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LAP_13/LAP169
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XI
LA SŒUR AÎNÉE
Elle avait ses cinq ans à peine, 8
Qu’on admirait dans la maison, 8
Dans la maison bruyante et pleine, 8
Sa bonne humeur et sa raison. 8
5 Toujours à bien faire occupée, 8
Ferme et vaillante avec douceur, 8
Elle aimait, au lieu de poupée, 8
Elle aimait sa petite sœur. 8
Elle veillait à ses toilettes 8
10 Comme une petite maman, 8
Présidait aux jeux, aux emplettes, 8
Aux surprises du jour de l’an. 8
Elle arrangeait l’affreux bagage 8
Des grands frères désordonnés, 8
15 Et de jolis nœuds, son ouvrage, 8
Leurs cous rétifs étaient ornés. 8
Qu’on perdît un livre d’étude, 8
Cahier, canif et cætera… 8
On disait sans inquiétude : 8
20 « Bah ! Hélène le trouvera ! » 8
Faisant moins de bruit que personne, 8
À peine elle avait entendu, 8
Au négligent qui l’abandonne 8
Elle apportait l’objet perdu. 8
25 Et parfois, dans les cas suprêmes, 8
À ses yeux vifs ayant recours, 8
Le père et la maman eux-mêmes 8
Avaient besoin de son secours. 8
Mais c’est quand vint le petit frère, 8
30 C’est alors qu’il fallait la voir ! 8
Comme elle était heureuse et fière 8
De bercer l’enfant chaque soir ! 8
Alors elle était grande et sage, 8
Bonne aux plus sérieux emplois ; 8
35 Ce n’était point un badinage, 8
Elle avait sept ans, cette fois ! 8
Quelle prudence maternelle 8
Aux premiers pas du gros bébé ! 8
Jamais en trottinant près d’elle 8
40 Le cher petit n’était tombé. 8
Qu’on le taquine ou qu’on le gronde, 8
On verra si la bonne sœur, 8
La servante de tout le monde, 8
Sait résister à l’oppresseur. 8
45 Se dressant de toute sa taille 8
Et le cachant contre son sein, 8
Elle est prête à livrer bataille : 8
La poule défend son poussin. 8
Si vous n’aimiez pas votre Hélène 8
50 Après un passé si touchant, 8
Votre âme serait bien vilaine, 8
Paul, et vous seriez bien méchant ! 8
Mais des soins et de l’amour tendre, 8
Cher petit, déjà coutumier, 8
55 À la chérir, à la défendre, 8
Tu seras toujours le premier. 8
C’est notre jeune providence : 8
Nous puisons tous à ce trésor. 8
On aime, on vante sa prudence ; 8
60 Toi, tu la vantes plus encor. 8
Elle fut ta petite mère, 8
Et tu vois comme elle s’y prend 8
Pour être douce à son vieux père ; 8
Tu vois les soins qu’elle me rend. 8
65 La voilà grande et presque femme, 8
Et ceux-là seront trop heureux 8
Qui, nous ôtant cette chère âme, 8
Se la partageront entre eux. 8
Aimez-la bien, la sœur aînée, 8
70 Retenez-la dans notre nid ; 8
C’est pour vous qu’elle nous est née, 8
Et votre père la bénit. 8
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