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Victor de LAPRADE
LE LIVRE DES ADIEUX
1874-1880
II
A LA TERRE MATERNELLE
J'aime la terre maternelle, 8
Son aspect est tranquille et fort ; 8
Plus on monte, et plus elle est belle. 8
La douce paix habile en elle, 8
5 On dirait la paix de la mort… 8
Mais je connais l'âme qui dort 8
Dans tes flancs, terre maternelle. 8
Je l'ai réveillé bien des fois. 8
Ton mâle esprit, sur les bruyères. 8
10 Dans les blés, la vigne et les bois ; 8
J'ai suscité ses grandes voix, 8
Tantôt joyeuses, tantôt fières ; 8
Dans tes fermes hospitalières 8
Je l'ai réveillé bien des fois. 8
15 Si j'aime tant cette nature, 8
C'est pour avoir beaucoup aimé, 8
Aimé sans courir d'aventure, 8
Parmi tes fleurs et ta verdure, 8
D'où je sors le cœur embaumé. 8
20 C'est pour avoir beaucoup aimé 8
Que j'aime tant cette nature. 8
Là j'ai connu tous les amours. 8
Tous les beaux rêves qu'on caresse 8
Et le bonheur de tous les jours. 8
25 J'y trouvais des cœurs sans détours. 8
Nulle âme orageuse et traîtresse. 8
Sans remords et sans folle ivresse. 8
Là j'ai connu tous les amours. 8
J'y goûtai les vrais biens de l'âme 8
30 Et les plus doux plaisirs des yeux. 8
Des enfants, une honnête femme… 8
Mon cœur n'y jeta feu ni flamme. 8
J'y passai fier, calme et joyeux. 8
J'ai là des fils et des aïeux ; 8
35 J'y goûtai les vrais biens de l'âme. 8
J'ai là ce qui charme et soutient : 8
Vieux champ, vieux manoir, vieil ombrage, 8
Où l'homme sent qu'il s'appartient, 8
Où l'honneur du nom se maintient. 8
40 Où l'on a le cœur à l'ouvrage. 8
Là je ferai tête à l'orage… 8
J'ai là ce qui charme et soutient. 8
Si j'ai trouvé mieux que des rimes, 8
Si j'ai fait parler dans mes vers 8
45 L'âme et le cœur, les voix intimes, 8
Les devoirs humbles ou sublimes 8
Et l'esprit du Dieu que je sers. 8
C'est toi, cher petit univers. 8
Qui m'as dicté mieux que des rimes. 8
50 J'ai connu les saines douleurs, 8
Les travaux, les besoins sévères 8
Des hommes forts, des laboureurs ; 8
Jamais en de lâches fureurs. 8
En des caprices éphémères, 8
55 Je n'ai pleuré pour des chimères… 8
J'ai connu les saines douleurs, 8
O douce terre maternelle, 8
Ton enfant est devenu vieux 8
Et, vers la patrie éternelle. 8
60 Où tout amour se renouvelle, 8
Je commence à lever les yeux. 8
Reçois donc mes tendres adieux, 8
O douce terre maternelle ! 8
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