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LAP_6/LAP61
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE DEUXIÈME
VIII
FEUILLES, TOMBEZ
Déjà le vent, tant la saison est brève, 10
Sème la feuille autour de la forêt ; 10
Et des sentiers encor verts, où je rêve, 10
Sous le bois mort le gazon disparaît. 10
5 Arbres chéris ! plus d’ombre sous vos branches ; 10
La clarté pleut à travers leurs réseaux. 10
Sur cette mousse adieu les robes blanches, 10
Sur ces buissons adieu les gais oiseaux ! 10
Ainsi, mon cœur, dans les bois où tu songes 10
10 L’automne arrive et la bise a soufflé ; 10
Le jour s’est fait à travers leurs mensonges : 10
De nos plaisirs l’asile est dépeuplé. 10
La feuille tombe et les cimes jaunies 10
Laissent glisser de clairs mais froids rayons ; 10
15 Je n’entends plus nos vagues harmonies, 10
Je ne sens plus flotter nos visions. 10
Comme ces bois, en perdant ton mystère, 10
Tu vois la fin de tes rares beaux jours ; 10
L’automne, hélas ! si précoce, a fait taire 10
20 Le chœur ailé qui chantait les amours. 10
D’hiver chez toi le ciel avance l’heure ; 10
Il t’a banni de tes chères forêts ; 10
L’été s’en va !… mais qu’un autre le pleure. 10
Pour nous, mon cœur, point de lâches regrets. 10
25 Fais tes adieux à la folle jeunesse ; 10
Cesse, ô rêveur abusé si souvent, 10
De souhaiter que la feuille renaisse 10
Sur tes rameaux desséchés par le vent. 10
Ce doux feuillage obscurcissait ta route, 10
30 Son ombre aidait ton cœur à s’égarer ; 10
La feuille tombe, et, sillonnant la voûte, 10
Un jour plus pur descend pour t’éclairer. 10
Oui ! si les bois, l’ombrage aimé du chêne, 10
Ont trop caché la lumière à mes yeux, 10
35 Soufflez, ô vents ! que Dieu si tôt déchaîne, 10
Feuilles, tombez, laissez-moi voir les cieux ! 10
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