Métrique en Ligne
LAP_13/LAP204
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XLVI
LA SŒUR CADETTE
Il faut nous aimer encor mieux, 8
Chère petite abandonnée !… 8
Pour faire au loin d’autres heureux, 8
Elle s’en va, la sœur aînée. 8
5 On la chérit, je le sais bien, 8
Là-bas dans sa maison nouvelle ; 8
Mais c’était mon ange et le tien ; 8
Que ferons-nous tous deux sans elle ? 8
Tu viendras t’asseoir plus souvent 8
10 Près du fauteuil héréditaire 8
Où j’écrivais auparavant, 8
Où je rêve, hélas ! sans rien faire. 8
Ce joyeux bonjour d’autrefois, 8
À mon cœur pressé de l’entendre, 8
15 Chaque matin ta douce voix 8
Saura le dire encor plus tendre. 8
Je puis encor me reposer 8
Sur la Muse active et discrète 8
Qui fait, sans y perdre un baiser, 8
20 Le ménage de ma chambrette ; 8
Qui rend aux rayons, au tiroir, 8
Papiers, brochures entamées, 8
Et me dicte, sans le savoir, 8
Toutes mes meilleures pensées. 8
25 On nous a pris ta grande sœur ! 8
Mais déjà tu sais, ma chérie, 8
Près du père et près du rêveur, 8
Être, à la fois, Marthe et Marie. 8
Jadis dans vos soins partagés, 8
30 Dans l’utile emploi de chaque heure 8
Souriante et les doigts légers, 8
Tu prenais la part la meilleure : 8
Les crayons, les airs de Mozart, 8
Les livres qu’on peut lire ensemble, 8
35 Les beaux fruits rangés avec art, 8
Les fleurs… tout ce qui te ressemble. 8
Sans y laisser ta bonne humeur, 8
Tu savais de ta fine plume, 8
Rendre lisible à l’imprimeur 8
40 Le brouillon d’un futur volume. 8
Déchiffrer mes vers d’un œil sûr 8
Et copier jusqu’à ma prose, 8
C’était ton métier le plus dur… 8
A présent, c’est bien autre chose ! 8
45 Il ne suffit pas de charmer ; 8
Il faut, en bonne ménagère, 8
Prévoir, compter, ouvrir, fermer, 8
Être lieutenant de la mère ; 8
Contenter de mille façons, 8
50 Sans que nul ne geigne, ou ne grogne, 8
Un vieux père et trois grands garçons… 8
Ce n’est pas petite besogne ! 8
Et tu la fais d’un ton si doux, 8
Avec une bonté si pleine, 8
55 Que le cœur seul souffre chez nous 8
De l’absence de notre Hélène. 8
Et c’est toi le plus longuement 8
Qui, parmi tes grandes affaires, 8
Viens écouter, esprit charmant, 8
60 Mes radotages littéraires. 8
Où trouverai-je une douceur 8
Après ce jour que j’appréhende, 8
Lorsque Adda, la petite sœur, 8
Nous manquera comme la grande ? 8
65 Et vous savez, mon Dieu, pourtant, 8
Si je le veux, si je l’appelle 8
Ce cruel, cet heureux instant, 8
Ce cœur qui sera digne d’elle ! 8
Dût-elle habiter loin de nous, 8
70 Vous lui réservez, je l’espère, 8
Comme à sa sœur, un brave époux, 8
Un fils pour moi, pour tous un frère. 8
Et vous me permettrez, Seigneur, 8
Ayant uni ce couple tendre, 8
75 De voir, quelques jours, son bonheur ; 8
Mais après… vous pouvez me prendre. 8
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