Métrique en Ligne
LAP_13/LAP184
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XXVI
DANS L’INSOMNIE
J’ai perdu, contre la souffrance 8
D’un long mal toujours en éveil, 8
J’ai perdu, sans plus d’espérance, 8
Ce doux refuge, le sommeil ! 8
5 Jusqu’au matin je reste en proie 8
À des supplices innommés. 8
Ô mes chers petits bien-aimés, 8
Pour connaître encore une joie, 8
Il faut, il faut que je vous voie… 8
10 J’ouvre la chambre où vous dormez. 8
Je m’avance et je tends l’oreille ; 8
J’écoute et me dis : Les voila ! 8
Près du lit d’angoisse où je veille. 8
Chers enfants, si vous n’étiez là, 8
15 Les tourments que la nuit m’impose 8
Briseraient des cœurs mieux armés… 8
Mais je vous vois, mes bien-aimés, 8
Calmes, souriants, le front rose ; 8
Et votre sommeil me repose. 8
20 Dormez, dormez ! 4
Lorsque, effaré, fou d’insomnie, 8
J’entre ainsi, morne, à petits pas, 8
Vous, durant ma lâche agonie, 8
N’écoutez, ne regardez pas ! 8
25 Je faisais montre de courage, 8
J’ai servi les droits opprimés… 8
Mais aujourd’hui, mes bien-aimés, 8
Pour me croire encore un vrai sage, 8
Il ne faut pas voir mon visage… 8
30 Dormez, dormez ! 4
Quand je crains que Dieu m’abandonne, 8
Lorsque j’ai hâte de mourir, 8
Et qu’il n’est près de moi personne 8
Qui me parle et m’aide à souffrir, 8
35 C’est vous qui prenez ma défense 8
Et, malgré moi, me ranimez. 8
Votre aspect, ô mes bien-aimés, 8
Le calme heureux de votre enfance 8
Sont ma force et mon innocence… 8
40 Dormez, dormez ! 4
Tandis qu’en vous, blanc comme neige, 8
Flotte un essaim de visions, 8
Je lutte avec le noir cortège, 8
Les vieux spectres des passions… 8
45 Pour que les remords fassent trêve, 8
Dans leur tombe à jamais fermés, 8
Je pense, ô mes chers bien-aimés, 8
Jusqu’à l’heure où le jour se lève, 8
Au ciel que vous voyez en rêve… 8
50 Dormez, dormez ! 4
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