LIVRE PREMIER |
ARGUMENT
ÉDEN OU L’AGE D’OR. — BONHEUR PRIMITIF.
CHUTE DE L’HOMME.
I. Psyché s’éveille dans les jardins de l’Amour. — L’âme
humaine est placée par Dieu au sein d’une merveilleuse
nature appropriée à tous nos besoins. — L’être nouveau-né
sent la parole éclore sur ses lèvres, et répond de lui-même
aux harmonies du monde extérieur, qui le salue comme son
frère et comme son roi. — Toute la création parle à Psyché
d’un maître invisible et tout puissant, d’un époux à qui elle
est destinée. — Les pressentiments de l’âme, la révélation
intérieure lui avaient déjà promis cet époux divin. — Toutes
les voix de la nature, messagères de Dieu, annoncent à la
jeune fille la venue d’Éros. — Le soir, leurs noces mystiques
sont célébrées dans un palais ténébreux. — Il est interdit à
Psyché de chercher à voir son époux.
II. Bonheur de Psyché dans cette union de l’innocence et
de l’amour. — Félicité primitive de l’Éden fondée sur
l’ignorance du bien et du mal. — Intimité de l’homme avec
la nature et avec Dieu, dont il reçoit une révélation obscure
encore et incomplète par la voix de tous les êtres. —
Dialogue de Psyché avec les créatures toutes amies et
pacifiques ; elle les interroge sur l’époux invisible. —
L’attrait de l’inconnu, le besoin de l’infini, naturels au cœur
de l’homme, commencent à agiter l’épouse d’Éros au
milieu des douceurs de son union mystérieuse.
III. En vain le nocturne amant revient consoler Psyché ;
l’inquiétude de l’esprit et du cœur augmente. — Le désir de
connaître l’idéal invisible, de posséder l’infini trouble les
délices du chaste hymen. — En vain toute la nature invite
l’âme à la soumission, à la confiance ; l’implacable besoin
de savoir et de sentir, une curiosité mêlée de concupiscence
et d’orgueil l’emportent dans le cœur de Psyché sur la
tendresse et sur la crainte. — Elle transgresse l’ordre de
son époux et les lois du destin ; la lampe fatale est allumée.
— Psyché reconnaît, dans le Dieu qui la visite chaque nuit,
l’Amour, le plus beau, le plus puissant des dieux. — Touché
par une goutte d’huile brûlante, Éros se réveille et
prononce l’arrêt qui bannit Psyché et termine l’âge d’or. —
Ainsi s’est consommée la première faute à laquelle se
rattache l’origine de tout mal ; Ève a mangé le fruit
défendu ; la boîte de Pandore est ouverte ; la douleur est
entrée dans le monde. — Mais en proclamant la déchéance,
le dieu fait entrevoir un présage de réhabilitation. En
annonçant à Psyché les épreuves de l’exil, Éros laisse
tomber une larme, et, avec cette larme, la promesse de la
rédemption.
|
I |
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Le matin rougissant, dans sa fraîcheur première, |
12 |
|
Change les pleurs de l’aube en gouttes de lumière, |
12 |
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Et la forêt joyeuse, au bruit des flots chanteurs, |
12 |
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Exhale, à son réveil, ses humides senteurs. |
12 |
5 |
La terre est vierge encor, mais déjà dévoilée, |
12 |
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Et sourit au soleil sous la brume envolée. |
12 |
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|
Entre les fleurs, Psyché, dormant au bord de l’eau, |
12 |
|
S’anime, ouvre les yeux à ce monde nouveau ; |
12 |
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Et, baigné des vapeurs d’un sommeil qui s’achève, |
12 |
10 |
Son regard luit pourtant comme après un doux rêve. |
12 |
|
La terre avec amour porte la blonde enfant ; |
12 |
|
Des rameaux par la brise agités doucement, |
12 |
|
Le murmure et l’odeur s’épanchent sur sa couche ; |
12 |
|
Le jour pose, en naissant, un rayon sur sa bouche. |
12 |
15 |
D’une main supportant son corps demi-penché, |
12 |
|
Rejetant de son front ses longs cheveux, Psyché |
12 |
|
Écarte l’herbe haute et les fleurs autour d’elle, |
12 |
|
Respire, et sent la vie, et voit la terre belle ; |
12 |
|
Et, blanche, se dressant dans sa robe aux longs plis, |
12 |
20 |
Hors du gazon touffu monte comme un grand lis. |
12 |
|
Les arômes, les bruits et les clartés naissantes, |
12 |
|
Les émanations de partout jaillissantes, |
12 |
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Ont envahi son âme, ébranlée un moment ; |
12 |
|
Et devant la nature elle hésite en l’aimant. |
12 |
25 |
Dans une langue, alors, que la vierge surprise |
12 |
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Sut comprendre et parler sans qu’elle l’eût apprise, |
12 |
|
Les fleurs et les oiseaux étant là seuls vivants, |
12 |
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Un invisible chœur chantait avec les vents : |
12 |
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CHŒUR INVISIBLE
|
« Viens, nous t’aimons déjà ; viens, ô douce inconnue ! |
12 |
30 |
La terre où tu manquais tressaille à ta venue. |
12 |
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Viens, habite avec nous ce monde jeune et pur ; |
12 |
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Nul être malfaisant n’en trouble encor l’azur. |
12 |
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Prends avec nous ta part de ses faveurs fécondes, |
12 |
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Goûte avec amitié ses épis et ses ondes. |
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35 |
Ses arbres innocents n’ont pas de fruits amers, |
12 |
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Et la douceur du miel coule au fond de ses mers. |
12 |
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Mêle au sien ton bonheur, et ta grâce à ses grâces ; |
12 |
|
Ses germes de beauté fleuriront sur tes traces. |
12 |
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Sois belle, sans rougir, dans ton jardin natal ; |
12 |
40 |
On n’y connaît pas plus la pudeur que le mal. |
12 |
|
Viens ! De tes frais pensers ne fais point de mystères |
12 |
|
A ces plantes, tes sœurs ; à ces oiseaux, tes frères. » |
12 |
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PSYCHÉ
|
« Que la lumière est douce ! et que l’air plein d’encens |
12 |
|
Baigne d’un flot sonore et pénètre mes sens ! |
12 |
45 |
Quel souffle harmonieux me caresse et m’enivre ! |
12 |
|
Et si la vie est telle, oh ! qu’il est bon de vivre ! |
12 |
|
Vivais-je avant cette heure ? ai-je vu ce soleil ? |
12 |
|
N’est-ce pas ma naissance et mon premier réveil ? |
12 |
|
J’ai bien, au fond du cœur, j’ai de vagues images ; |
12 |
50 |
Je revois des vallons, des fleuves, des rivages, |
12 |
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Où, le front couronné, j’allais, fille de roi, |
12 |
|
Guidant au bord des eaux des vierges comme moi. |
12 |
|
Mais dans ce pâle monde aux formes indécises, |
12 |
|
Ni chansons, ni parfums ne flottaient sur les brises ; |
12 |
55 |
La terre était muette et le ciel sans clarté ; |
12 |
|
Et je n’y sentais pas la vie et la beauté. |
12 |
|
Ah ! j’ai dormi peut-être ! En un rêve encor sombre, |
12 |
|
De ce monde promis j’aurai vu passer l’ombre. |
12 |
|
Chœur des vivants, salut ! Salut, ô monde vrai, |
12 |
60 |
En qui je me réveille et dans qui je vivrai ! |
12 |
|
Terre, fleuves, oiseaux, divin peuple des êtres, |
12 |
|
Êtes-vous, dites-moi, mes hôtes ou mes maîtres ? |
12 |
|
Bruits, souffles embaumés, rayons, charme des yeux, |
12 |
|
Faut-il que je t’adore, ô monde harmonieux ! » |
12 |
|
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CHŒUR INVISIBLE
65 |
« Nous entourons d’amour la couche où tu reposes, |
12 |
|
Enfant, toi la plus belle et la reine des choses. |
12 |
|
Vois ! partout, dans ces bois, ces prés, sur ces hauteurs, |
12 |
|
Dans ces fleuves, il est pour toi des serviteurs. » |
12 |
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PSYCHÉ
|
« La terre à mon réveil portait, déjà parée, |
12 |
70 |
Les chênes, peuple antique, et la moisson dorée ; |
12 |
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Ces flots avaient coulé, ces rochers étaient vieux, |
12 |
|
Et la plus jeune fleur s’ouvrit avant mes yeux. |
12 |
|
Sans moi l’herbe a verdi, l’onde a trouvé sa pente ; |
12 |
|
Un autre ordonna tout, avant mon âme absente ; |
12 |
75 |
Un maître ici se cache, et si ce n’est pas toi, |
12 |
|
Ô voix de ces beaux lieux ! quel est donc notre roi ? |
12 |
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CHŒUR INVISIBLE
|
« Réglant l’être et la vie en un accord suprême, |
12 |
|
Le roi de cet empire asservit les dieux même ; |
12 |
|
Par lui, le fier lion rugit dans les forêts, |
12 |
80 |
Et les monstres des mers bondissent sous ses traits. |
12 |
|
Nous, tour à tour chantant, voix joyeuses ou graves |
12 |
|
Venant de lui vers toi, nous sommes ses esclaves. » |
12 |
|
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PSYCHÉ
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« J’ai gardé du sommeil un rêve, un rêve aimé, |
12 |
|
Éclos à la même heure où mon cœur fut formé : |
12 |
85 |
Une voix qui semblait descendre des collines |
12 |
|
M’appelait, m’invitait à des noces divines. |
12 |
|
Les vierges me paraient pour un hymen certain. |
12 |
|
Vers l’époux inconnu, roi d’un pays lointain, |
12 |
|
Entraînée, et cédant à d’invisibles charmes, |
12 |
90 |
J’allais avec amour, mais non sans quelques larmes. |
12 |
|
Le réveil, ces beaux lieux, ce jour qui luit sur moi, |
12 |
|
De mes désirs craintifs ont redoublé l’émoi. » |
12 |
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CHŒUR INVISIBLE
|
« Espère ! À son vrai but, comme la source vive |
12 |
|
À l’éternelle mer, toute espérance arrive. |
12 |
95 |
Chaque rêve et chaque ombre ont leur réalité. |
12 |
|
Viens ! par le jeune époux ce monde est habité ; |
12 |
|
C’est lui qui nous envoie, abrégeant ton attente, |
12 |
|
Au seuil de son palais saluer son amante. » |
12 |
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Et la voix s’éteignit ; mais le son prolongé |
12 |
100 |
Flottait encor dans l’air, de musique chargé. |
12 |
|
Sur l’haleine de l’onde et de l’herbe attiédie, |
12 |
|
Comme un soupir du sol montait la mélodie. » |
12 |
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|
Psyché, livrant son âme aux souffles merveilleux, |
12 |
|
Aux accords, aux rayons émanés de ces lieux, |
12 |
105 |
S’avance au bord du fleuve, et, dans sa marche lente, |
12 |
|
Écoute chaque oiseau, répond à chaque plante. |
12 |
|
La tendre sympathie illumine son œil ; |
12 |
|
Les cygnes et les lis lui rendent son accueil ; |
12 |
|
Flots et feuilles, près d’elle, ont un plus frais murmure, |
12 |
110 |
La terre abondamment exhale une odeur pure. |
12 |
|
Tous les êtres domptés semblent, pour sa douceur, |
12 |
|
L’adorer comme reine et l’aimer comme sœur. |
12 |
|
L’enfant partage entre eux les grâces du sourire, |
12 |
|
Et prend possession du fraternel empire ; |
12 |
115 |
Sa main des grands lions flatte les crins épais, |
12 |
|
— Car rien n’avait alors troublé l’antique paix ; |
12 |
|
Tout ce qui vit formait une seule famille. — |
12 |
|
Mille oiseaux par les bois suivent la jeune fille ; |
12 |
|
La mousse s’épaissit lorsqu’elle y veut s’asseoir. |
12 |
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120 |
Ainsi dans la vallée elle erra jusqu’au soir, |
12 |
|
Admirant tout, les fleurs, les cieux, et l’air sonore, |
12 |
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Et rêvant de ce roi qui se cachait encore. |
12 |
|
Or la nuit, déployant ses ailes de vapeurs, |
12 |
|
Ramène vers Psyché les invisibles chœurs ; |
12 |
125 |
C’est d’abord sur la brume une rumeur qui vole, |
12 |
|
Et le son rapproché devient une parole |
12 |
|
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CHŒUR INVISIBLE
|
« Voici l’heure d’hymen ! Nous précédons l’époux ; |
12 |
|
Il éteint les flambeaux de son bonheur jaloux. |
12 |
|
Revêtant ses plaisirs de calme et de mystère, |
12 |
130 |
Il attend pour aimer l’heure où s’endort la terre. |
12 |
|
Les petits des oiseaux, l’un sur l’autre serrés, |
12 |
|
Et l’abeille en sa ruche, et la cigale aux prés, |
12 |
|
Et les nappes d’azur que nuls souffles ne plissent, |
12 |
|
Et le vent dans sa grotte, et les bois s’assoupissent. |
12 |
135 |
Sur les insectes d’or les lis sont déjà clos, |
12 |
|
Et le dernier rayon est rentré sous les flots, |
12 |
|
Sans que bruits ou lueurs troublent sa paix suprême, |
12 |
|
La sainte volupté peut jouir d’elle-même. |
12 |
|
Que l’ombre sur ton front pleuve sans t’alarmer ; |
12 |
140 |
Viens, l’inconnu t’attend, viens, c’est l’heure d’aimer ! » |
12 |
|
|
Devant elle glissant comme un zéphyr paisible, |
12 |
|
Le chœur, chaînant toujours et toujours invisible, |
12 |
|
Sur sa trace écartait doucement les rameaux ; |
12 |
|
Et Psyché, telle on voit sur l’écume des eaux, |
12 |
145 |
Derrière un grand navire une fleur qui surnage, |
12 |
|
Suivait à son insu l’harmonieux sillage. |
12 |
|
Et le flot la porta vers le palais heureux ; |
12 |
|
Par la vertu des chants, il s’ouvrit devant eux. |
12 |
|
|
Or, sous les toits déserts les mêmes voix mystiques |
12 |
150 |
La conduisaient encore à travers les portiques ; |
12 |
|
Elle y semblait voguer sur des courants secrets ; |
12 |
|
Tel, sur le lac tombé, le rameau des forêts, |
12 |
|
Par des eaux qu’on dirait immobiles, sereines, |
12 |
|
Est poussé jusqu’au fond des grottes souterraines. |
12 |
155 |
La vierge ainsi s’avance, effleurant les tapis, |
12 |
|
Entre les murs jaspés de marbre et de lapis, |
12 |
|
Où de mille flambeaux, sous l’azur des arcades, |
12 |
|
L’or étincelle au front des blanches colonnades. |
12 |
|
Et l’invisible guide a déposé Psyché |
12 |
160 |
Sur le lit nuptial dans la pourpre caché. |
12 |
|
La voix expire alors, le palais devient sombre : |
12 |
|
L’enfant s’étonne et tremble, et pleure au sein de l’ombre ; |
12 |
|
Rien ne la distrait plus du trouble intérieur. |
12 |
|
Son innocence ajoute encore à sa frayeur. |
12 |
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165 |
Une autre voix bientôt monta dans ce silence, |
12 |
|
Un chant si doux, si plein de grâce et de puissance, |
12 |
|
Qu’auprès de sa musique, ornement de la nuit, |
12 |
|
Les premières chansons n’étaient rien qu’un vain bruit. |
12 |
|
C’est l’invisible roi du vallon de délices, |
12 |
170 |
Il vient de l’âme en fleur posséder les prémices ; |
12 |
|
C’est l’archer qui répand ses flèches en tout lieu, |
12 |
|
C’est l’époux, c’est Êros, c’est vous, ô jeune Dieu ! |
12 |
|
|
Ne crains pas, ô Psyché ! Dans cette nuit propice, |
12 |
|
Souffre en toi que l’espoir avec l’amour se glisse. |
12 |
175 |
Voici, voici l’époux : son visage est voilé, |
12 |
|
Mais son cœur à tes yeux s’est déjà révélé, |
12 |
|
Et tu peux, à travers l’ombre qui l’environne, |
12 |
|
Juger par ses trésors celui qui te les donne. |
12 |
|
Vois cette heureuse terre ! Est-ce un dieu sans amour |
12 |
180 |
Qui, pour don nuptial, t’offrit ce doux séjour ? |
12 |
|
Toute chose est à toi dans ce fécond royaume : |
12 |
|
Le chêne t’y doit l’ombre, et la rose le baume ; |
12 |
|
Le vent, l’onde et l’oiseau, tous bruits mélodieux, |
12 |
|
Sont nés pour ton oreille, et le ciel pour tes yeux ; |
12 |
185 |
Pour tes lèvres le miel, le lait, ce qui ruisselle |
12 |
|
A flot de chaque ruche et de chaque mamelle ; |
12 |
|
La mousse pour tes pieds, les gazons caressants, |
12 |
|
Tout est fait pour payer un tribut à tes sens. |
12 |
|
Lorsque tu parleras, partout dans les campagnes |
12 |
190 |
Des voix te répondront, tes fidèles compagnes. |
12 |
|
Chez les êtres vivants avec toi conviés, |
12 |
|
Tu pourras à ton gré choisir des amitiés. |
12 |
|
Durant le jour, souvent, la voix de l’époux même |
12 |
|
Te fera souvenir qu’il te suit et qu’il t’aime ; |
12 |
195 |
Et chaque soir ici tu viendras reposer |
12 |
|
Sur sa douce poitrine et goûter son baiser. |
12 |
|
Mais si tu ne veux voir s’effacer comme un songe |
12 |
|
Ces beaux lieux et l’extase où ce baiser te plonge, |
12 |
|
Ô Psyché ! n’ose pas, d’un flambeau curieux, |
12 |
200 |
Interroger d’hymen le lit mystérieux. |
12 |
|
Le destin plus puissant, et, sans doute, plus sage, |
12 |
|
Ne veut pas de l’époux te montrer le visage ; |
12 |
|
Mais livre-lui ton âme, enfant, et tu verras |
12 |
|
S’éveiller tout un monde éclos entre ses bras. |
12 |
|
205 |
Et les lèvres d’Éros touchant son front pudique |
12 |
|
Y déposent le sceau de l’union mystique. |
12 |
|
Bientôt la vierge laisse, en son trouble charmant, |
12 |
|
Sa ceinture tomber sous les doigts de l’amant, |
12 |
|
Et, parmi les soupirs et les baisers sans nombre, |
12 |
210 |
Les rites de l’hymen s’accomplirent dans l’ombre. |
12 |
|
|
Le palais nuptial brillait, plein de soleil, |
12 |
|
Au matin, quand Psyché, secouant le sommeil, |
12 |
|
Cherchait près d’elle Éros et lui parlait encore ; |
12 |
|
Mais le nocturne époux avait fui dès l’aurore. |
12 |
|
|
|
II |
215 |
Sur l’herbe encore humide et les cailloux d’argent, |
12 |
|
Psyché pose au hasard ses pieds, et va songeant, |
12 |
|
Et suit du souvenir la pente involontaire. |
12 |
|
Les plaisirs de la nuit, ces terreurs, ce mystère, |
12 |
|
Revivent à la fois dans son cœur retracés ; |
12 |
220 |
Elle tremble et rougit à ses propres pensers. |
12 |
|
La terre, ce matin, semble à ses yeux nouvelle, |
12 |
|
Et, sur les flots penchée, elle s’y voit plus belle ; |
12 |
|
Elle cherche avec crainte, avec ravissement, |
12 |
|
Les vestiges sacrés de l’invisible amant. |
12 |
225 |
Elle va regardant sous les eaux diaphanes, |
12 |
|
Dans les creux de rochers couverts par les lianes, |
12 |
|
Dans les touffes de fleurs, et dans l’ombre des bois, |
12 |
|
En tout lieu d’où s’échappe un parfum, une voix ; |
12 |
|
Et partout, du gazon, de l’eau, de la feuillée, |
12 |
230 |
Une voix lui répond par la sienne éveillée. |
12 |
|
|
PSYCHÉ
|
« C’est bien la même terre, et le même printemps |
12 |
|
Y verse un jour pareil aux mêmes habitants. |
12 |
|
Entre les mêmes fleurs, le fleuve aux couleurs tendres. |
12 |
|
De son mobile azur promène les méandres. |
12 |
235 |
Hier, un chant planait déjà sur ces roseaux ; |
12 |
|
La pourpre et l’or paraient les plumes des oiseaux ; |
12 |
|
Et cependant la nuit, sans m’en dire la cause, |
12 |
|
Semble avoir à ce monde ajouté quelque chose. |
12 |
|
J’ai vu ces gais bouvreuils, cet aigle au regard fier ; |
12 |
240 |
Tout m’est nouveau pourtant, tout m’est plus beau qu’hier |
12 |
|
Plus qu’hier la nature et me charme et m’invite ; |
12 |
|
Et comme dans mon cœur la sève y court plus vite ! » |
12 |
|
|
CHŒUR INVISIBLE
|
« C’est que le roi nous a visités cette nuit, |
12 |
|
L’époux mystérieux vers ta couche conduit ! |
12 |
245 |
C’est qu’il a, pour te voir, traversé son empire, |
12 |
|
Et répandu sur nous l’éclat de son sourire : |
12 |
|
Et chaque fois qu’il vient, puissant avec bonté, |
12 |
|
Il sème à pleines mains la vie et la beauté. » |
12 |
|
|
LES OISEAUX
|
« Il est des jours où l’air supporte mieux nos ailes ; |
12 |
250 |
Un mouvement plus doux berce les rameaux frêles ; |
12 |
|
Les grains au bord des champs s’épanchent par milliers, |
12 |
|
Et les fruits sont plus mûrs aux arbres familiers. |
12 |
|
Nos appels amoureux de plus loin se répondent ; |
12 |
|
Près des nids à bâtir mousse et duvets abondent. |
12 |
255 |
Les brebis ont laissé plus de laine aux buissons ; |
12 |
|
Les chênes sont peuplés de joyeuses chansons. |
12 |
|
Au roi qui fait pleuvoir tant de biens sur ses traces, |
12 |
|
A l’amant de Psyché, les oiseaux rendent grâces. » |
12 |
|
|
LES PLANTES
|
« Il est aussi pour nous des jours où tout fleurit |
12 |
260 |
Au souffle calme et chaud d’un invisible esprit ; |
12 |
|
Une poussière d’or jaunit les étamines, |
12 |
|
Des sucs plus nourrissants abreuvent les racines, |
12 |
|
L’épi laiteux jaillit et s’enfle sur le blé, |
12 |
|
Le nombre des bourgeons sur la branche est doublé |
12 |
265 |
Et, dans le sein des fleurs apportant des délices, |
12 |
|
Un doux vent l’un sur l’autre incline nos calices. |
12 |
|
Ce qu’alors nous puisons dans la terre ou le ciel, |
12 |
|
En nos veines devient parfum, couleur et miel ; |
12 |
|
La lumière et la sève à nos tiges affluent… |
12 |
270 |
Ô roi jeune et fécond, les plantes te saluent ! » |
12 |
|
|
LES SOURCES
|
« Il est des jours sacrés, des jours que nous aimons, |
12 |
|
Où la source descend plus pure au pied des monts ; |
12 |
|
Où, sur le sable fin, sans pluie et sans tourmente, |
12 |
|
L’onde semble dormir, et pourtant suit sa pente. |
12 |
275 |
Alors, nul flot n’écume et ne gronde en marchant ; |
12 |
|
Le peuple des forêts s’égaie à notre chant ; |
12 |
|
Le vent ne jette rien que fleur et vert feuillage |
12 |
|
Sur l’argent des graviers, sur l’or des coquillages ; |
12 |
|
Et mille êtres, mêlés par un amour fécond, |
12 |
280 |
S’agitent sous les eaux sans en troubler le fond. |
12 |
|
Et tu seras béni des sources éternelles, |
12 |
|
Toi qui gardes le calme et la fraîcheur en elles ; |
12 |
|
Toi qui, dans un seul lit, sais faire parvenir |
12 |
|
Toutes les gouttes d’eau se cherchant pour s’unir ; |
12 |
285 |
Toi par qui nous sentons, en notre onde ravie, |
12 |
|
Descendre la lumière et palpiter la vie. » |
12 |
|
|
PSYCHÉ
|
« Oh ! tout ce que j’entends et tout ce que je vois, |
12 |
|
Oiseaux, sources, forêts, mystérieuses voix, |
12 |
|
Oh ! dites-moi son nom, parlez-moi de mon maître ! |
12 |
290 |
Plus heureux que Psyché, vous l’avez vu peut-être ? |
12 |
|
Comme il charme le cœur, il doit charmer les yeux, |
12 |
|
Et sans doute il est bon, puisqu’il vous rend heureux. » |
12 |
|
|
LES OISEAUX
|
« S’il croît comme un grand chêne ou coule comme une onde, |
12 |
|
S’il descend comme l’air et le jour sur le monde, |
12 |
295 |
S’il habite le sein des grottes et des fleurs, |
12 |
|
S’il revêt comme nous la plume aux cent couleurs, |
12 |
|
S’il a tes cheveux d’or, ton front blanc et superbe, |
12 |
|
Sur deux pieds gracieux s’il effleure ainsi l’herbe, |
12 |
|
Ce n’est pas des oiseaux que tu peux le savoir ; |
12 |
300 |
Car nous l’avons aimé sans chercher à le voir. |
12 |
|
Mais nous reconnaissons à des signes fidèles, |
12 |
|
A l’air plus frémissant qui fait battre nos ailes, |
12 |
|
A notre chant plus pur, à nos baisers plus doux, |
12 |
|
Qu’un céleste pouvoir s’est approché de nous. » |
12 |
|
|
LES PLANTES
305 |
« Des habitants divers qui vivent à son ombre, |
12 |
|
Des oiseaux et des fleurs chaque arbre sait le nombre ; |
12 |
|
Il sait d’où vient le flot qui passe auprès de lui, |
12 |
|
D’où le vent a soufflé, d’où le soleil a lui. |
12 |
|
Pour un vieux chêne, il est peu de choses cachées ; |
12 |
310 |
Nous avons vu beaucoup, quoique au sol attachées. |
12 |
|
Mais les plantes des monts, ni les plantes des eaux, |
12 |
|
Le cèdre ni le thym, pas plus que les roseaux, |
12 |
|
N’ont de celui qui t’aime aperçu le visage ; |
12 |
|
Chaque feuille pourtant tressaille à son passage. » |
12 |
|
|
LES SOURCES
315 |
« Les sources de la terre ont traversé les flancs, |
12 |
|
Et les antres d’Éole, et les métaux brûlants, |
12 |
|
Et creusé leur passage en des canaux de pierre, |
12 |
|
Bien avant de jaillir et de voir la lumière. |
12 |
|
Jusqu’au vaste Océan, avant de s’y plonger, |
12 |
320 |
Par des détours sans fin, il leur faut voyager : |
12 |
|
Ruisseaux, fleuves et lacs, fontaines, mers sans bornes, |
12 |
|
Elles ont réfléchi bien des jours clairs ou mornes. |
12 |
|
Neige ou pluie, elles ont visité les hauteurs, |
12 |
|
Et monté jusqu’au ciel en subtiles vapeurs. |
12 |
325 |
Des germes créateurs l’onde est le véhicule ; |
12 |
|
Par elle toute sève et toute âme circule ; |
12 |
|
Elle voit les vivants arriver par essaim, |
12 |
|
Pour se purifier et boire dans son sein, |
12 |
|
Mais de l’époux sacré, par qui l’onde palpite, |
12 |
330 |
Aux sources, comme à toi, la vue est interdite ; |
12 |
|
Tout esprit n’en connaît que ce qu’il en ressent : |
12 |
|
Nous ne t’en dirons rien, sinon qu’il est puissant. » |
12 |
|
|
CHŒUR INVISIBLE
|
« Nous l’avons contemplé le dieu que tu réclames ; |
12 |
|
C’est nous qui lui portons les prémices des âmes ; |
12 |
335 |
La vierge qu’il choisit et qu’il doit visiter |
12 |
|
Se pare sous nos mains et nous entend chanter. |
12 |
|
Du lin et des parfums nous ornâmes la couche |
12 |
|
Où le premier baiser se posa sur ta bouche. |
12 |
|
Serviteurs de l’époux, nous gardons ses secrets ; |
12 |
340 |
Nous ne lèverons pas le voile de ses traits. |
12 |
|
Qui d’ailleurs oserait le peindre en ton langage, |
12 |
|
Ne tracerait de lui qu’une infidèle image. |
12 |
|
Tu ne comprendrais pas son nom mystérieux… |
12 |
|
Et ce que nous voyons n’est pas fait pour tes yeux. » |
12 |
|
|
PSYCHÉ
345 |
« Sans ôter pleinement le voile à sa nature, |
12 |
|
Dites-moi qu’il est beau, que sa jeune figure |
12 |
|
Peut d’une ombre douteuse écarter le secours ; |
12 |
|
Que son regard est tendre ainsi que ses discours ; |
12 |
|
Et que la nuit est bonne, et qu’au fond des ténèbres |
12 |
350 |
Ne glisse autour de vous nul spectre aux pieds funèbres ; |
12 |
|
Que ce monde est pour moi peuplé d’êtres amis ; |
12 |
|
Que l’époux m’aime enfin, comme il me l’a promis ; |
12 |
|
Qu’il ne me berça pas d’une ivresse illusoire. |
12 |
|
J’ai besoin de bonheur : je suis prête à vous croire ! » |
12 |
|
|
CHŒUR INVISIBLE
355 |
« En ces lieux que l’époux gouverne sans rival, |
12 |
|
Le soleil quelque part t’a-t-il montré le mal ? |
12 |
|
La même âme régit la nuit et la lumière. |
12 |
|
Tu viens d’interroger les hôtes de la terre ; |
12 |
|
As-tu trouvé chez eux doute, amertume, effroi ? |
12 |
360 |
Est-ce un peuple incertain de l’amour de son roi ? |
12 |
|
|
Psyché recueille ainsi les chansons dispersées, |
12 |
|
Et respire avec l’air de sereines pensées. |
12 |
|
La nature paisible et dans sa fraîche fleur, |
12 |
|
Verse le calme en elle et l’invite au bonheur ; |
12 |
365 |
Et l’enfant, de sa bouche acceptant l’espérance, |
12 |
|
— Tant le premier amour est plein de confiance, — |
12 |
|
Par des nœuds éternels sentit son cœur lié, |
12 |
|
Et l’effroi d’un moment fut bien vite oublié. |
12 |
|
|
Chaque jour se passait aux longues rêveries, |
12 |
370 |
Aux bains des lacs, aux fruits des vergers, aux prairies, |
12 |
|
À la danse, au sommeil, à ce divin concert, |
12 |
|
Qu’avec l’homme amoureux font les voix du désert ; |
12 |
|
À réveiller l’écho des grottes endormies, |
12 |
|
À redire aux oiseaux, aux gazelles amies |
12 |
375 |
Et ses songes d’amante, et même, aveu plus doux, |
12 |
|
Les secrets de la couche et les mots de l’époux. |
12 |
|
Chaque nuit ramenait, dès les premières ombres, |
12 |
|
Glissant comme un vent frais sous les portiques sombres |
12 |
|
L’époux mystérieux, et jadis effrayant, |
12 |
380 |
Qu’on implore aujourd’hui d’un cœur impatient : |
12 |
|
Mais après chaque nuit, si remplie et si brève, |
12 |
|
Du lit aux cent baisers, il fuyait comme un rêve. |
12 |
|
|
|
III |
|
Le plaisir tombe en toi comme un fleuve à la mer, |
12 |
|
Sans te remplir, ô cœur ! il y devient amer. |
12 |
385 |
Les plus fortes amours meurent dans l’habitude ; |
12 |
|
Rien chez l’homme ne dure, hormis l’inquiétude, |
12 |
|
Le désir éternel de l’idéal caché, |
12 |
|
Et l’antique vautour à nos flancs attaché. |
12 |
|
|
Quel bonheur plus d’un jour est resté sans mélange ? |
12 |
390 |
Cependant, ô plaisir, ce n’est pas toi qui change. |
12 |
|
Près de l’homme enivré, le vin à flots pareils |
12 |
|
Coule des mêmes ceps entre tes doigts vermeils ; |
12 |
|
Du vase offert par toi l’écume est aussi douce |
12 |
|
Qu’on y trempe sa lèvre ou bien qu’on le repousse. |
12 |
395 |
Quand l’odorat lassé refuse leurs senteurs, |
12 |
|
C’est le même parfum qui monte à nous des fleurs. |
12 |
|
Quand l’air trop répété de la chanson qu’on aime |
12 |
|
Amène au bout l’ennui, la musique est la même : |
12 |
|
Le dégoût à l’extase a trop tôt succédé, |
12 |
400 |
Et tout trésor est vil dès qu’on l’a possédé ! |
12 |
|
|
Rien de l’heureux vallon n’a troublé les délices ; |
12 |
|
La rosée aussi pure y blanchit les calices, |
12 |
|
Et le miel abondant, les fruits, l’ombrage frais, |
12 |
|
Les bruits mélodieux s’épanchent des forêts. |
12 |
405 |
Par tous les habitants de l’air, des mousses vertes, |
12 |
|
Les mêmes amitiés à l’âme sont offertes. |
12 |
|
Pourquoi rester muette à leur appel joyeux ? |
12 |
|
Psyché, mille regards sollicitent tes yeux. |
12 |
|
Pourquoi marches-tu seule, et de larmes baignée, |
12 |
410 |
Sans un mot pour ta mère, avec eux dédaignée ? |
12 |
|
Vois : la terre sourit d’un rire bienveillant |
12 |
|
Comme tu souriais toi-même en t’éveillant. |
12 |
|
Vallon qu’elle admirait, nature toujours belle, |
12 |
|
Quel nuage entre vous et Psyché s’amoncelle ? |
12 |
415 |
Charme des premiers jours, qu’êtes-vous devenu ? |
12 |
|
Ah ! c’est qu’elle a senti l’attrait de l’inconnu ! |
12 |
|
Ce monde est à ses yeux caché par l’invisible ; |
12 |
|
Elle a voulu connaître… Aimer n’est plus possible ! |
12 |
|
|
Près d’elle chaque soir Éros vient se poser ; |
12 |
420 |
Douce est toujours sa voix, et plus doux son baiser ! |
12 |
|
Mais Psyché, froidement, l’a reçu sans le rendre, |
12 |
|
Sans réjouir l’amant d’une parole tendre. |
12 |
|
Et ne songe, malgré le châtiment prédit, |
12 |
|
Qu’à voir l’époux mystique à ses yeux interdit. |
12 |
|
425 |
Quelquefois, pour donner le change à ses pensées, |
12 |
|
À travers la nature, en fougues insensées, |
12 |
|
Elle répand son âme. Au fond des horizons, |
12 |
|
Aussi loin que le jour peut darder ses rayons, |
12 |
|
Elle aspire, elle vole, et son esprit se pose |
12 |
430 |
Sur les monts d’où descend l’aurore aux pieds de rose, |
12 |
|
Ses yeux suivent les flots dans les gouffres roulants ; |
12 |
|
Elle veut des glaciers percer les vastes flancs, |
12 |
|
Et, plongeant jusqu’au fond, voir quels hôtes recèlent |
12 |
|
Les cavernes d’azur d’où les ondes ruissellent. |
12 |
435 |
Souvent, lasse d’errer dans l’inconnu lointain, |
12 |
|
Elle s’assied, et pleure, et maudit son destin ; |
12 |
|
Et l’amour la relève, et le doute la brise : |
12 |
|
« Elle n’est pas aimée, et l’époux la méprise ; |
12 |
|
Car deux cœurs peuvent-ils, quand leurs amours sontvrais. |
12 |
440 |
Sur le lit nuptial se cacher leurs secrets ? » |
12 |
|
|
La passion, le doute, et la soif de connaître, |
12 |
|
Et l’orgueil et l’effroi troublent ainsi son être. |
12 |
|
|
« S’il est beau, pourquoi fuir la lumière du jour ? |
12 |
|
Il craint que la terreur n’efface en moi l’amour. |
12 |
445 |
Quelque monstre hideux, masqué par les ténèbres, |
12 |
|
M’apporte chaque nuit ses caresses funèbres. |
12 |
|
Pourtant, comme ils sont doux ces champs dont il est roi ! |
12 |
|
Quels peuples gracieux grandissent sous sa loi ! |
12 |
|
Et lui seul resterait, en qui la force abonde, |
12 |
450 |
Privé de la beauté qu’il répand sur le monde ! |
12 |
|
Non ! sa forme est divine autant que son pouvoir ; |
12 |
|
Celui-là devient dieu qui peut l’apercevoir ; |
12 |
|
Le connaître en plein jour, c’est voir la beauté pure ! |
12 |
|
Pourquoi donc me cacher sa céleste figure |
12 |
455 |
S’il m’aime, et si son cœur, heureux de mes désirs, |
12 |
|
De mon propre bonheur sent doubler ses plaisirs ? |
12 |
|
|
« L’admirer dans mes bras, ô volupté sacrée ! |
12 |
|
Être par tous les sens à la fois enivrée ; |
12 |
|
Quand la flamme languit, dans ses yeux l’attiser ! |
12 |
460 |
Ce charme à mon amour peux-tu le refuser ? |
12 |
|
C’est l’orgueil, le dédain qui te voilent peut-être : |
12 |
|
Au lieu d’un jeune époux, n’ai-je donc rien qu’un maître |
12 |
|
Qui se fait du mystère un vêtement royal, |
12 |
|
Et peut-être en Psyché redoute son égal ? |
12 |
465 |
Car je suis belle aussi : la forêt, la fontaine, |
12 |
|
Les oiseaux m’ont souvent donné le nom de reine ; |
12 |
|
Quand j’approche du lac, l’eau baise mes pieds nus ; |
12 |
|
Au bord pour m’adorer les cygnes sont venus ; |
12 |
|
Le vent courbe les fleurs quand je passe près d’elles, |
12 |
470 |
Et, douces, devant moi, se couchent les gazelles. » |
12 |
|
|
Mais, par toutes ses voix, le monde adolescent |
12 |
|
Lui disait de garder son bonheur innocent. |
12 |
|
|
LES OISEAUX
|
« Sur la terre abondante, où nul ennui n’existe, |
12 |
|
Pourquoi son plus bel hôte est-il devenu triste ? |
12 |
475 |
Vois les oiseaux joyeux planer dans les cieux purs. |
12 |
|
S’entr’aimer et goûter aux arbres les fruits mûrs ; |
12 |
|
De leurs lointaines sœurs apporter les nouvelles |
12 |
|
Aux plantes, et semer la graine des plus belles. |
12 |
|
Quand les blés sont dorés, l’eau bleue et le ciel clair, |
12 |
480 |
Que l’aile en des parfums se baigne au sein de l’air, |
12 |
|
Sous les fruits et les fleurs que toutes branches ploient, |
12 |
|
Qu’est-il besoin de voir plus que nos yeux ne voient ? » |
12 |
|
|
LES PLANTES
|
« Bois la blanche rosée, et, sans désir jaloux, |
12 |
|
Laisse-toi par le vent bercer ainsi que nous ; |
12 |
485 |
Au zéphir caressant, d’où que son baiser vienne, |
12 |
|
Les fleurs livrent leur âme… Enfant, livre la tienne ! » |
12 |
|
|
LES SOURCES
|
« Trempe tes pieds de nacre en nos sables d’or fin, |
12 |
|
Et laisse-nous toucher l’ivoire de ton sein, |
12 |
|
Et monter à flot doux vers ta lèvre vermeille, |
12 |
490 |
Et chanter en glissant au bord de ton oreille. |
12 |
|
L’eau sur tes flancs polis dort avec volupté. |
12 |
|
Reste ! Quel bras mortel, errant sur ta beauté, |
12 |
|
Comme l’onde enlaçant ta blancheur qu’elle azure, |
12 |
|
Flatterait tout ton corps d’une étreinte plus pure ? |
12 |
|
495 |
Reste ! Nous te dirons : Sois paisible toujours, |
12 |
|
Nous sages qui coulons depuis les anciens jours ; |
12 |
|
Car au fond de l’eau vive une prudence habite. |
12 |
|
Nous savons que, portée ou lentement ou vite, |
12 |
|
Quand de l’antre natal elle a franchi le seuil, |
12 |
500 |
Chaque goutte, malgré le rocher ou l’écueil |
12 |
|
Remontant, s’il le faut, pluie, ou neige, ou rosée, |
12 |
|
Dans le grand Océan est enfin déposée ! » |
12 |
|
|
Mais l’antique serpent chez tout homme caché, |
12 |
|
L’orgueil, l’adroit orgueil, tient le cœur de Psyché, |
12 |
505 |
Avec son noir venin y répand goutte à goutte |
12 |
|
La fureur de connaître, et le trouble et le doute, |
12 |
|
Et des sens révoltés l’implacable désir, |
12 |
|
Et l’ennui curieux, mortel à tout plaisir. |
12 |
|
|
Elle fuit la nature, et n’en sent plus les charmes ; |
12 |
510 |
Dans le palais désert elle va tout en larmes, |
12 |
|
Ni les divins tableaux sur le marbre gravés, |
12 |
|
Ni dans l’or et l’onyx les breuvages trouvés, |
12 |
|
Ni l’acier des miroirs, ni la lyre d’ivoire, |
12 |
|
Rien ne distrait l’enfant de sa tristesse noire ; |
12 |
515 |
Et ses pas, tour à tour lents ou précipités, |
12 |
|
Trahissent de son cœur les rêves agités. |
12 |
|
|
Sur les marbres secrets d’une salle lointaine, |
12 |
|
Qu’en ses jours de bonheur, elle approchait à peine, |
12 |
|
— D’où venait un tel don, nouveau, mystérieux ? » — |
12 |
520 |
Une lampe, un poignard, se trouvent sous ses yeux. |
12 |
|
Elle s’arrête, et croit ouïr dans le silence : |
12 |
|
« Ta main peut conquérir la force et la science. » |
12 |
|
De ces seuls mots jetés tout son être a frémi, |
12 |
|
Ces murs ont-ils couvert les pas d’un ennemi ! |
12 |
525 |
Est-ce un instinct fatal dont la voix parle en elle ? |
12 |
|
Un sombre esprit, chez nous funeste sentinelle, |
12 |
|
Pousse-t-il l’âme au mal, jaloux de son bonheur, |
12 |
|
Ou l’homme n’a-t-il d’autre ennemi que son cœur ?… |
12 |
|
Mais Psyché, tout entière au désir qui l’obsède, |
12 |
530 |
Laisse la voix monter, et l’écoute, et lui cède : |
12 |
|
Et, dans un lieu caché, pour s’en armer plus tard, |
12 |
|
Pose, hélas ! en tremblant, la lampe et le poignard. |
12 |
|
|
Le chant accoutumé, suivi des odeurs pures ; |
12 |
|
Pénètre avec le soir sous les voûtes obscures ; |
12 |
535 |
De l’époux qui descend c’est l’amoureux signal ; |
12 |
|
Il ramène Psyché vers le lit nuptial. |
12 |
|
|
CHŒUR INVISIBLE
|
« Voici la nuit portant sur ses ailes paisibles |
12 |
|
La rosée et l’amour tous les deux invisibles, |
12 |
|
Mais que sentent bientôt couler avec douceur |
12 |
540 |
La fleur dans son calice et l’homme dans son cœur ; |
12 |
|
Car leur souffle s’amasse et se métamorphose |
12 |
|
En doux soupirs dans l’âme, en perles sur la rose. |
12 |
|
|
Laisse ton cœur chanter sous l’invisible doigt ; |
12 |
|
Bois les pleurs de la nuit comme une fleur les boit. |
12 |
545 |
Si l’harmonie est douce et le flot pur, qu’importe |
12 |
|
Quel point du ciel les verse, et quel vent les apporte ? |
12 |
|
Le cygne, ivre d’amour, frémit sur le flot pur, |
12 |
|
Sans connaître le fond de sa couche d’azur ; |
12 |
|
L’oiseau qui pour la rose a des chansons divines, |
12 |
550 |
De la fleur adorée a-t-il vu les racines ? |
12 |
|
Aime, ainsi, sans savoir, aime au sein de la nuit ; |
12 |
|
Le jour a des éclats que la volupté fuit. |
12 |
|
Sans que les yeux distraits fassent trembler le vase, |
12 |
|
Le cœur, pendant la nuit recueille mieux l’extase. |
12 |
555 |
Vois ; quand le dieu du jour, au palais de la mer, |
12 |
|
Va chercher le repos, et plonge pour aimer, |
12 |
|
Avant de s’approcher de la couche odorante, |
12 |
|
Il éteint ses rayons au seuil de son amante. » |
12 |
|
|
Les voix ont répandu le chant mélodieux, |
12 |
560 |
Sans guérir de Psyché les désirs curieux ; |
12 |
|
Et l’orgueil et le doute, et la soif de science |
12 |
|
S’agitent à la fois dans son âme en démence. |
12 |
|
|
Sur les coussins de pourpre, à côté d’elle assis, |
12 |
|
Éros, par les baisers, combattant ses soucis. |
12 |
565 |
Lui tient de doux propos sur sa tristesse étrange, |
12 |
|
Et l’ardeur du plaisir renaît dans cet échange. |
12 |
|
|
ÉROS
|
« Tu pleures ; tu me fuis et reviens tour à tour ! |
12 |
|
Ce cœur bat, ô Psyché ! mais ce n’est pas d’amour. |
12 |
|
En des bonds inégaux ton sein monte et s’abaisse ; |
12 |
570 |
Il semble s’agiter sous un poids qui l’oppresse. |
12 |
|
Ma lèvre étouffe en vain tes soupirs renaissants ; |
12 |
|
Une crainte, un désir, se disputent tes sens. |
12 |
|
Que veux-tu ? N’as-tu pas une royauté douce ? |
12 |
|
Tu vois dans les forêts sur ton trône de mousse, |
12 |
575 |
Les vivants saluer ta grâce et t’adorer. |
12 |
|
Les perles et les fleurs s’offrent pour te parer ; |
12 |
|
À la terre qui t’aime, et qui t’appartient toute, |
12 |
|
Aux charmes de mon lit que faut-il que j’ajoute ? » |
12 |
|
|
PSYCHÉ
|
« Oh ! vous ne m’aimez pas, et la triste Psyché |
12 |
580 |
N’est pour vous qu’un jouet par instant recherché. |
12 |
|
Pourquoi, me dérobant votre aspect que j’implore, |
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Venir avec la nuit, partir avec l’aurore, |
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Et ne laisser jamais les rayons d’un beau jour |
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Illuminer pour moi ce lit de notre amour ? |
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585 |
Le jour va caresser les grillons dans la gerbe, |
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Mille insectes unis sous la mousse et sous l’herbe. |
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Les oiseaux et les fleurs s’aiment en plein soleil : |
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Le soir sur chaque nid pose un flambeau vermeil |
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Vous seul gardez, malgré mes plaintes échappées, |
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590 |
Nos furtives amours, dans l’ombre enveloppées. » |
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ÉROS
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« D’un dieu plus fort que moi, c’est l’inflexible arrêt, |
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Ne gâtons pas du moins notre bonheur secret ; |
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Meure sous les baisers ta folle inquiétude ! |
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A ton front délicat ma lèvre est-elle rude ? |
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595 |
Comprends-tu plus d’amour dans la voix d’un époux, |
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Plus de jeunesse ardente et des baisers plus doux ? |
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Reste ainsi ! Quand tes yeux auraient vu mon visage, |
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Mon cœur ne pourrait pas te donner davantage. » |
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PSYCHÉ
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« Lorsqu’en serrant ta main, j’entends ta voix de près, |
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600 |
Que je sens de ton cœur les battements secrets, |
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Mon âme oublie encore, ivre de ton empire, |
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Cette ardeur de te voir, puisqu’elle te respire. |
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Mais quand seule je marche à travers la clarté |
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Qui sur le moindre oiseau verse tant de beauté ; |
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605 |
Quand je rêve à ces nuits, à nos baisers de flamme, |
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Sans avoir une image à parer dans mon âme ; |
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Lorsque je vois la terre et le ciel radieux : |
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Alors tout désir cède au désir de mes yeux. » |
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ÉROS
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« Étouffe cette envie, ô Psyché ! si tu m’aimes ; |
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610 |
Espère et te résigne, ou crains des maux extrêmes. |
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Mais viens, ouvre tes bras ; goûtons jusqu’au matin, |
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Cette part de bonheur que permet le destin. » |
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Comme un chant de cigale éteint sous une gerbe, |
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À travers le baiser expira leur doux verbe : |
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615 |
Et sur le lit de pourpre, aux pieds d’argent sculpté, |
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Dans l’ombre commença l’hymne de volupté, |
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Soupirs, cris étouffés, syllabes inouïes, |
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Fleurs sonores d’amour, dans l’ombre épanouies. |
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La curieuse ardeur des regards impuissants, |
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620 |
Abandonnant l’esprit a passé dans les sens, |
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L’inconnu l’aiguillonne : avide et provocante, |
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Psyché donne à l’époux des baisers de bacchante, |
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Et cherche avec fureur, trompant le vrai désir, |
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Cet infini caché qu’elle n’a pu saisir. |
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625 |
Ah ! la volupté même a sa pudeur divine, |
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Quand le corps règne ainsi, c’est que l’ame décline ; |
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Que le souffle idéal est là-haut remonté ! |
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Tu meurs avec l’amour, ô fleur de chasteté ! |
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Adieu la sainte ivresse, où le réel s’oublie. |
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630 |
Au calice des sens on boit jusqu’à la lie, |
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Et dans l’épais breuvage où n’est plus l’eau du ciel, |
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De la première goutte on cherche en vain le miel ; |
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Le cœur n’y goûte plus la tendresse et l’extase, |
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Et la lèvre en vain s’use aux bords amers du vase. |
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635 |
Or le sommeil qui suit le plaisir prodigué |
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Versait ses lourds pavots sur l’amant fatigué. |
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Mais Psyché veille, hélas ! Qui peut enchaîner l’âme, |
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Pour assoupir le doute, où cueillir un dictame ? |
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Quel lit sait endormir les désirs de l’orgueil |
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640 |
Et l’ardeur de savoir ?… Pas même le cercueil ! |
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Des bras de son époux, dont l’étreinte amollie |
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Sous son adroite main doucement se délie, |
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Psyché glisse, et du lit descend d’un pied furtif. |
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Elle écoute ; son souffle en son sein est captif, |
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645 |
Et, sur l’épais tapis muet contre la dalle, |
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Elle sort à pas lents et sans bruit de la salle. |
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Elle brave l’effroi des dédales obscurs, |
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Et dans l’ombre, guidée en s’appuyant aux murs |
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Jusqu’à l’endroit secret où son arme est fermée, |
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650 |
Elle y prend le poignard et la lampe allumée. |
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Longuement elle hésite aux approches du lit ; |
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Son cœur bat, son regard se trouble ; elle pâlit. |
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Elle va donc le voir Elle craint, elle espère, |
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N’ose encor sur l’époux projeter sa lumière. |
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655 |
Elle se penche enfin… Et qui frappe ses yeux ! |
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L’Amour !… le dieu puissant, et beau parmi les dieux ! |
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A peine elle aperçoit sa face inattendue, |
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Toute force lui manque ; elle tremble, éperdue. |
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L’œil mortel ne saurait porter tant d’idéal. |
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660 |
Sous le poids fléchissant, vers le lit nuptial, |
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Ses genoux ont frémi… La lampe vacillante |
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A versé sur l’époux une goutte brûlante. |
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Le dieu, de son repos brusquement réveillé, |
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Profané par les yeux, et par l’huile souillé, |
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665 |
Se dresse avec courroux, voit l’amante coupable, |
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Et, cachant sa pitié, de cet arrêt l’accable : |
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EROS
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« Ah ! ce regard détruit le bonheur de tous deux ! |
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Tu romps entre nos cœurs les invisibles nœuds, |
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Et ta lampe grossière éteint la pure flamme |
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670 |
Par qui l’âme d’en haut pénétrait dans ton âme. |
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Mon front te restera caché comme autrefois, |
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Et tu perds mes baisers, mes caresses, ma voix. |
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Je ne descendrai plus dans ta nuit solitaire ; |
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Tu n’auras plus l’amour, mais toujours le mystère. |
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675 |
Le secret de mon nom, dans mon sommeil surpris, |
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Du divin idéal ne t’aura rien appris. |
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Ce vallon, ce palais d’où t’exile ta faute, |
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Avec toi, condamnés, n’ont plus un dieu pour hôte. |
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Marche dans la douleur ; chez les pâles humains, |
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680 |
Tes pieds nus traceront de pénibles chemins ; |
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La faim enchaînera, dans les travaux serviles, |
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La blancheur de tes mains et tes ailes mobiles. |
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Pour t’aider à porter l’exil austère et lourd, |
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Tu crieras vers l’époux ; mais l’époux sera sourd. |
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685 |
La nuit entre nous deux épaissira ses ombres, |
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Et tes rêves s’iront heurter à des murs sombres, |
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Sans trouver hors du doute une issue à tes pas ; |
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Car ton flambeau d’orgueil brûle et n’éclaire pas. » |
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L’immuable destin a dicté ces menaces |
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690 |
À ce cœur pacifique où résident les grâces. |
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Mais toujours une larme, aux yeux du triste amant, |
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À chaque mot cruel, jaillit et le dément ; |
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Et si Psyché tremblante eût pu voir ce visage, |
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Si de ses sens l’effroi n’eût pas troublé l’usage, |
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695 |
Des tourments à souffrir et de l’arrêt porté, |
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Devant tant de douleur, son âme aurait douté. |
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Mais trop faible à sentir d’une bouche si chère |
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Ces traits inattendus lancés par la colère, |
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Mourante, elle s’affaisse et tombe aux pieds du dieu. |
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700 |
Et lui ! Comme son cœur saigne â quitter ce lieu ! |
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Qu’il voudrait y laisser sa parole meilleure !… |
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Le destin a parlé… L’Amour fuit… mais il pleure ! |
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Et, douce, entre les pleurs que sa pitié versa, |
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Sur le sein de l’épouse une larme glissa… |
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705 |
Germe consolateur, graine du ciel tombée |
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Dans le sillon récent par cette âme absorbée, |
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Et qui devait porter, en ce champ de douleur, |
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Sous la ronce et l’épine une immortelle fleur. |
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|
C’est toi, belle espérance, ô fleur que rien n’arrache ! |
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710 |
Ô le plus vrai témoin de ce dieu qui se cache, |
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|
Souvenir qu’à Psyché l’époux lègue en partant, |
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|
Moisson lente à mûrir, mais que l’amour attend ! |
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ÉPILOGUE |
|
Nuit féconde, où l’esprit grandit pour la lumière, |
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Et qu’embaume en sa fleur l’innocence première ; |
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715 |
Mystère ! ô gardien qui veille également |
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Sur l’âme du fidèle et celle de l’amant ; |
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De leurs saintes ardeurs éternisant le zèle, |
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|
Tu caches la pudeur et la foi sous ton aile ! |
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Tout bonheur ici-bas revêt ton voile obscur, |
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720 |
Et toi seul maintiens pur ce que Dieu créa pur. |
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|
Tu donnes à l’autel ses majestés sans nombre, |
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|
Et le lit nuptial s’embellit de ton ombre. |
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Ah ! malheur au mortel contre toi révolté, |
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|
Qui, possédant le calme, aspire à la clarté ! |
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725 |
Maudit soit ce flambeau qui met l’amour en fuite ! |
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Pâle orgueil du savoir ! le mal vient à ta suite. |
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Dans un cœur innocent comme en un vallon frais, |
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Sitôt qu’ont pénétré tes rayons indiscrets, |
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Adieu sur le beau lis les perles matinales, |
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730 |
Et la sérénité des pudeurs virginales ! |
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Quel songe n’a pas fait, et que n’a pas tenté |
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|
L’âme que tu séduis, ô Curiosité ! |
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|
Pour tendre à l’impossible, à l’inconnu qu’elle aime ; |
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Lasse des biens réels, elle a fui son Dieu même. |
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735 |
A l’arbre offert par toi cueillant le fruit fatal, |
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Du souffle de ta bouche Ève enfanta le mal. |
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Par toi, des noirs fléaux l’urne, captive encore, |
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|
Épancha ses torrents sous la main de Pandore. |
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Tu prêtas à Psyché sa lampe et son poignard, |
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740 |
Comme pour forcer Dieu de subir ton regard : |
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Oubliant que l’amour est la seule puissance |
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|
Qui force l’idéal à souffrir violence ! |
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Vois ton œuvre aujourd’hui, vois ces jardins déserts, |
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Vois la veuve immortelle, errant sur l’univers. |
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745 |
Sur les pas de Psyché tu vas régner en maître, |
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Ô toi qui perdis l’âme ! ô désir de connaître ! |
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Par les fureurs du corps et celle de l’orgueil |
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Tu conduis le troupeau des humains au cercueil : |
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Les uns, pâles, penchés vers toute chose obscure, |
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750 |
Sourds aux voix de l’esprit, dissèquent la nature ; |
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D’autres plongent, sans frein, au fond des voluptés, |
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Cherchant leur infini dans les sens exaltés : |
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Tous blasphémant l’amour et la beauté féconde, |
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Ces hôtes merveilleux qu’ils ont chassé du monde ; |
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755 |
Prolongeant jusqu’au bout votre éternel péché, |
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Ève, ô sein trop fécond ! Pandore ! et toi Psyché ! |
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