Métrique en Ligne
LAP_14/LAP234
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
XXIX
L'ENFANT DE SPARTE
A MON AMI VICTOR FOURNEL.
I
Ils marchaient, de la flûte observant la cadence. 12
L'œil sévère du maître ordonnait le silence, 12
Et sa verge de frêne eût frappé rudement 12
Le rire ou le murmure, ou le gémissement. 12
5 Mais tous d'un pas égal ont manœuvré sans faute. 12
Le bel adolescent portait la tête haute. 12
Cachant sous sa tunique, un bras contre son sein, 12
Le renard convoité dont il a fait larcin. 12
On arrive, on s'assied en ordre dans l'école, 12
10 Et le maître entendrait une abeille qui vole ; 12
Si bien disciplinés, tous ces vaillants garçons 12
De l'oreille et des yeux écoutent ses leçons. 12
Or, déjà, le voleur, tout fier de sa conquête. 12
Sentait contre ses flancs les griffes de la bête. 12
15 Et, les dents du renard ayant percé la peau. 12
Déjà dans la chair vive il plongeait le museau. 12
L'enfant reste immobile et rien sur sa figure, 12
Rien ne décèle encor son étrange torture : 12
Sur son front large et fier à peine une rougeur 12
20 Indiquait cette lutte avec le vil rongeur. 12
Nul, sous ses bras croisés dans cette horrible étreinte, 12
N'a vu poindre le sang dont sa tunique est teinte. 12
Sans se trahir d'un geste ou d'un gémissement, 12
Il pâlit, son beau corps s'affaisse lentement. 12
25 Mais dans ses yeux hardis, montrant sa forte race, 12
Un éclair, jusqu'au bout, fait briller son audace… 12
Et l'enfant réussit dans son stoïque effort : 12
On ne connut son mal que lorsqu'il tomba mort. 12
II
Toi, quand d'un regard louche aiguisé par l'envie, 12
30 L'ennemi qui s'essaie à fouiller dans ta vie 12
Cherche hypocritement s'il peut, sans risquer rien. 12
Se venger sur ton cœur des bassesses du sien. 12
Tu dois, ainsi, porter et cacher ta blessure. 12
Ferme et te redressant sous l'œil qui te mesure, 12
35 Tu dois ainsi, partout, couvert d'un triple airain. 12
Marcher aux yeux de tous souriant et serein. 12
Contenant d'un bras fort la bête qui te ronge, 12
Étale ton bonheur, héroïque mensonge ; 12
Et, pour mieux insulter au vulgaire jaloux, 12
40 Que ton front, sans orgueil, soit paisible et soit doux. 12
Passe avec la lenteur du sage ; et s'il arrive 12
Que tressaille ta chair sous la douleur trop vive, 12
Si ton cœur est percé de quelque trait soudain, 12
Lance de tes yeux secs un éclair de dédain ; 12
45 Mais, sur ta face, où nul n'a le pouvoir de lire, 12
Qu'il s'éteigne bien vite et devienne un sourire. 12
Fais voir un gai visage à tous tes envieux. 12
Crains leur fausse pitié, leur haine te vaut mieux. 12
Que la langue des sots, à l'affût d'un mystère, 12
50 N'ayant rien à salir, soit réduite à se taire, 12
Et que tes bons voisins qui devisent entre eux 12
Disent en te montrant : « Voyez un homme heureux ! » 12
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