Métrique en Ligne
LAP_4/LAP17
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE DEUXIÈME
VI
LA CIGALE
L’air pèse et brûle ; il n’est dans l’herbe et les épis 12
Bruit d’ailes ni murmures ; 6
Même les froids lézards se cachent assoupis 12
Au fond des gerbes mûres. 6
5 La feuille au loin se tait dans l’immobilité, 12
Pas un oiseau ne vole ; 6
La terre a vu tarir dans les bras de l’été 12
Sa sève et sa parole. 6
De la plaine embrasée où sont les habitants ? 12
10 La vie est-elle encore ?… 6
Oui, la nature veille, et, joyeux, je t’entends, 12
Ô cigale sonore ! 6
Ton cri sort des sillons brûlants et crevassés, 12
De l’orme aux branches sèches, 6
15 Parmi les chauds rayons qu’un ciel rouge a lancés 12
Aigus comme des flèches. 6
C’est toi qu’un doux vieillard, des voluptés épris, 12
Disait aux dieux pareille ; 6
Et l’homme de nos jours te ferme avec mépris 12
20 Son cœur et son oreille ! 6
En cercle les héros t’écoutaient autrefois 12
Comme un hymne dorique. 6
Qui donc s’est transformé de l’homme ou de ta voix, 12
Ô chanteuse homérique ? 6
25 Non, tu n’as rien changé, nature, à tes accents, 12
Ta musique est la même ; 6
Mais, pour trouver la clef de tes accords puissants, 12
Il faut d’abord qu’on t’aime. 6
Poète, je le sais : nul n’est vil à mes yeux 12
30 Des mille aspects de l’être ; 6
Tout cri révèle une âme, et mon cœur sérieux 12
L’accueille et s’en pénètre. 6
Viens, cigale ma sœur, et chante près de moi ; 12
Nul homme sacrilège 6
35 N’oserait, où je suis, porter la main sur toi ; 12
La muse te protège. 6
Moi, je me dis impur, si dans l’ombre en marchant 12
J’écrase un frêle insecte ; 6
Au chœur universel tout ce qui prête un chant, 12
40 Il faut qu’on le respecte : 6
Car la terre gémit, car Dieu même est chagrin 12
D’une note étouffée, 6
Et d’une voix qui manque à l’hymne souverain 12
Dont l’homme est coryphée. 6
logo du CRISCO logo de l'université