Métrique en Ligne
LAP_13/LAP188
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XXX
LE PETIT SOLDAT
Toi, qui, de si leste façon, 8
Mets ton fusil de bois en joue, 8
Un jour tu feras tout de bon 8
Ce dur métier que l’enfant joue. 8
5 Il faudra courir sac au dos, 8
Porter plus lourd que ces gros livres, 8
Faire étape avec des fardeaux, 8
Cent cartouches, trois jours de vivres. 8
Soleils d’été, bises d’hiver, 8
10 Mordront sur cette peau vermeille ; 8
Les balles de plomb et de fer 8
Te siffleront à chaque oreille. 8
Tu seras soldat, cher petit ! 8
Tu sais, mon enfant, si je t’aime ? 8
15 Mais ton père t’en avertit, 8
C’est lui qui t’armera, lui-même ! 8
Quand le tambour battra demain, 8
Que ton âme soit aguerrie, 8
Car j’irai t’offrir, de ma main, 8
20 A notre mère, la Patrie ! 8
Tu vis dans toutes les douceurs, 8
Tu connais les amours sincères, 8
Tu chéris tendrement tes sœurs, 8
Ton père, et ta mère, et tes frères : 8
25 Sois fils et frère jusqu’au bout ; 8
Sois ma joie et mon espérance, 8
Mais souviens-toi bien qu’avant tout, 8
Mon fils, il faut aimer la France. 8
Elle a subi le grand affront, 8
30 Mais Dieu veut qu’elle se relève. 8
Nos écoliers la vengeront 8
Et par l’esprit et par le glaive. 8
Oui, nos fils feront leur devoir… 8
Fais d’abord celui de ton âge ; 8
35 On acquiert, quand on sait vouloir, 8
Et la science et le courage. 8
Travaille en silence, obéis, 8
Apprends à tout souffrir sans larmes ; 8
Et plus tard, servant ton pays, 8
40 Tu seras ferme sous les armes. 8
Exempt d’intrigue et le front haut, 8
Tu devras conquérir tes grades, 8
En passant gaîment, s’il le faut, 8
Après tes jeunes camarades. 8
45 Sache applaudir de bonne foi 8
Le mérite qu’on te préfère. 8
Si d’autres l’aiment plus que toi, 8
Tant mieux pour la France, ta mère ! 8
Garde la devise des tiens, 8
50 De ton aïeul qui fut mon maître, 8
Et redis comme nos anciens : 8
« Il vaut mieux être que paraître. » 8
Vous serez soldats, chers enfants ! 8
Peut-être, après mainte souffrance, 8
55 Un jour, vaincus ou triomphants, 8
Il faudra mourir pour la France. 8
Alors je serai, grâce à Dieu, 8
Là-haut ou ma mère est allée ; 8
Mais mon âme avec vous, au feu, 8
60 Redescendra dans la mêlée. 8
Vous me sentirez près de vous. 8
Quand sonneront à votre oreille, 8
Pour vous exciter aux grands coups, 8
Quelques mots du divin Corneille. 8
65 En luttant contre le vainqueur, 8
Peut-être aussi, d’une voix fière, 8
Vous parlerez à votre cœur 8
Avec les vers de votre père. 8
Tous accourus pour ce grand jour, 8
70 Tous unis d’une même étreinte, 8
Nous serons là… si pleins d’amour 8
Que nul n’aura connu la crainte. 8
Puis, quand tout sera consommé, 8
Heureux du coup qui nous rassemble 8
75 Vers Dieu, vers l’aïeul bien aimé, 8
Nous remonterons tous ensemble. 8
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