Métrique en Ligne
LAP_8/LAP106
Victor de LAPRADE
LES VOIX DU SILENCE
1864
XIV
L’HÉRITAGE
Au modeste enclos des ancêtres, 8
Qui sait borner son horizon ? 8
Sous un toit fidèle à ses maîtres, 8
Qui meurt fidèle à sa maison ? 8
5 Qui peut, tête blonde, ou front chauve, 8
Retrouver son nid, ou son port, 8
Et dormir dans la même alcôve 8
Du lit de noce au lit de mort ? 8
Plus d’autre immuable héritage 8
10 Que le désir et la douleur ; 8
Le vent qui tourmente notre âge 8
Rase une tour comme une fleur ! 8
Il faut dresser, plier sa tente, 8
Tout changer, d’hier à demain ; 8
15 Entre les regrets et l’attente, 8
Flotte, hélas ! pauvre cœur humain ! 8
Aux vieux murs des aïeux que j’aime 8
J’adhère, en vain, lierre obstiné ; 8
L’ouragan m’a saisi moi-même, 8
20 Et me voilà déraciné. 8
Où donc le jardin, la tourelle, 8
La vigne et le préau joyeux ? 8
Où donc l’église maternelle, 8
Les berceaux, les tombeaux d’aïeux ? 8
25 Je n’ai plus de ces biens antiques, 8
Nomade, errant je ne sais où, 8
Rien, hormis ces humbles reliques 8
Que l’on peut suspendre à son cou. 8
Je dors sous des toits éphémères 8
30 Où jamais je ne reviendrai ; 8
Mais j’emporte, au moins, de mes pères 8
Leur âme… et je la garderai ! 8
Je vis par eux ; en leur présence, 8
J’interroge, et leur vieille foi 8
35 Me répond dans ma conscience… 8
Et le passé résiste en moi. 8
Avec eux, je rêve sans cesse 8
D’un grand manoir, sur les sommets, 8
Où nous vivrons dans l’allégresse, 8
40 Sans plus nous séparer jamais. 8
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