XVI |
HENRI D'ADHÉMAR |
A SA MÈRE
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Oui, j'appartiens aux morts tombés pour la patrie. |
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Madame ! et votre fils a des droits sur mes vers. |
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Le vieux chêne offre encor sur sa tête flétrie, |
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Pour orner ce tombeau, quelques feuillages verts. |
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Mes fils étaient enfants, et je suis vieux moi-même ; |
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Dans ces affreux combats mon sang n'a pas coulé ; |
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Mais, pleurant sur vos fils et sur l'honneur que j'aime |
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Mères ! ainsi que vous je reste inconsolé. |
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Je finirai vaincu, sans voir la délivrance, |
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Sans couronner de fleurs nos drapeaux triomphants. |
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Au moins mon dernier cri, je le donne à la France, |
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A tous vos jeunes morts… ils sont tous mes enfants ! |
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De mes débiles mains je leur construis un temple ; |
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J'y graverai dans l'or leur nom et leur cimier ! |
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Et parmi ces vaillants proposés en exemple, |
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Noble Henri d'Adhémar, je t'inscris le premier. |
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A l'instant décisif d'une lutte enflammée. |
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Ton chef dit aux vaillants ces seuls mots, pleins de foi |
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« A ce poste, là-bas, pour sauver notre armée. |
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Qui veut aller mourir ? » Tu répondis : « C'est moi. » |
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Lorsqu'on te retrouva dans l'immense ossuaire, |
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Quand ton corps mutilé fut reconnu des tiens. |
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Tu portais sur ton cœur la croix, le scapulaire… |
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Mères, consolez-vous, ils sont morts en chrétiens ! |
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Us étaient comme lui, ces fils de vos entrailles, |
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Beaux, jeunes, caressés de l'aïeule et des sœurs. |
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Pleins d'espoir, souriant à la vie, aux batailles, |
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De quelque noble amour savourant les douceurs. |
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Ils laissaient derrière eux un monde héréditaire, |
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Des fleurs du souvenir un manoir embaumé, |
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Combles des dons du ciel, et des biens de la terre, |
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Ils avaient tout compris, ils avaient tout aimé ! |
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Mais le jour vint, terrible aux vertus éphémères. |
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Où l'or et les grands cœurs s'éprouvent par le feu ; |
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Et tout, jeunesse, amour, trésors, douces chimères, |
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Ils ont oublié tout pour la France et pour Dieu. |
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Ils sont morts ! ajoutant aux gloires de leur race ; |
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La croix du dieu martyr veille sur leur tombeau |
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Du baptême de sang ils ont reçu la grâce… |
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Mères qui survivez, leur sort est le plus beau ! |
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Ah ! si j'avais le don, l'accent qui perce l'âme, |
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Qui, pour l'avoir chanté, fait vivre un nom chéri, |
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Celui de votre enfant ne mourrait plus, madame ! |
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Toute femme avec vous aimerait votre Henri. |
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Et toute mère en deuil qui lirait cette page. |
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Retenant à deux mains ses pleurs prêts à partir, |
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Croirait revoir son fils dans la vivante image |
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Que mes vers traceraient de votre doux martyr. |
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Pleurons avec respect, et remplis d'espérance. |
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Ces fils, ces morts sacrés qui seront des aïeux. |
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Ils ont cueilli leur palme et semé pour la France |
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Des lauriers qu'ils verront grandir du haut des cieux. |
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Leur nom sera pour nous une étoile qui brille. |
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Montrant le vrai chemin à ce peuple abattu ! |
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Qu'à leurs neveux enfants on répète en famille |
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Ce nom, qui les oblige à la même vertu. |
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Nous, poètes, quittons nos molles rêveries, |
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De tant de jours perdus effaçons le remords ; |
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Enseignant le devoir aux âmes aguerries, |
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Ne chantons que pour Dieu, pour la France… et nos morts. |
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Mai 1874.
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