Métrique en Ligne
LAP_14/LAP221
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
XVI
HENRI D'ADHÉMAR
A SA MÈRE
Oui, j'appartiens aux morts tombés pour la patrie. 12
Madame ! et votre fils a des droits sur mes vers. 12
Le vieux chêne offre encor sur sa tête flétrie, 12
Pour orner ce tombeau, quelques feuillages verts. 12
5 Mes fils étaient enfants, et je suis vieux moi-même ; 12
Dans ces affreux combats mon sang n'a pas coulé ; 12
Mais, pleurant sur vos fils et sur l'honneur que j'aime 12
Mères ! ainsi que vous je reste inconsolé. 12
Je finirai vaincu, sans voir la délivrance, 12
10 Sans couronner de fleurs nos drapeaux triomphants. 12
Au moins mon dernier cri, je le donne à la France, 12
A tous vos jeunes morts… ils sont tous mes enfants ! 12
De mes débiles mains je leur construis un temple ; 12
J'y graverai dans l'or leur nom et leur cimier ! 12
15 Et parmi ces vaillants proposés en exemple, 12
Noble Henri d'Adhémar, je t'inscris le premier. 12
A l'instant décisif d'une lutte enflammée. 12
Ton chef dit aux vaillants ces seuls mots, pleins de foi 12
« A ce poste, là-bas, pour sauver notre armée. 12
20 Qui veut aller mourir ? » Tu répondis : « C'est moi. » 12
Lorsqu'on te retrouva dans l'immense ossuaire, 12
Quand ton corps mutilé fut reconnu des tiens. 12
Tu portais sur ton cœur la croix, le scapulaire… 12
Mères, consolez-vous, ils sont morts en chrétiens ! 12
25 Us étaient comme lui, ces fils de vos entrailles, 12
Beaux, jeunes, caressés de l'aïeule et des sœurs. 12
Pleins d'espoir, souriant à la vie, aux batailles, 12
De quelque noble amour savourant les douceurs. 12
Ils laissaient derrière eux un monde héréditaire, 12
30 Des fleurs du souvenir un manoir embaumé, 12
Combles des dons du ciel, et des biens de la terre, 12
Ils avaient tout compris, ils avaient tout aimé ! 12
Mais le jour vint, terrible aux vertus éphémères. 12
Où l'or et les grands cœurs s'éprouvent par le feu ; 12
35 Et tout, jeunesse, amour, trésors, douces chimères, 12
Ils ont oublié tout pour la France et pour Dieu. 12
Ils sont morts ! ajoutant aux gloires de leur race ; 12
La croix du dieu martyr veille sur leur tombeau 12
Du baptême de sang ils ont reçu la grâce… 12
40 Mères qui survivez, leur sort est le plus beau ! 12
Ah ! si j'avais le don, l'accent qui perce l'âme, 12
Qui, pour l'avoir chanté, fait vivre un nom chéri, 12
Celui de votre enfant ne mourrait plus, madame ! 12
Toute femme avec vous aimerait votre Henri. 12
45 Et toute mère en deuil qui lirait cette page. 12
Retenant à deux mains ses pleurs prêts à partir, 12
Croirait revoir son fils dans la vivante image 12
Que mes vers traceraient de votre doux martyr. 12
Pleurons avec respect, et remplis d'espérance. 12
50 Ces fils, ces morts sacrés qui seront des aïeux. 12
Ils ont cueilli leur palme et semé pour la France 12
Des lauriers qu'ils verront grandir du haut des cieux. 12
Leur nom sera pour nous une étoile qui brille. 12
Montrant le vrai chemin à ce peuple abattu ! 12
55 Qu'à leurs neveux enfants on répète en famille 12
Ce nom, qui les oblige à la même vertu. 12
Nous, poètes, quittons nos molles rêveries, 12
De tant de jours perdus effaçons le remords ; 12
Enseignant le devoir aux âmes aguerries, 12
60 Ne chantons que pour Dieu, pour la France… et nos morts. 12
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