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LAP_15/LAP243
Victor de LAPRADE
LE LIVRE DES ADIEUX
1874-1880
VIII
AUX AMITIÉS
Grâce à vous, amis, j'ai goûté 8
Tout ce qui fait chérir la vie, 8
Et Dieu m'a largement doté 8
Des biens du cœur, ma seule envie. 8
5 Jeune ou vieux, en toute saison. 8
J'ai cherché, j'ai trouvé sans cesse 8
Ma force dans votre raison 8
Et dans votre amour ma richesse. 8
Un mot de vous, simple et fervent. 8
10 Suffit à mes désirs de gloire ; 8
Quand vous me dites : « En avant ! » 8
Je crois tenir une victoire. 8
Vous avez été mon flambeau 8
Et ma conscience elle-même ; 8
15 Vous aimez le bien et le beau, 8
Amis, c'est pourquoi je vous aime. 8
Dieu vous plaça sur mon chemin : 8
Il veut qu'un plus fort me soutienne. 8
Je ne lâcherai votre main 8
20 Que pour me jeter dans la sienne. 8
Je sais qu'à ce dernier moment, 8
Fidèles comme l'espérance, 8
Vous m'exhorterez vaillamment 8
Au nom du Christ et de la France ; 8
25 Et mes jeunes morts tant pleurés 8
Beaux, souriants, d'un geste calme, 8
Le long des célestes degrés. 8
Me montreront leur douce palme. 8
Mon cœur confirmé dans sa foi 8
30 Ne trouva que des cœurs fidèles ; 8
Tous mes amis, meilleurs que moi. 8
M'ont porté plus haut sur leurs ailes ; 8
De l'heure où je rasais le sol 8
Tout près de mon nid, dans les seigles 8
35 Jusqu'à celle où j'ai pris mon vol 8
Et rêvé d'atteindre les aigles. 8
Si j'ai franchi l'ombre des bois 8
Sans m'y perdre à travers le doute, 8
Si j'ai monté… je vous le dois, 8
40 Mes braves compagnons de route. 8
Hélas ! que Dieu m'en a repris 8
De ces forts au parler de flamme, 8
De ces purs, de ces doux esprits 8
Qui m'aidaient à dresser mon âme ! 8
45 Chaque automne à moi, le plus vieux, 8
M'en ravit, un aigle ou colombe ; 8
Mon souvenir des temps joyeux 8
Partout se heurte à quelque tombe. 8
Mais le Dieu qui m'a donné tout 8
50 Ne voudra pas tout me reprendre ; 8
J'aurai des appuis, jusqu'au bout, 8
A la main virile, au cœur tendre. 8
Comme sur l'arbre aux rameaux d'or. 8
Dès qu'une amitié m'est ravie. 8
55 Il en surgit une autre encor 8
A chaque étape de ma vie. 8
Voici l'hiver, les temps affreux ! 8
Mais la bise en vain se déchaîne, 8
De jeunes cèdres vigoureux 8
60 Font rempart autour du vieux chêne. 8
Jeunes amis, fiers combattants. 8
Chers amis de la dernière heure. 8
Vous venez tous en votre temps… 8
Dieu veut qu'on m'aide et qu'on me pleure. 8
65 Je vénérai jusqu'au tombeau. 8
J'aidai, je pleurai mes vieux maîtres. 8
Tous ceux qui m'ont appris le beau 8
Et que mon âme eut pour ancêtres. 8
Chers survivants du groupe ancien 8
70 Dont l'esprit m'a dicté mon livre, 8
Restez debout, gardez-vous bien 8
Et songez qu'il faut me survivre. 8
Amis nouveaux, si verts encor. 8
Si fiers de moi, si téméraires. 8
75 Resserrant notre chaîne d'or 8
Donnez la main à mes vieux frères. 8
Certes, vous saurez maintenir 8
Nos droits, notre Dieu, la croix sainte ! 8
Moi je ne veux qu'un souvenir, 8
80 Je l'aurai… je m'en vais sans crainte. 8
Adieu ! donnez-moi sans retard 8
Des prières et non des larmes ; 8
Et que la nuit de mon départ 8
Soit pour vous la veille des armes. 8
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