Métrique en Ligne
LAP_13/LAP175
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XVII
REMORDS
Parlez-moi souvent, bien souvent, 8
Chers petits, venez tout me dire : 8
Ce que vous voyez en rêvant, 8
Ce qui vous fait pleurer ou rire. 8
5 Mes bien-aimés, il m’est si doux 8
De vous voir et de vous entendre, 8
D’écouter ce que dit en vous 8
Votre bon cœur joyeux et tendre ! 8
Parlez ! Remplissez la maison 8
10 Des éclats de votre voix fraîche ; 8
Parlez sans rime ni raison… 8
Parlez ! chantez ! qui vous empêche ? 8
Le tapage que vous ferez, 8
Vos cris… je les absous d’avance, 8
15 Jamais vous ne m’affligerez, 8
Chers petits, que par le silence. 8
Seul à seul ou tous à la fois, 8
Disons-nous toujours quelque chose ! 8
Mais que j’entende votre voix : 8
20 Sinon, me voilà tout morose. 8
Parlez-moi, ne me cachez rien ; 8
Vous n’avez pas peur, je l’espère ! 8
Jamais, quand il vous aime bien, 8
On ne parle assez à son père. 8
25 Je vous ai souvent raconté 8
Mes souvenirs si vifs encore. 8
Vos grands parents et leur bonté… 8
Vous savez si je les adore. 8
S’ils furent tendres, indulgents, 8
30 Leurs portraits sont là pour le dire ; 8
Voyez ces yeux intelligents 8
Qui vous cherchent pour vous sourire. 8
Ces deux grands cœurs en qui j’ai foi 8
M’ont dit, à leur heure dernière : 8
35 « Mon fils, je suis content de toi ! » 8
C’est le prix de ma vie entière. 8
Eh bien, quand je songe à ces morts 8
Qui m’ont absous de toute faute, 8
Je me sens au cœur un remords, 8
40 Et je le confesse à voix haute. 8
Je n’ai pas fait tout mon devoir 8
Envers ces âmes généreuses : 8
J’aurais pu, dans l’humble manoir, 8
Les rendre ici-bas plus heureuses ; 8
45 Si ma bouche eût dit seulement 8
La moitié des tendres pensées 8
Qui, du fond de mon cœur aimant, 8
Leur étaient tout bas adressées ; 8
S’ils avaient vu, dans leurs douleurs, 8
50 Quand je composais mon visage, 8
Jaillir quelques-uns de ces pleurs 8
Dont j’arrose ici leur image ; 8
Si toujours, sans leur rien celer, 8
Sans retenir une caresse, 8
55 Près d’eux j’avais su mieux parler 8
Le langage de ma tendresse. 8
Mais, hélas ! je gardais mon cœur 8
Muet en leur douce présence, 8
Et je gâtais notre bonheur 8
60 En les aimant trop en silence. 8
Faites mieux, mes petits chéris, 8
Soyez meilleurs que moi, de grâce ! 8
Ouvrez-moi vos jeunes esprits, 8
Dites-moi tout ce qui s’y passe. 8
65 Votre amour n’est pas un secret ; 8
Qu’il me parle et que je le voie ! 8
Plus tard vous auriez le regret 8
De m’avoir privé d’une joie. 8
Parlez-moi, ne me cachez rien ; 8
70 Vous n’avez pas peur, je l’espère ! 8
Jamais, quand il vous aime bien, 8
On ne parle assez à son père. 8
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