Métrique en Ligne
LAP_13/LAP159
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
I
LE PETIT GARDE-MALADE
Mon cher petit, ton père est vieux ; 8
Son mal chaque jour se fait pire ; 8
Mais la vie, à travers tes yeux, 8
Lui sourit d’un dernier sourire. 8
5 Il souffre de plus d’un tourment, 8
Ami, qu’on ignore à ton âge. 8
Toi, tu sais trouver gentiment 8
Le mot tendre qui le soulage. 8
Roule au coin du feu mon fauteuil, 8
10 Voilà ta leçon terminée… 8
Et mets ma tasse de tilleul 8
Près de moi sur la cheminée. 8
Reste assis là, sur mes genoux ; 8
Laisse chômer ton écritoire. 8
15 Causons tous deux, embrassons-nous ; 8
Chacun contera son histoire. 8
Dis-moi nos courses d’autrefois, 8
Tes frais souvenirs de campagne ; 8
A t’entendre parler des bois 8
20 Je me croirai sur la montagne. 8
Je reverrai l’azur du ciel, 8
L’émail des prés dont Dieu me sèvre, 8
Ces fleurs où je prenais mon miel 8
Renaîtront pour moi sur ta lèvre. 8
25 Cher compagnon, venu trop tard ! 8
Mes pieds ne peuvent plus te suivre. 8
Tu n’as vu de moi qu’un vieillard ; 8
Tu me connaîtras par mon livre. 8
Je grave aujourd’hui dans tes yeux 8
30 Une image austère et sans charmes, 8
Et je mêle à tes premiers jeux 8
L’ennui de mes dernières larmes. 8
Tu reverras, sur tes vieux jours, 8
Dans les scènes de ton enfance, 8
35 Ce père qui souffrait toujours, 8
Mais que soulageait ta présence. 8
Doucement tu te souviendras 8
Qu’au bruit de ton rire sonore, 8
Quand il te prenait dans ses bras, 8
40 Sa gaîté s’éveillait encore. 8
Quand il parlait à ta raison, 8
Tu savais déjà le comprendre… 8
Cher petit, remets ce tison 8
Et la bouilloire sur la cendre. 8
45 Reviens à ton poste chéri ; 8
Baise encor mon front que tu presses 8
Pour ce soir me voilà guéri… 8
Et Dieu te rende tes caresses ! 8
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