Métrique en Ligne
LAP_14/LAP227
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
XXII
LA PETITE PATRIE
A MON AMI R. CHANTELAUZE.
J'ai le bonheur, — et je m'en vante 8
Pour moi-même et pour mes écrits. 8
De n'être pas né dans Paris, 8
Ou quelque autre ville savante. 8
5 Mon petit pays plein de foi, 8
Jadis chef-lieu de haut parage, 8
Mais fort arriéré, comme moi, 8
N'est guère plus qu'un gros village. 8
Il est assis paisiblement 8
10 Entre la plaine et la montagne ; 8
Je m'y sens presque à la campagne… 8
Il en a le recueillement. 8
Là, j'obtiens une douce trêve, 8
Loin des souvenirs orageux : 8
15 Les grands parents, mes premiers jeux, 8
C'est tout ce que j'y vois en rêve. 8
J'en sais par cœur tous les sentiers. 8
Les fermes petites et grandes, 8
Les refrains, les vieilles légendes, 8
20 Les noms, les gens de tous métiers. 8
Rien n'est sorti de ma mémoire ; 8
Et, chez ce bon peuple adoré. 8
J'ai le bonheur d'être ignoré, 8
Moi qui sais si bien son histoire. 8
25 J'y vais m'endormir, tous les ans, 8
Pour oublier, dans la nature, 8
Avec nos braves paysans, 8
Politique et littérature. 8
Là, pour mes sublimes travaux, 8
30 Nul ne m'adresse une louange ; 8
Nous parlons foin, bœufs et chevaux, 8
Seigle et froment, chasse et vendange. 8
Chez le libraire de l'endroit 8
J'ai vu du papier et des plumes, 8
35 Des missels, des livres de droit… 8
Pas un de mes fameux volumes ! 8
Mais nul ne me voit de travers 8
Et ne dit : « Qu'il écrive en prose ! » 8
A mes mauvais, à mes bons vers 8
40 Nul n'a sifflé… C'est quelque chose. 8
Vous soupçonnez, amis lecteurs, 8
Que j'y viens faire le bon prince ! 8
Et recruter des électeurs, 8
Comme un grand homme de province. 8
45 Plutôt que rester le second, 8
A Rome qu'il mit au pillage. 8
César eût mieux aimé, dit-on, 8
Être le coq dans un village. 8
Je n'ai pas ces goûts d'empereur. 8
50 Et, dans Paris, Athène, ou Rome, 8
J'accepterais, avec bonheur, 8
D'être second… mais honnête homme. 8
Ici, je vis en bon fermier. 8
Et, certes, ma joie est profonde, 8
55 De n'être dernier ni premier, 8
Mais d'être comme tout le monde. 8
Je n'y fais pas le triomphant. 8
Je tâche de rester moi-même : 8
Et je crois volontiers qu'on m'aime 8
60 Et qu'on dit : « C'est un bon enfant ! » 8
Vous tous, race calme et sensée, 8
Durs travailleurs de nos guérets, 8
Soldats tenaces du Forez 8
Vous êtes chers à ma pensée. 8
65 Je vous chantais avec amour, 8
Et j'ai pleuré de voire gloire. 8
En lisant : « A l'ordre du jour, 8
Premier bataillon de la Loire1. » 8
Je suis vieux, je n'en étais pas ! 8
70 Mais j'aurais donné, je vous jure, 8
Emboîtant avec vous le pas. 8
Tous mes vers pour une blessure. 8
Chrétien de cœur et de raison, 8
Et Français de toute mon âme, 8
75 Je prie encore à Montbrison, 8
Par saint Aubrin et Notre-Dame2. 8
Jamais l'on ne m'a vu broncher ; 8
Et j'appris à chérir la France 8
A Notre-Dame d'Espérance, 8
80 En aimant notre vieux clocher. 8
C'est le clocher de mon baptême ; 8
L'enfant qui n'aime pas le sien 8
Sera très mauvais citoyen 8
Et n'aimera rien, que lui-même. 8
85 Amour du clocher, du sillon, 8
Du toit, des souvenirs d'enfance, 8
Tu nous fais ces cœurs de lion, 8
Invincibles dans la défense ! 8
Pour mieux chérir nos saintes lois, 8
90 La grande France endolorie, 8
Commencez donc, comme autrefois : 8
Aimez la petite patrie ! 8
Le premier bataillon des mobiles de la Loire,
composé du contingent de l'arrondissement de
Montbrison, a été mis deux fois A l'ordre du jour,
après les combats de Ladon et de Beaune-la-Rolande.
Saint Aubrin, patron de la ville de Montbrison.
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