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LAP_13/LAP202
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XLIV
SOYEZ DES HOMMES
J’ai trop souvent, mes doux lecteurs, 8
Parmi les bruyères fleuries, 8
Parmi les bois, sur les hauteurs, 8
Conduit vos jeunes rêveries. 8
5 J’aimais à cueillir, à genoux, 8
Au bord des neiges les fleurs roses, 8
Sous mes doigts exprimant pour vous 8
Les parfums intimes des choses. 8
Je voulais, seul, dans ces beaux lieux, 8
10 Loin du monde, à côté des nues, 8
Nourrir vos cœurs purs et joyeux 8
Du miel des plantes inconnues ; 8
Et dans le calme des forêts, 8
Aux feux des aurores vermeilles, 8
15 Vous faire adorer de plus près 8
Le Dieu qui créa ces merveilles. 8
Ce Dieu nous appelle, aujourd’hui, 8
Autre part que dans la nature : 8
Il nous faut pour marcher à lui 8
20 Revêtir une forte armure. 8
Notre poste est dans les cités, 8
Dans ces combats à toute outrance 8
Où l’on blesse des deux côtés, 8
Ô Christ ! votre soldat… LA FRANCE. 8
25 Déserts visités en rêvant, 8
J’aspirai, du moins, sur vos cimes, 8
Dans le souffle du Dieu vivant 8
L’espoir et les désirs sublimes. 8
C’est lui que nous allions chercher 8
30 Sous les sapins, sur la bruyère ; 8
Nous grandissions sur le rocher, 8
Dans l’art sacré de la prière ; 8
Et nous rapportons des sommets 8
Mieux que des vers et des fleurs vaines, 8
35 Une foi qui ne meurt jamais, 8
Et l’amour, ce sang de nos veines. 8
En cueillant les lis frais éclos, 8
Ma muse, à ces heures champêtres, 8
Taillait aussi des javelots 8
40 Dans les frênes et dans les hêtres. 8
Montrez, amis, à quoi vous sert 8
D’avoir habité son domaine ; 8
Sortis plus vaillants du désert, 8
Entrez dans la bataille humaine. 8
45 Élevez vos cœurs et vos yeux 8
Vers les sommets de notre histoire ; 8
Saluez l’œuvre des aïeux 8
Et leurs noms rayonnants de gloire. 8
Pour exciter votre vigueur 8
50 Nourrissez-vous de leurs exemples ; 8
Humbles comme eux près du Seigneur, 8
Soyez fiers au sortir des temples. 8
Fuyez, oubliez pour toujours, 8
Tout prêts à de sanglants baptêmes, 8
55 Les fleurs, les chansons, les amours, 8
Mes chères Alpes elles-mêmes, 8
Le bleu des lacs si doux à voir, 8
Les bois, ma vieille idolâtrie… 8
Tout ce qui n’est pas LE DEVOIR, 8
60 Tout ce qui n’est pas LA PATRIE. 8
Ne soupirons plus mollement. 8
Fuyons toute lyre énervante. 8
Arrière le faux sentiment ! 8
Place à la foi ferme et vivante ! 8
65 Il faut de plus mâles sauveurs 8
Dans l’affreux orage où nous sommes. 8
Nous avons eu trop de rêveurs. 8
Soyez des hommes. 4
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