tombe dans la nuit, la face contre terre. 12
Lutte, lutte avec Dieu mystérieusement, 12
Pour que ton siècle soit lavé de ses folies, 12
Pour changer en pardon l'horreur du châtiment. 12
Deviens un autre Christ et, sans tressaillement, 12
25 Bois ; le regard au ciel, d'épouvantables lies. 12
Mais, ivre du vin fort de l'abnégation, 12
D'abord, Fille du cloître, aime ta Règle dure ; 12
Et, comme au jour sacré de ta Profession, 12
En pensant à l'éclat de la sainte Sion, 12
30 Sens ton cœur s'embraser sous la robe de bure. 12
Exulte sous le poids des austères devoirs. 12
Chéris l'isolement dans l'étroite cellule. 12
Le petit jardin clos, les blancs et sourds parloirs. 12
Glisse, telle une morte, à travers ces couloirs, 12
35 Où le clair midi même est comme un crépuscule. 12
Reviens, les pieds glacés, des matines d'hiver, 12
Taciturne parmi toutes ces taciturnes 12
Dont les reins sont serrés d'une chaîne de fer ; 12
Et lève-toi, la Croix à la main, si l'Enfer 12
40 Voulait t'épouvanter de ses terreurs nocturnes. 12
Et, même dans l'ardeur des plus mornes étés, 12
Alors que le dégoût te fait la bouche amère 12
Dans les tentations, dans les aridités. 12
Conserve le secret des candides gaîtés, 12
45 Ainsi que le voulait ta bienheureuse Mère. 12
Puis un jour, t'élançant hors des stalles du chœur, 12
Palpite à l'avant-goût de l'éternelle Vie : 12
Que l'immortel Amour fonde sur toi vainqueur ; 12
Que ton visage soit de flamme, que ton cœur, 12
50 Comme une cire, au feu d'en-haut se liquéfie. 12
Ainsi que dans une anse où se pressent les flots, 12
Laisse en toi déborder le grand Dieu qui t'assaille ! 12
Les yeux, devant l'éclat qui l'environne, clos, 12
Souris, le sein gonflé de sublimes sanglots. 12
55 Et, d'une défaillance adorable, défaille. 12
Ou, vers les fulgurants abîmes de splendeur 12
Qui creusent devant toi leur gloire illimitée, 12
Dresse-toi brusquement, de toute ta hauteur ; 12
Et, dans l'air répandant une extatique odeur, 12
60 Sois vers le vrai Soleil avec fougue emportée ! 12
Et puis, tranquillement, retourne à l'humble effort : 12
Après tant de grandeur trouve-toi plus petite. 12
Boucle autour de ta chair le cilice qui mord ; 12
Dis amoureusement : la souffrance ou la mort ! 12
65 Sois celle qui combat sans trêve et qui mérite. 12
D'une corde aux nœuds lourds serre et meurtris ton flanc 12
Et, pour l'éternité, que ton âme fleurisse 12
Comme une belle rose ardente au cœur sanglant. 12
Au sommet du Carmel solitaire et brûlant, 12
70 Vierge thérésienne, ô Renonciatrice. 12
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