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LAP_7/LAP83
Victor de LAPRADE
IDYLLES HÉROÏQUES
1858
ROSA MYSTICA
LIVRE TROISIÈME
BÉATRIX
Mon nom est allégresse, heureux qui le prononce ! 12
Venez dans mes jardins où l’on est transformé ; 12
J’écarterai de vous les cailloux et la ronce. 12
Cueillez votre bonheur où Dieu vous l’a semé. 12
5 Pour entrer dans la gloire, où je veux vous conduire, 12
C’est peu d’avoir souffert, si l’on n’a pas aimé, 12
Si l’on n’a pas compris le ciel dans un sourire ; 12
Si des yeux, précurseurs du soleil idéal, 12
Pour vous montrer le but, n’ont commencé de luire. 12
10 Souris donc, et rougis sur le rosier natal, 12
Comme une aube éveillant l’espérance immortelle, 12
Donne, ô mystique fleur, donne l’oubli du mal 12
À l’ami douloureux qui prie et qui t’appelle. 12
L’amour de Béatrix, le tien, ma jeune sœur, 12
15 Exhale en ses parfums, l’esprit qui renouvelle. 12
Laisse à ton bien-aimé respirer tout ton cœur. 12
ROSA MYSTICA
Ordonnez, mon Dieu, je suis prête 8
Au plaisir comme à la douleur ; 8
Ordonnez, et ma main discrète 8
20 Cueillera la ronce ou la fleur. 8
Mais, par cette croix que j’embrasse, 8
Cette croix, mon souverain bien, 8
Laissez, comme un don de la grâce, 8
Laissez-moi ce chaste lien ; 8
25 Vous pouvez donner ou reprendre, 8
Mon Dieu ! mais, au moins pour un jour, 8
Permettez cette amitié tendre 8
À mon cœur plein de votre amour. 8
Faites, sur la route éclaircie 8
30 Où va cet homme triste et doux, 8
Que son cœur au mien s’associe 8
Pour des œuvres dignes de vous. 8
BÉATRIX
Il est d’heureux devoirs, s’il en est de sévères. 12
Nul, sans qu’une fleur brille au bord de son chemin, 12
35 N’a marché vers le ciel même sur nos calvaires. 12
La terre a son Éden permis au cœur humain, 12
Où chaque brise apporte à l’âme une caresse ; 12
Moi, qui l’ai traversé, je vous y tends la main. 12
Donnez une heure encore à sa féconde ivresse. 12
40 La douleur, devant Dieu, n’a toute sa beauté 12
Que dans l’homme, investi de force et de tendresse, 12
Qui connaît le plaisir et qui l’a rejeté. 12
Vous, donc, que Dieu destine à son amer calice, 12
Allez, dans mes jardins, sourire en liberté, 12
45 Allez parer vos cœurs avant le sacrifice. 12
VOIX DE LA TERRE
Goûtez à tous mes fruits ! des plaines aux vallons, 12
Glanez sur les hauts lieux, à tous mes échelons, 12
À travers l’ombre, ou dans les flammes. 8
En marchant vers demain, jouissez d’aujourd’hui ! 12
50 Premier degré du ciel, la terre a, comme lui. 12
Des lieux de repos pour les âmes. 8
Dieu ne m’a pas donné ces fruits d’or, ces prés verts, 12
Pour n’être pas cueillis, pour demeurer déserts. 12
À mes jardins il faut des hôtes. 8
55 Épuisez-moi, d’abord, de mes dons les meilleurs ; 12
Puis, s’il est une voix qui vous invite ailleurs, 12
Partez pour des sphères plus hautes. 8
LES FLEURS DES BOIS
Venez ! voici, dans nos bois, 7
Les beaux mois 3
60 Où l’on aime, où l’on médite. 7
Dieu, qui répand sur nos fleurs 7
Leurs couleurs. 3
Dieu veut que l’on nous visite. 7
Venez ! la rose, aujourd’hui, 7
65 Meurt d’ennui, 3
Sur le buisson qui l’enchaîne, 7
De n’ouïr que les ruisseaux, 7
Les oiseaux, 3
Ou la voix grave du chêne. 7
70 Comme elle aurait de plaisir 7
À saisir. 3
En frémissant sur sa tige, 7
Un souffle, au moins, plus vivant 7
Que le vent, 3
75 Votre haleine qui voltige. 7
Elle aspire à recevoir, 7
Pour ce soir, 3
Sur sa corolle embrasée, 7
Une larme de vos yeux… 7
80 L’aimant mieux 3
Qu’une coupe de rosée. 7
Quand frappe à leur front vermeil 7
Le sommeil, 3
Oui, les fleurs seraient heureuses 7
85 D’écouter et d’assoupir 7
Un soupir 3
De vos lèvres amoureuses. 7
Les bois aiment la chanson 7
Du pinson ; 3
90 Mais, pour le chêne lui-même, 7
Rien ne vaut deux fraîches voix, 7
Mille fois 3
Répétant ces mots : Je t’aime ! 7
LES FONTAINES
La source, au pied du mont natal, 8
95 À l’abri du moindre zéphyre, 8
Comme un grand disque de cristal 8
Dans un cadre vert de porphyre, 8
Sous le chêne au feuillage noir, 8
Fraîche au milieu d’un air torride, 8
100 La source étale son miroir 8
Comme un acier pur et sans ride. 8
L’azur sombre en est si profond, 8
Si bien clos dans son lit de roche, 8
Qu’effrayé de ce puits sans fond 8
105 Jamais le chevreuil n’en approche. 8
Que sert le transparent bassin, 8
Si le cygne au long cou d’ivoire 8
Ne doit s’ébattre dans son sein, 8
Et si la biche n’y vient boire ? 8
110 Il attend de voir, à genoux 8
Sur la mousse qui l’environne, 8
Un couple aux yeux chastes et doux 8
Que le myrte amoureux couronne. 8
Ensemble ils viennent s’y pencher, 8
115 Mêlant noirs cheveux, boucles blondes ; 8
Leurs regards, prompts à se chercher. 8
Croisent deux éclairs sous les ondes. 8
Alors, animés par leurs yeux, 8
Le bassin, fait pour qu’on s’y mire, 8
120 De sombre devenu joyeux 8
S’illumine de leur sourire. 8
CHANT D’OISEAUX
Quand nous chantons nos amours, 7
Les vieux chênes sont-ils sourds ? 7
Non sans doute. 3
125 Mais à leurs pieds, par bonheur. 7
Dans l’ombre, un beau promeneur 7
Nous écoute. 3
On le devine à ses yeux, 7
C’est un amant soucieux, 7
130 Las d’attendre. 3
Charmez, oiseaux, son ennui, 7
Et trouvez un chant, pour lui, 7
Vif et tendre. 3
Battez de l’aile ! on entend 7
135 Deux soupirs, à chaque instant. 7
Se confondre. 3
Voici le bruit d’un baiser ; 7
Il va, sans plus s’apaiser. 7
Vous répondre. 3
KONRAD
140 Chantez pour nous ! chantez vos plus douces chansons. 12
Mes frères les oiseaux, et battez-nous des ailes. 12
Polissez le cristal de vos miroirs fidèles. 12
Fontaines au flot pur près de qui nous passons. 12
Et vous, lancez à flots l’odeur qui nous enivre, 12
145 Rosiers pleins de soleil, chèvrefeuille et jasmin ; 12
Voici, les yeux baissés et sa main dans ma main, 12
La reine de mon cœur qui consent à me suivre. 12
Unissez vos splendeurs pour nous faire un beau jour ; 12
Rayonnez, embaumez, chantez d’une voix tendre. 12
150 S’il faut des cœurs émus pour savoir vous entendre, 12
Ô nature, en voici tout palpitants d’amour ! 12
CANTIQUE
J’ai respiré, dans une rose, 8
L’odeur du ciel ; 4
Toute larme dont je l’arrose 8
155 Y fait son miel. 4
C’est mon bon ange ! elle se voue 8
À ma douleur… 4
Par l’éclat vermeil de sa joue, 8
C’est une fleur. 4
160 Ni le velours qui sur la pêche 8
Brille un matin, 4
Ni la rose-thé la plus fraîche, 8
Ni le satin. 4
Ni le lotus au blanc calice, 8
165 De l’onde issu. 4
N’ont de sa peau suave et lisse 8
Le fin tissu. 4
Quand sa main, qu’elle m’abandonne, 8
Vient à s’ouvrir. 4
170 Ma lèvre, en y touchant, frissonne, 8
Je crois mourir ! 4
Mais, ce qu’au monde rien n’égale, 8
Âme ni fleur, 4
C’est l’encens que son âme exhale 8
175 Dans chaque pleur. 4
Ce chaste encens m’apporte un rêve 8
Tout plein de Dieu. 4
Et, comme un nuage, il m’enlève 8
Dans le ciel bleu. 4
180 Ce mystique parler que j’aime 8
Dans son ardeur, 4
Fait oublier sa beauté même 8
Pour sa pudeur. 4
Si bien qu’à sa voix tout se calme 8
185 Et se soumet… 4
Je n’aperçois plus qu’une palme 8
Sur un sommet. 4
ROSA
Hier, ces doux noms que je t’inspire, 8
Ces doux aveux, en qui j’ai foi, 8
190 M’auraient fait trembler ou sourire, 8
Prononcés par d’autres que toi. 8
Je les accepte de ta bouche ; 8
Sans chercher, dans mon propre cœur, 8
D’où vient que ton accent me touche, 8
195 Pourquoi je veux être ta sœur. 8
Calme et fort dans sa confiance, 8
Ce cœur, rassuré d’aujourd’hui. 8
Sent que vers ton âme il s’élance, 8
Et que ton âme vient à lui. 8
200 Dieu nous a poussés l’un vers l’autre, 8
Il a sur nous d’heureux desseins ; 8
Aimons, pour sa gloire et la nôtre, 8
Aimons, comme ont aimé les saints. 8
KONRAD
Oui, c’est Dieu que j’entends à travers ta parole ! 12
205 C’est Dieu qui par tes mains me touche et me guérit, 12
Qui, des feux de ce jour, t’allume une auréole, 12
Qui para cet Éden où notre amour fleurit ; 12
Lui qui préfère aux lis, dont le baume l’encense, 12
Qui respire ton âme en ce fervent essor ; 12
210 Lui qui, pour m’enivrer, fit, de sa propre essence, 12
La nature si belle et toi plus belle encor. 12
Avant l’heure où ton cœur, débordant sur les cimes, 12
Eût transformé ces bois, où j’ai tant soupiré, 12
Avant de t’y conduire, ô toi qui les animes, 12
215 Je n’avais rien senti, rien vu, rien admiré ! 12
Un arôme inconnu sort, aujourd’hui, des roses ; 12
Les oiseaux sont plus vifs et plus mélodieux ; 12
Des rayons tout nouveaux ont brillé sur les choses, 12
Depuis que j’y regarde aux flammes de tes yeux. 12
220 Je voyais tout, jadis, comme à travers un rêve 12
Où l’on flotte indécis sur un vague sentier ; 12
Mais tout prend forme et vie au soleil qui se lève ; 12
Je sens de mon chaos jaillir un monde entier. 12
J’entends une parole et non plus un murmure ; 12
225 Aux flancs noirs des ravins coule à flot le vrai jour. 12
Ton cœur m’a fait connaître, éclairant la nature, 12
L’infini qui se cache aux esprits sans amour. 12
ROSA
Mon cœur, à moi, s’y renouvelle 8
Dans ces bois que tu fais chérir ; 8
230 Alerte comme l’hirondelle, 8
Je sens mes ailes se rouvrir. 8
Je retrouve, en ces lieux tranquilles. 8
Tous mes joyaux les plus prisés ; 8
Je n’ai rien laissé dans les villes, 8
235 Sinon les fers que j’ai brisés. 8
À tes côtés, sur les bruyères, 8
Je m’agenouille avec émoi ; 8
Comme s’il cueillait mes prières, 8
J’y sens Dieu s’incliner vers moi. 8
240 Loin des hommes, plus lu m’entraînes 8
Vers ces sommets couronnés d’or, 8
Plus, dans ces régions sereines, 8
Plus je voudrais monter encor, 8
Ce chemin par où l’on s’élève 8
245 Dans l’azur qui baigne les monts, 8
Chaque nuit je le fais en rêve, 8
Depuis le soir où nous aimons. 8
À ton bras joyeuse, il me semble 8
Que, dans l’air lumineux et chaud, 8
250 Nous montons, nous volons ensemble, 8
Disant : plus haut, toujours plus haut ! 8
Là, nous écoutons, sans mystère, 8
Des voix, qu’on ne pouvait saisir, 8
Troublé qu’on était sur la terre, 8
255 Par la douleur ou le plaisir. 8
Puis, bercés dans un or fluide, 8
Enivrés d’exquises senteurs, 8
Nous descendons, d’un vol rapide, 8
Pour nous poser sur ces hauteurs. 8
VOIX DES SOMMETS
260 Donnez l’essor à votre âme. 7
Elle aspire aux grands sommets ; 7
Des sens éteignez la flamme 7
Avec l’onde et le dictame 7
Et le miel que je promets. 7
265 Fuyez l’humaine malice ; 7
Et, loin d’un monde envieux, 7
Apportez, comme un calice, 7
Pour que rien ne le ternisse, 7
Votre amour sur les hauts lieux. 7
270 Sa tente est sous le mélèze 7
Près des flots immaculés ; 7
Le cœur y respire à l’aise 7
Et l’air léger vous apaise 7
Sur les gazons non foulés. 7
275 De l’aigle et de la lumière 7
Ce mont est le vrai séjour ; 7
Il est fait pour la prière, 7
Pour la vertu libre et fière… 7
Il est fait pour votre amour. 7
280 Les oiseaux, la brise et l’onde 7
Entendront seuls votre aveu ; 7
Ma forêt vierge et profonde 7
Vous cache aux regards du monde, 7
Mais vous laisse voir à Dieu. 7
KONRAD
285 Comme on respire bien sur nos Alpes sublimes ; 12
Leur souffle est plein de force et de sages conseils. 12
Lorsqu’on rêva d’atteindre aux héroïques cimes, 12
Qu’on est bien, pour aimer, sous ces chastes soleils ! 12
Livre, ô blanche Yung-Frau, livre-nous ton domaine ; 12
290 Soutiens, sur les degrés d’azur et de cristal, 12
Porte, comme une sœur, l’ange que je t’amène. 12
Elle est digne d’avoir ton front pour piédestal. 12
Comme ta neige vierge où l’aigle seul s’abreuve, 12
Son amour, éteignant l’ardeur des faux plaisirs, 12
295 Verse au cœur, à travers les sentiers de l’épreuve, 12
Un torrent qui l’exalte en ses nobles désirs. 12
Elle a rendu meilleurs tous ceux qui l’ont aimée ; 12
Et rien qu’en l’écoutant, sans vivre sous sa loi, 12
En respirant de loin cette rose embaumée, 12
300 L’âme s’ouvre à sa grâce et désire la foi. 12
Son sourire a brillé sur mes doutes funèbres. 12
Frappant le noir essaim, comme un rayon vainqueur, 12
Ce soleil a chassé les oiseaux de ténèbres, 12
Et l’aube du vrai jour se lève dans mon cœur. 12
305 Je vois mes horizons et mes regards s’étendre ; 12
Un glaive mieux trempé s’affermit sous mes doigts ; 12
Plus fort dans mes périls, je reste aussi plus tendre, 12
Et sais mieux me donner, partout où je me dois ! 12
Quand elle sent mon cœur qui gronde et qui déborde, 12
310 Elle en calme les flots, mais sans lutter contre eux ; 12
Elle sait diriger, en sa miséricorde, 12
Ce trop-plein de l’amour sur tous les malheureux. 12
Va, mon cœur et mes sens te resteront dociles ; 12
Guide-moi vers ton ciel, à travers cent combats ; 12
315 Montre-moi le chemin des vertus difficiles 12
Et dont la récompense est ailleurs qu’ici-bas. 12
Près d’une autre que toi, cette soif qui m’altère, 12
Dans un oubli moins pur et moins audacieux, 12
Eût imploré l’ivresse et le miel de la terre, 12
320 Mais à toi, Béatrix, on demande les cieux. 12
Le dieu que l’on poursuit à travers toute femme, 12
L’Éternel invisible à mes yeux s’est montré, 12
Éclairant, tout à coup, des sphères de mon âme 12
Où le soleil encor n’avait pas pénétré. 12
325 Béatrix, ô lumière, à toi de me conduire ! 12
Ne me retire pas ce rayon qui m’a lui ; 12
C’est par l’échelle d’or de ton pieux sourire 12
Que Dieu descend vers moi, que je monte vers lui. 12
ROSA
Ton cœur a trouvé des paroles 8
330 Qui m’étreignent comme un lien ; 8
Je sens d’ardentes auréoles 8
Enlacer ton front et le mien. 8
À travers cette ivresse austère, 8
J’ai possédé, dans un moment, 8
335 De quoi répandre sur la terre 8
Un siècle de ravissement. 8
À qui voit ton âme profonde, 8
À qui t’aima sur ces sommets, 8
Va, tous les amours de ce monde 8
340 Sont impossibles désormais. 8
Après ce jour tout autre est vide ! 8
Je veux, quel que soit l’avenir, 8
Comme au fond d’une Thébaïde, 8
M’enfermer dans ce souvenir. 8
345 L’aumône seule et la prière 8
Auront accès dans ce saint lieu ; 8
Pour rester à toi plus entière, 8
Je veux être tout à mon Dieu. 8
Je veux souffrir pour qu’il s’apaise, 8
350 Te comptant chacun de mes pleurs. 8
Je veux porter ce qui te pèse, 8
Tout le fardeau de tes douleurs. 8
Laisse-moi ma chaîne éternelle ; 8
Rien ne saurait la délier. 8
355 Toi, pour aller où Dieu t’appelle. 8
Reste libre de m’oublier. 8
Et si, jamais, un cœur plus digne 8
T’offrait de plus belles amours, 8
Aime une autre, je m’y résigne, 8
360 Et tu seras béni toujours. 8
Au ciel on n’a pas de rivales ; 8
Tout est si grand, tout est si pur ! 8
Les âmes sont toutes égales 8
Devant Dieu dans l’immense azur. 8
365 Tu m’y reconnaîtras, je pense, 8
Aux ardeurs vives de ma foi. 8
Et j’irai, pour ma récompense, 8
M’asseoir, là-haut, plus près de toi. 8
KONRAD
Où cherches-tu le ciel ? nous l’avons dans nos âmes ! 12
370 Ici point de regrets ou d’espoirs superflus ; 12
Le passé, l’avenir, c’est l’heure où nous aimâmes… 12
Pour mon cœur, désormais, le temps n’existe plus. 12
Restons ici ! je veux éterniser cette heure. 12
Dans l’ivresse et la paix du bonheur assuré, 12
375 Je veux, à notre amour, bâtir une demeure 12
Sur la cime où par toi je fus transfiguré. 12
LE VENT DU CIEL
Passez, le vent du ciel emporte encor ce rêve. 12
Toute paix, ici-bas, n’est qu’un moment de trêve. 12
L’amour habite ailleurs ; 6
380 Nul n’a bâti son temple et fixé son extase. 12
Partez, mais conservez le feu qui vous embrase 12
Pour un monde meilleur. 6
Je vous ramène à l’œuvre à qui Dieu vous envoie. 12
Reprenez le fardeau, chacun sur votre voie ; 12
385 Marchez-y sans remord. 6
Vous savez bien qu’un soir je dois venir encore 12
Vous enlever tous deux vers l’ineffable aurore, 12
Dans les bras de la mort. 6
Endormis et flottants sur mon souffle paisible, 12
390 Vous vous réveillerez sur le faîte invisible 12
Par Dieu même habité ; 6
Là seulement, payé du prix de votre attente, 12
Votre amour, dans les fleurs, pourra dresser sa tente 12
Et pour l’éternité. 6
UNE BRANCHE DE BRUYÈRE
395 À vos pieds, sur cette mousse 7
Verte et douce, 3
Une bruyère est en fleurs 7
Bruyère aux couleurs de rose, 7
Où se pose 3
400 Chaque perle de vos pleurs. 7
Cueillez-y fidèle et franche, 7
Cette branche 3
Qui scintille à vos regards ; 7
Et, la baisant d’une lèvre 7
405 Tout en fièvre, 3
Vous la romprez en deux parts. 7
Puisqu’en ce jardin céleste 7
Nul ne reste, 3
Qu’on fuit et sans revenir, 7
410 Emportez-la tout humide. 7
Comme un guide, 3
Cette fleur du souvenir. 7
Ouvrez au bouquet fragile 7
L’Évangile, 3
415 Ce garant de votre espoir ; 7
Placez-le près d’une image, 7
À la page 3
Que vous lisez chaque soir. 7
Et sur ce témoin des heures 7
420 Les meilleures 3
Où le soleil vous a lui, 7
Vos larmes, qu’à cette feuille 7
Dieu recueille, 3
Tomberont, comme aujourd’hui. 7
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