Métrique en Ligne
LAP_8/LAP109
Victor de LAPRADE
LES VOIX DU SILENCE
1864
XVII
COUCHER DE SOLEIL
Voilà le soleil qui décline ; 8
Le jour s’est déjà retiré 8
Du ravin et de la colline ; 8
Le grand mont seul reste éclairé. 8
5 L’ombre a noirci la plaine entière, 8
Tout le pays d’où je reviens, 8
L’étang, le clocher, la chaumière, 8
Tout lieu cher dont je me souviens, 8
Les nids épars de mes colombes, 8
10 Mes verts sentiers près du ruisseau, 8
Le champ où mes morts ont leurs tombes, 8
L’humble ville où j’eus mon berceau. 8
La nuit reprend, de place en place, 8
Tout mon Éden, tous mes beaux jours ; 8
15 Plus rien n’a conservé ma trace ; 8
L’oubli s’est fait sur mes amours. 8
Je cherche, en vain, dans l’étendue 8
Un doux rêve, un tableau joyeux ; 8
La brume est déjà répandue 8
20 Sur mon cœur, comme sur mes yeux. 8
Si je veux, dans sa clarté pleine, 8
Revoir le soleil créateur, 8
Je tourne le dos à la plaine 8
Et regarde vers la hauteur ; 8
25 Et, sans plus fouiller ma mémoire, 8
Au-devant du monde futur 8
Je vole, oubliant mon histoire, 8
Je nage à travers l’esprit pur. 8
Là-haut je retrouve une aurore : 8
30 En vain, le monde est rembruni, 8
Je vois, j’aime et j’espère encore, 8
Dès que j’aperçois l’infini. 8
Je garde, au couchant de mon âme, 8
Un clair sommet dans un ciel bleu, 8
35 Un phare, un rayon, une flamme… 8
C’est votre pensée, ô mon Dieu ! 8
C’est l’amour, le beau manifeste 8
Qui brille en moi quand tout est noir, 8
C’est l’éternel vrai que j’atteste 8
40 En fermant les yeux pour le voir ; 8
C’est la clarté surnaturelle 8
Qui vers les hauts lieux me conduit, 8
Jour que mon âme porte en elle 8
Et qui n’aura jamais de nuit. 8
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