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LAP_6/LAP57
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE DEUXIÈME
IV
ASILE
À MON AMI AMÉDÉE HENNEQUIN
Non, le fatal ennui qui nous pousse au blasphème 12
Ne sera pas vainqueur ! 6
Pour échapper au monde et pour me fuir moi-même, 12
J’ai des ailes au cœur. 6
5 Je conserve immortels l’amour de la nature, 12
Votre amour, ô mon Dieu ! 6
Ce double asile, ouvert aux peines que j’endure, 12
Me reçoit en tout lieu. 6
L’homme sur votre nom, que l’univers atteste, 12
10 A répandu sa nuit : 6
J’irai vers le désert où votre empreinte reste, 12
Où votre beauté luit. 6
Le désert ! épanchant sur les âmes qui saignent 12
Des philtres embaumés, 6
15 Et faisant de mes pleurs que les humains dédaignent 12
Vos joyaux bien-aimés. 6
Le désert ! où Je puis ramasser votre manne, 12
Seigneur ! où votre loi 6
Rayonne dans l’éclair, ou de la fleur émane, 12
20 Et vient s’écrire en moi. 6
L’espoir coule à grands flots de ton sein, ô nature ! 12
L’eau vive du rocher 6
Calmant les nobles soifs qu’une source moins pure 12
Ne saurait étancher. 6
25 Mon cœur maudit le monde et l’ennui m’en exile ; 12
Toute ma foi s’y perd ; 6
Le poëte, à qui Dieu te donna pour asile, 12
Ressuscite au désert. 6
Oui, je comprends toujours l’esprit de vos feuillages, 12
30 Arbres mélodieux ! 6
Je trouve encor le sens des rapides images 12
Peintes au front des cieux. 6
Quand j’écoute chanter les nids et les fontaines, 12
Je suis heureux encor. 6
35 Entre les voix des mers et des forêts lointaines 12
Je démêle un accord. 6
J’aime encor, sur les flancs des montagnes désertes, 12
Sans songer au retour, 6
Joyeux des horizons et des fleurs découvertes, 12
40 Me perdre tout un jour. 6
Le soir, quand je reviens, plein de rêves sans nombre, 12
J’aime à voir en marchant 6
Le noir profil des monts découper sa grande ombre 12
Sur le soleil couchant. 6
45 Je tiens encor la clef des grandes harmonies, 12
L’âme des sons divers 6
Qui murmurent un peu des choses infinies 12
Dans l’étroit univers. 6
L’aspect de nos cités m’irrite et me désole : 12
50 Dieu ne s’y fait plus voir ; 6
Là, tout rire est amer, toute humaine parole 12
M’y souffle un désespoir. 6
Je vais aux champs ! Les prés, les oiseaux et les chênes, 12
Dès que l’homme s’est tu, 6
55 Tout me dit, m’invitant à des fêtes prochaines : 12
L’espérance est vertu. 6
Si j’ai cessé jamais d’adorer vos merveilles, 12
Ô terre, ô vastes cieux ! 6
Quand vos bruits n’apprendront plus rien à mes oreilles, 12
60 Vos couleurs à mes yeux ; 6
Quand mon cœur n’aura plus une voix qui réponde 12
À vos divers accords… 6
C’est que j’habiterai dans l’invisible monde, 12
Délivré de mon corps. 6
65 Nature ! et qu’au delà de ta dernière étoile, 12
En face de ton roi, 6
L’éternelle beauté, dont tu n’es que le voile, 12
Paraîtra devant moi. 6
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