UN CONSEIL DE FAMILLE |
PROVERBE |
PERSONNAGES
DON LOPEZ DE AZAGRA,
homme politique.
SAMUEL,
banquier, frère de dona Serafina.
PANTALEO.
DON RAMIRE DE LAS CALEBAZAS,
capitaine de hussards
DONA SERAFINA
femme de don Lopez.
YNEZ,
leur fille.
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ACTE PREMIER |
La scène se passe dans l'Amérique du Sud.
Le prince X. vient de renverser le prince Y. et de rétablir.
Tordre dans le pays de Z.
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SCÈNE PREMIÈRE |
DON LOPEZ, DONA SERAFINA, puis YNEZ. |
DON LOPEZ |
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Non, je n'adhère pas à ce nouveau pouvoir ! |
12 |
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Je reste indépendant… tout m'en fait un devoir : |
12 |
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Mon passé, mes serments sous les drapeaux contraires, |
12 |
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Le nom de mes aïeux et le sang de mes frères, |
12 |
5 |
Aux abus triomphants les coups que j'ai portés… |
12 |
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Je veux, je dois finir avec nos libertés. |
12 |
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J'abdique mes emplois, et je fuis cette ville. |
12 |
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Ce vainqueur entouré d'une foule servile. |
12 |
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Tout offusque mes yeux ; j'ai le monde en horreur ! |
12 |
10 |
Retournons à nos champs… je me fais laboureur. |
12 |
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DONA SERAFINA |
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Cher Lopez ! toujours fier et digne de lui-même ; |
12 |
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Tel que je l'ai choisi, tel enfin que je l'aime : |
12 |
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Un vrai sage, élevé dans le mépris de l'or, |
12 |
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Un gentilhomme, un fils du Cid Campeador. |
12 |
15 |
C'est bien là mon héros, mon époux et mon maître ! |
12 |
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Ma jeunesse, une dot, — quelque beauté, peut-être, — |
12 |
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Quand je te donnai tout, je te rêvais ainsi ! |
12 |
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Mon superbe idéal ne s'est pas obscurci. |
12 |
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Va ! je suis digne, ami, de ton nom que je porte. |
12 |
20 |
M'appuyant sur ton bras, je suis la femme forte. |
12 |
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Oui, je veux partager tes indignations… |
12 |
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Je comprends mal, c'est vrai, ces grandes questions ; |
12 |
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Tu n'as pas dans ta femme un secours politique ; |
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Tout mon savoir se borne au domaine pratique ; |
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25 |
Et les événements, d'ailleurs, nous ont surpris. |
12 |
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Si tu prenais conseil de quelques bons esprits ? |
12 |
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Mon frère ? Il est expert dans les grandes affaires, |
12 |
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Il est heureux en tout… Puis dans les autres sphères, |
12 |
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Monsieur Pantaleo ? C'est un homme très fort, |
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30 |
Qui met ses intérêts et ses vertus d'accord ; |
12 |
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Il sait persuader les gens les moins crédules : |
12 |
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Tu devrais avec lui causer de nos scrupules. |
12 |
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DON LOPEZ |
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Qui prend conseil d'autrui, quand l'honneur a parlé, |
12 |
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A, dans le fond du cœur, déjà capitulé. |
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35 |
Qu'ai-je besoin, vraiment, de ton lourd casuiste ? |
12 |
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DONA SERAFINA |
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C'est une idée en l'air ; ne crois pas que j'insiste. |
12 |
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Va, sur le point d'honneur et le haut sentiment, |
12 |
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Je te sais infaillible et marche aveuglément. |
12 |
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Partons ! j'aime, d'ailleurs, les champs, l'agriculture ; |
12 |
40 |
J'appris de toi, poète, à chérir la nature ; |
12 |
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Des foins et des lilas je sens déjà l'odeur, |
12 |
|
Et je fais mes adieux, sans peine, à la grandeur. |
12 |
|
Partons ! loin de la cour, loin de tout ce qui brille. |
12 |
|
Pour un sort plus modeste élevons notre fille. |
12 |
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YNEZ entrant |
45 |
Mon père, embrassez-moi, j'apporte du nouveau ! |
12 |
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DON LOPEZ |
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Serait-ce un changement ?… |
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YNEZ |
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Serait-ce un changement ?… C'est d'abord qu'il fait beau, |
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Qu'on peut aller au bois, et qui m'aime me suive ! |
12 |
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Mais c'est mieux que cela : l'excellent oncle arrive ; |
12 |
|
Mon oncle Sam, si gai, — n'étaient ses gros jurons ; |
12 |
50 |
Son nègre est à l'office. — Oh ! comme nous rirons ! |
12 |
|
Mais que vous êtes triste ! Est-ce votre migraine ? |
12 |
|
DONA SERAFINA, à don Lopez |
|
Chère enfant ! sa gaîté me charme et me fait peine ; |
12 |
|
Vois donc ! qu'elle est jolie ! |
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DON LOPEZ |
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Vois donc ! qu'elle est jolie ! Et quel cœur ! A la voir, |
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|
J'ai bien vite oublié les honneurs, le pouvoir. |
12 |
55 |
Comment peut-on s'éprendre à semblable guenille. |
12 |
|
Quand on peut vivre aux champs, aimé, libre, en famille ? |
12 |
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DONA SERAFINA |
|
Oui, plus d'ambition, l'honneur nous la défend ; |
12 |
|
Vivons obscurs, heureux ! Ah ! cette pauvre enfant, |
12 |
|
Qu'il nous faudra sevrer des plaisirs de son âge !… |
12 |
60 |
Mais elle est votre fille, elle aura du courage. |
12 |
|
Nos goûts seront les siens… Lorsque j'avais seize ans |
12 |
|
Je trouvais le désert, les bois très séduisants. |
12 |
|
Plus de bals, de concerts, nous vivrons en fermières, |
12 |
|
Loin de tout… |
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|
YNEZ |
|
Loin de tout… Vous parlez d'habiter les Bruyères ? |
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65 |
Quel bonheur ! Moi, j'aurai des moutons, des oiseaux, |
12 |
|
Un rouet comme Berthe et de jolis fuseaux, |
12 |
|
Je ferai des bouquets, du fromage à la crème ; |
12 |
|
J'irai seule à cheval… |
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|
DONA SERAFINA, à don Lopez |
|
J'irai seule à cheval… C'est l'innocence même, |
|
|
Un trésor ! |
|
A Ynez. |
|
Un trésor ! Mais ton oncle est là, dans un moment ; |
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70 |
Viens, jetons un coup d'œil sur son appartement. |
12 |
|
Je dois t'initier aux soucis du ménage ; |
12 |
|
Il en coûte plus tard, c'est plaisir à ton âge. |
12 |
|
Ton père est un héros du temps des vieux Romains ; |
12 |
|
Les femmes des consuls travaillaient de leurs mains. |
12 |
75 |
Elles ne connaissaient ni thé, ni porcelaine ; |
12 |
|
Sachons les égaler dans le tricot de laine. |
12 |
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SCÈNE II |
DON LOPEZ, seul |
|
Comme elle a doublement souci de mon honneur ! |
12 |
|
Femme des anciens jours ! et que j'ai de bonheur ! |
12 |
|
Que d'hommes, devenus des renégats infâmes, |
12 |
80 |
Que j'ai connus si purs ! Tous tombés par leurs femmes. |
12 |
|
Voyez ce pauvre duc, l'ami, le familier |
12 |
|
Du dernier prince, — un peu son mauvais conseiller, — |
12 |
|
Un grand nom, pas d'enfants, un million de rente… |
12 |
|
Noble et riche à ce point, aller se mettre en vente ! |
12 |
85 |
Madame s'ennuyait et voulait, à tout prix, |
12 |
|
Le train d'une ambassade avec Londre ou Paris, |
12 |
|
Pour s'y mettre à l'affût des nouveautés commodes |
12 |
|
Et veiller de plus près sur le journal des modes. |
12 |
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Et l'orateur Sanchez, libéral éprouvé. |
12 |
90 |
Un Brutus ! A quel sort il était réservé ! |
12 |
|
On parlait trop chez lui des bals de Son Altesse ; |
12 |
|
Il vient de nous trahir… Mais sa femme est comtesse ; |
12 |
|
Elle est des petits soirs, elle est des grands galas. |
12 |
|
Telle autre, en jupon court, voulait des falbalas ; |
12 |
95 |
Il faut alimenter ces flots de mousseline. |
12 |
|
La politique un jour conçut la crinoline ; |
12 |
|
Sachant bien qu'elle entrait, par là, dans nos maisons, |
12 |
|
Qu'elle y vendrait ce luxe au prix des trahisons. |
12 |
|
Elle a soufflé chez nous ces molles habitudes. |
12 |
100 |
L'ampleur de ce velours couvre des platitudes. |
12 |
|
Tel Caton, par madame à César converti, |
12 |
|
Pour changer un vieux meuble a changé de parti. |
12 |
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Combien sont immolés, par leur douce mégère, |
12 |
|
A ces magots chinois rangés sur l'étagère ! |
12 |
105 |
On a la tête vide ; on remplit ses salons |
12 |
|
Avec du bric-à-brac. Il nous faut des galons. |
12 |
|
On veut briller ; on fait d'un air de bonhomie |
12 |
|
Crever d'accès jaloux quelque meilleure amie. |
12 |
|
Nos moitiés font de nous de tristes citoyens ! |
12 |
110 |
Le diable connaît seul tous leurs petits moyens, |
12 |
|
La liberté leur doit de bien mauvais services ; |
12 |
|
Moi, je crains leur mérite, encor plus que leurs vices. |
12 |
|
La conspiration des petites vertus, |
12 |
|
C'est par là que toujours les maris sont battus ; |
12 |
115 |
Et l'on porte, à l'abri du devoir domestique, |
12 |
|
Les coups les plus mortels à l'honneur politique. |
12 |
|
Lorsqu'un ange du ciel, sur un tendre oreiller, |
12 |
|
Invite chaque soir Brutus à sommeiller, |
12 |
|
Quand d'un ménage heureux l'intérêt sans réplique |
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120 |
Vous fait chaque matin une ardente supplique ; |
12 |
|
Quand la dévote en pleurs prêche contre un orgueil |
12 |
|
Qui réjouit Satan et met la caisse en deuil, |
12 |
|
Pouvez-vous, dites-moi, rebuter cette sainte, |
12 |
|
Qui d'ailleurs se soumet sans pousser une plainte, |
12 |
125 |
Mais tire, à tout propos un sermon tout entier, |
12 |
|
Tantôt du pot-au-feu, tantôt du bénitier ? |
12 |
|
L'amour chez nos aïeux, et la foi, couple austère, |
12 |
|
Étaient plus détachés des trésors de la terre ; |
12 |
|
Et sans prendre conseil de l'intérêt étroit, |
12 |
130 |
Les femmes nous poussaient du côté du bon droit. |
12 |
|
Chez Lucrèce, aujourd'hui, l'amour le plus sincère |
12 |
|
Veille à nos capitaux, tout comme chez Glycère ; |
12 |
|
Le vice et la vertu, dans un touchant accord, |
12 |
|
Nous tirent doucement du côté du plus fort ; |
12 |
135 |
Et, dans ce beau pays de la chevalerie, |
12 |
|
Tout sordide félon a sa nymphe Égérie. |
12 |
|
Moi, plus heureux, j'obtins ce lot, rare entre tous : |
12 |
|
Une femme d'esprit, très simple dans ses goûts, |
12 |
|
Et de qui la fierté, dans un moment suprême. |
12 |
140 |
Me saurait, au besoin, garder contre moi-même. |
12 |
|
|
SCÈNE III |
DON LOPEZ, DONA SERAFINA, puis SAMUEL et YNEZ. |
DONA SERAFINA |
|
Je viens, sans votre avis, — facile à deviner, — |
12 |
|
De répondre à mon frère : il devait m'amener |
12 |
|
Un mari pour Ynez, le neveu d'un ministre, |
12 |
|
Un des plus compromis dans ce pouvoir sinistre. |
12 |
145 |
Ce jeune homme est fort bien, son curé le connaît. |
12 |
|
Mais j'ai vos instincts, moi ! j'ai refusé tout net. |
12 |
|
DON LOPEZ |
|
C'est aller un peu vite ; il s'agit de ma fille. |
12 |
|
Et le temps est passé des guerres de famille. |
12 |
|
On peut rester amis, voisins et bons parents, |
12 |
150 |
Et suivre avec honneur des drapeaux différents. |
12 |
|
DONA SERAFINA |
|
Je le pensais ainsi. Mais chez vous, homme antique, |
12 |
|
Il est permis d'outrer le devoir politique. |
12 |
|
Vous êtes un Romain… Puis votre noble cœur |
12 |
|
M'a soufflé son mépris pour le parti vainqueur. |
12 |
|
DON LOPEZ |
155 |
C'est plus sage, après tout : pas de ces alliances ! |
12 |
|
Un mariage mixte entame les croyances. |
12 |
|
Puis notre Ynez est jeune ; il n'est rien de pressé ; |
12 |
|
Son cœur dans ce projet n'est pas intéressé, |
12 |
|
Elle ignore… |
|
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DONA SERAFINA |
|
Elle ignore… Entre nous, je n'en suis pas bien sûre ; |
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160 |
Elle a vu ce jeune homme, il a belle tournure. |
12 |
|
Il est fort amoureux… |
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|
SAMUEL entrant brusquement |
|
Il est fort amoureux… Or çà, vous êtes fous ! |
|
|
Vous parlez, me dit-on, d'aller planter vos choux : |
12 |
|
Vous avez refusé l'hommage au nouveau prince. |
12 |
A don Lopez, |
|
On te voulait nommer gouverneur de province ; |
12 |
165 |
Je t'amenais un gendre, un gars de bon aloi, |
12 |
|
Qui sera général à trente ans sur ma foi ! |
12 |
|
Et ma sœur me répond, — tout ceci me renverse ! — |
12 |
|
Comme si j'apportais les présents d'Artaxerce. |
12 |
|
C'est le serment, le droit, l'honneur, la liberté ! |
12 |
170 |
Qui donc vous les conteste, en bonne vérité ? |
12 |
|
On a mis à la porte, en des temps difficiles. |
12 |
|
Un vieux prince entouré d'honnêtes imbéciles, |
12 |
|
Des gens qui nous citaient un vieux code moisi |
12 |
|
Et qui nous chicanaient pour des points sur les i ! |
12 |
175 |
Les intérêts souffraient sous ce bon patriarche ! |
12 |
|
On s'est mis au niveau de son temps, et l'on marche ; |
12 |
|
On renouvelle tout ; on jette ces haillons, |
12 |
|
Et, si c'est le déluge… il pleut des millions. |
12 |
|
Tout va vite ; on n'est plus à cheval sur les formes ; |
12 |
180 |
J'ai vu faire, en six mois, des fortunes énormes ! |
12 |
|
Aussi bien tout renaît, le luxe, les beaux-arts. |
12 |
|
Les plaisirs. Le génie éclôt de toutes parts. |
12 |
|
On parle de nos bals dans le vieil hémisphère ; |
12 |
|
Paris en est jaloux. |
|
|
DONA SERAFINA |
|
Paris en est jaloux. Vous savez bien, mon frère, |
|
185 |
Que de ces vanités nous avons peu souci. |
12 |
|
Don Lopez est un sage, un héros, Dieu merci ! |
12 |
|
Ni l'or, ni les plaisirs ne touchent sa grande âme, |
12 |
|
Il est tout à l'honneur ; et moi… je suis sa femme ! |
12 |
|
SAMUEL |
|
Toi, mon ange de sœur, je te l'ai dit souvent. |
12 |
190 |
Tes farouches vertus méritaient le couvent. |
12 |
|
Suis ton sublime époux dans sa retraite austère, |
12 |
|
Mais pour ta fille, au moins, veux-tu qu'elle s'enterre ? |
12 |
|
Gardez, si vous voulez, votre serment chéri ; |
12 |
|
Renoncez à la place… et prenez le mari ! |
12 |
195 |
Un garçon si rangé ! nourri dans vos principes |
12 |
|
Il hante les sermons, il a l'horreur des pipes. |
12 |
|
Le père, un fin matois et qui vise en haut lieu, |
12 |
|
A voulu sagement que son fils crût en Dieu. |
12 |
|
— Nous travaillons, ma chère, en pays catholique, |
12 |
200 |
Il eut Pantaleo pour maître en rhétorique, |
12 |
|
Et, tout hussard qu'il est, il lit les bons auteurs ; |
12 |
|
Il tournerait fort bien un speech aux électeurs. |
12 |
|
Je ne demande pas huit jours, sur ma parole, |
12 |
|
Si vous le recevez, pour qu'Ynez en raffole. |
12 |
|
DONA SERAFINA |
205 |
Je le crains, son cœur penche un peu de ce côté ; |
12 |
|
Il m'a semblé déjà… |
|
|
SAMUEL |
|
Il m'a semblé déjà… Je m'en étais douté ! |
|
|
DON LOPEZ |
|
Si ma fille l'aimait ! Ils se sont vus à peine. |
12 |
|
Je ne comprendrais pas… |
|
|
DONA SERAFINA |
|
Je ne comprendrais pas… Monsieur, j'en suis certaine ! |
|
|
Pensez-vous que je manque à mon premier devoir ? |
12 |
210 |
J'ai veillé sur ma fille, à moi de tout savoir. |
12 |
|
Moi qui formai son cœur, je sais ce qui s'y passe. |
12 |
Entre Ynez. |
|
SAMUEL |
|
Ah ! cette chère enfant ! viens donc que je t'embrasse ! |
12 |
|
Eh bien, l'on veut forcer tes inclinations ? |
12 |
|
Mais ton vieil oncle arrive et nous y veillerons. |
12 |
|
Et tu l'épouseras… |
|
|
YNEZ |
215 |
Et tu l'épouseras… Qui ? je n'aime personne. |
|
|
Vous plaisantez toujours, parrain, c'est monotone. |
12 |
|
DON LOPEZ à dona Serafina |
|
Je vous l'avais bien dit ! |
|
|
DONA SERAFINA à don Lopez- |
|
Je vous l'avais bien dit ! Et je vous réponds, moi, |
|
|
Qu'Ynez est bien ma fille et maîtresse de soi. |
12 |
|
Elle est ma digne élève et saura, je l'espère, |
12 |
220 |
Sacrifier ses goûts à l'honneur de son père. |
12 |
|
SAMUEL |
|
Un père ne peut pas immoler son enfant ! |
12 |
|
Et d'ailleurs l'oncle Sam est là qui te défend. |
12 |
|
Et voici du renfort : c'est Achille en personne. |
12 |
|
Un homme à tenir tête à toute la Sorbonne ; |
12 |
225 |
Ce cher Pantaleo, l'oracle de ma sœur, |
12 |
|
Le mien aussi morbleu ! — connu pour sa douceur. |
12 |
|
Il se hâte, il a pris son air le plus aimable ; |
12 |
|
C'est un signe, je crois, qu'on va se mettre à table. |
12 |
A don Lopez. |
|
Je sais que les bordeaux, mon cher, sont sans pareils : |
12 |
230 |
Dînons ! les bons dîners portent les bons conseils. |
12 |
|
|
|
ACTE DEUXIÈME |
SCÈNE PREMIÈRE |
DON LOPEZ, SAMUEL, PANTALEO, DONA SERAFINA. |
PANTALEO |
|
Puisqu'on m'a consulté, je répondrai, madame, |
12 |
|
Qu'on change de parti sans risque pour son âme. |
12 |
|
Vous pouvez au vaincu dire adieu sans regrets, |
12 |
|
Puis aller, sagement, où vont vos intérêts. |
12 |
235 |
Dans ces changements-là, plus je les examine. |
12 |
|
Rien n'offense le dogme et rien la discipline. |
12 |
|
Je dis mieux : tout condamne un parti renversé : |
12 |
|
Le pouvoir vient du ciel, le ciel s'est prononcé. |
12 |
|
Sous la loi du vainqueur rangez votre prudence. |
12 |
240 |
Vous marcherez d'accord avec la Providence. |
12 |
|
Ah ! si c'était Néron, Marat, Caligula, |
12 |
|
D'affreux républicains !… Et même en ce cas-là |
12 |
|
Il vaut mieux se soumettre, attendre, ou disparaître. |
12 |
|
Puis l'on peut espérer de convertir un maître. |
12 |
245 |
Aujourd'hui, grâce à Dieu, pas un sujet d'effroi : |
12 |
|
Nous sommes à l'abri, le prince a de la foi ; |
12 |
|
Il n'a pas supprimé la feuille aux bénéfices ; |
12 |
|
On a la liberté d'assister aux offices. |
12 |
|
Pas un clocher branlant qui ne soit restauré. |
12 |
250 |
L'alcade ne prend plus le pas sur le curé. |
12 |
|
Le vaincu, c'est l'usage, à crier s'égosille : |
12 |
|
J'entends parler de gens qu'on coffre et qu'on fusille. |
12 |
|
Tous ces grands citoyens, de quoi se mêlaient-ils ? |
12 |
|
Pourquoi dérangeait-on messieurs les alguazils ? |
12 |
255 |
Pour sauver, dites-vous, de vieux droits, une charte… |
12 |
|
Oui, comme les païens d'Angleterre ou de Sparte ! |
12 |
|
Mais qu'importe au chrétien la constitution. |
12 |
|
Tant qu'on l'a laissé libre en sa dévotion ? |
12 |
|
Sauf l'intérêt du ciel, qui passe avant tout autre, |
12 |
260 |
Pour règle, en pareil cas, ne prenons que le nôtre. |
12 |
|
On prouve en vous offrant de l'or, des dignités, |
12 |
|
Qu'on veut d'honnêtes gens, qu'on les aime… Acceptez. |
12 |
|
SAMUEL |
|
Que vous avais-je dit ? Foin de tous ces scrupules, |
12 |
|
Qu'un aussi grand docteur a jugés ridicules ! |
12 |
265 |
Seriez-vous de ces gens qui trouvent qu'on a tort |
12 |
|
Par la seule raison que l'on est le plus fort ? |
12 |
|
Allez-vous repousser le parti le plus sage |
12 |
|
Parce qu'on y rencontre aussi son avantage ? |
12 |
|
Ce serait du nouveau ! Messieurs les entêtés, |
12 |
270 |
Voyez en ma faveur combien d'autorités : |
12 |
|
Le devoir, l'intérêt, l'amour… Mais rien n'y manque. |
12 |
|
La chaire a sur ce cas parlé comme la banque. |
12 |
|
DON LOPEZ |
|
Ceux qui font comme vous, je ne les blâme point : |
12 |
|
J'admets vos arguments, mais je réserve un point |
12 |
275 |
— Sans vouloir me donner aux autres pour modèle |
12 |
|
J'ai mon passé ; l'honneur est d'y rester fidèle. |
12 |
|
Je me dois de finir ainsi que j'ai vécu ; |
12 |
|
J'étais plus qu'un soldat dans le parti vaincu. |
12 |
|
Trente ans j'ai péroré, le front haut, les mains nettes. |
12 |
280 |
Mon fier libéralisme a rempli les gazettes. |
12 |
|
On cite encor mes mots contre les courtisans |
12 |
|
Et les tribuns grossiers, bourrus… et complaisants. |
12 |
|
Je puis me taire, hélas ! je ne rends pas les armes. |
12 |
|
Ah ! pour la liberté laissez couler mes larmes. |
12 |
|
SAMUEL |
285 |
Liberté, liberté, des mots, toujours des mots ! |
12 |
|
Laissons ces joujoux-là, mon cher, à nos marmots. |
12 |
|
PANTALEO, |
|
Ne rions pas, monsieur, de ces choses majeures : |
12 |
|
Le mot est bon ; je veux m'en servir… à mes heures. |
12 |
|
Distinguons seulement, dans un état normal, |
12 |
290 |
La liberté du bien d'avec celle du mal. |
12 |
|
Oui, certe, un vrai dévot est fait pour être libre ! |
12 |
|
Mais gardons-nous, monsieur, d'un fâcheux équilibre. |
12 |
|
Dans ma justice, à moi, le bien seul est permis. |
12 |
|
Ah ! je comprends !… Le bien, c'est nous et nos amis. |
12 |
295 |
La proposition n'admet pas de réplique ; |
12 |
|
Mais je suis libéral, du moment qu'on s'explique ! |
12 |
|
PANTALEO |
|
La liberté, monsieur, c'est un prince très fort |
12 |
|
Et très sage, — avec nous sachant rester d'accord, |
12 |
|
Supprimant à son gré ce qui nous scandalise |
12 |
300 |
Et fait pour assurer le pouvoir de l'Église. |
12 |
|
C'est juste mon avis ! Les bons gouvernements |
12 |
|
Sont nés pour couper court aux longs raisonnements |
12 |
|
Et pour mettre à l'abri des chicanes vulgaires |
12 |
|
Tous les habiles gens qui font bien leurs affaires… |
12 |
305 |
Surtout, pour qu'on soit libre et que l'on vive heureux, |
12 |
|
Mettez-moi le bâillon à tous ces rêve-creux, |
12 |
|
A ce tas d'écrivains, pointilleux, formalistes. |
12 |
|
Et ne souffrez chez vous que de bons journalistes, |
12 |
|
PANTALEO |
|
Ah ! voilà le vrai mal ! La presse et les auteurs, |
12 |
310 |
Qui n'ont pas pris chez nous leurs bonnets de docteurs. |
12 |
|
Et qui s'en vont criant aussitôt qu'on les touche. |
12 |
|
La liberté consiste à leur fermer la bouche. |
12 |
|
Étouffons les erreurs sous un réseau de lois. |
12 |
|
Pour que la vérité fasse entendre sa voix. |
12 |
315 |
Parbleu ! laissez-la donc, cette pauvre ingénue, |
12 |
|
La vérité, sortir de son puits toute nue. |
12 |
|
Et courir sans trousseau, sans dot et sans tuteur. |
12 |
|
Livrée aux quolibets d'un monde corrupteur. |
12 |
|
Pour triompher réduite au pouvoir de ses charmes ! |
12 |
320 |
La vérité, vous dis-je, a besoin des gendarmes ! |
12 |
|
Pour combattre l'erreur, nous en mettrons partout. |
12 |
|
La vérité, monsieur, c'est ma caisse, après tout ; |
12 |
|
Et pour que je sois libre il faut qu'on la défende. |
12 |
|
Voilà la liberté !… celle que je demande : |
12 |
325 |
Je l'entends comme vous… la liberté du bien. |
12 |
|
PANTALEO |
|
Qu'on ne parle de rien et qu'on ne touche à rien. |
12 |
|
Sans avoir mission de l'Église et du prince ! |
12 |
|
SAMUEL, à part |
|
Il me reste ma caisse… et la part n'est pas mince. |
12 |
Haut. |
|
Quant aux droits d'agiter cent mille opinions |
12 |
330 |
Dont je n'ai nul souci !… ceux-là, nous les nions. |
12 |
|
PANTALEO |
|
Oui, pour la liberté dangereuse, insensée, |
12 |
|
Qui permet à chacun d'avoir une pensée, |
12 |
|
Qui veut qu'un même État supporte en même temps |
12 |
|
Kant, Aristote, Hegel, des Juifs, des Protestants |
12 |
335 |
Livre à tous les bavards, aux gribouilleurs, aux cuistres, |
12 |
|
Les actes des préfets, des curés, des ministres ; |
12 |
|
Qui veut voir de ses yeux et toucher de ses mains. |
12 |
|
Et qui ferait de nous des Grecs et des Romains ; |
12 |
|
Cette liberté-là vraiment… |
|
|
SAMUEL |
|
Cette liberté-là vraiment… Je la déteste. |
|
|
PANTALEO |
|
Je la tiens pour impie. |
|
|
SAMUEL |
340 |
Je la tiens pour impie. Et je la tiens funeste. |
|
|
PANTALEO |
|
Elle perdit Adam, même en plein paradis, |
12 |
|
SAMUEL |
|
Elle empêche nos fonds de monter à cent dix. |
12 |
|
PANTALEO |
|
C'est une occasion de péchés et de-hontes. |
12 |
|
SAMUEL |
|
C'est un hideux prétexte à réviser les comptes. |
12 |
|
PANTALEO |
345 |
C'est une entrave aux rois de bonne intention. |
12 |
|
SAMUEL |
|
C'est un retard gâtant mon opération. |
12 |
|
PANTALEO |
|
Avec la liberté chacun sort de sa sphère, |
12 |
|
Et… |
|
|
SAMUEL |
|
Et… Tout s'embrouille ; on met le nez dans mon affaire. |
|
|
PANTALEO |
|
Gros-Jean veut tenir tête à monsieur le curé ! |
12 |
|
SAMUEL |
350 |
On veut, sans être riche, être considéré ! |
12 |
|
PANTALEO |
|
Avec le saint-office on se met à son aise, |
12 |
|
C'est la tour de Babel 1 |
|
|
SAMUEL |
|
C'est la tour de Babel 1C'est du quatre-vingt-treize ! |
|
|
PANTALEO |
|
Liberté ! de rêver jusqu'à devenir fou ! |
12 |
|
SAMUEL |
|
Liberté !… de piller et de couper le cou ! |
12 |
|
PANTALEO |
355 |
Mais la société du moins est avertie ! |
12 |
|
A nous le corps de garde ! |
|
|
SAMUEL |
|
A nous le corps de garde ! A nous la sacristie ! |
|
|
PANTALEO |
|
Plus de libres penseurs ! |
|
|
SAMUEL |
|
Plus de libres penseurs ! D'éplucheurs de budgets ! |
|
|
PANTALEO ET SAMUEL, ensemble |
|
Au fond la guillotine est de tous leurs projets. |
12 |
|
DONA SERAFINA |
|
Ah ! par pitié, messieurs, vous me déchirez l'âme ! |
12 |
360 |
Je la hais comme vous, cette déesse infâme. |
12 |
|
Non, mon époux n'est pas de ces buveurs de sang : |
12 |
|
Je vous le garantis pour un être innocent. |
12 |
|
Il ne troublera pas l'ordre qui se relève. |
12 |
|
Mais il eut des amis qui faisaient un beau rêve ; |
12 |
365 |
Il ne peut les trahir vaincus, tombés, proscrits. |
12 |
|
Son cœur est si loyal ! ces gens-là l'ont surpris. |
12 |
|
Même en portant sur eux un jugement sévère, |
12 |
|
L'honneur, sous ce drapeau, voudra qu'il persévère. |
12 |
|
PANTALEO |
|
L'honneur, madame, encore un sentiment païen ! |
12 |
370 |
Autant vaudrait, tout court, s'appeler citoyen. |
12 |
|
L'honneur ! vous voulez dire un orgueil satanique |
12 |
|
Qui faisait les Brutus et les Caton d'Utique. |
12 |
|
Un bon chrétien n'a pas de ces entêtements ; |
12 |
|
Il voit le doigt de Dieu dans les événements ; |
12 |
375 |
Il n'est pas d'un parti, — c'est là votre folie, — |
12 |
|
S'il faut s'humilier, eh bien, il s'humilie ! |
12 |
|
Voilà l'orthodoxie. |
|
|
SAMUEL |
|
Voilà l'orthodoxie. Et voici la raison ! |
|
|
De quel siècle êtes-vous, ma sœur, dans ta maison ? |
12 |
|
L'honneur ! — à part celui que l'on garde en ménage, |
12 |
380 |
Mais c'est du bric-à-brac, mais c'est du moyen âge ! |
12 |
|
Or çà, vous avez donc sur les yeux des bandeaux ? |
12 |
|
Rêvez-vous de la dîme et des droits féodaux ? |
12 |
|
L'honneur ! autant vaudrait, dans le siècle où nous sommes, |
12 |
|
Réclamer franchement vos droits de gentilshommes. |
12 |
385 |
L'honneur ! il vous faut donc des tours dans le décor, |
12 |
|
Des pont-levis, des paons servis sur un plat d'or, |
12 |
|
Des pages, des varlets coiffés d'une salade ? |
12 |
|
Très bien, mon cher, très bien, partons pour la croisade |
12 |
|
PANTALEO |
|
L'honneur, c'est un démon. |
|
|
SAMUEL |
|
L'honneur, c'est un démon. C'est un aveuglement ! |
|
390 |
Quand on peut prendre pied dans le gouvernement, |
12 |
|
Donner de vrais dîners, protéger l'industrie… |
12 |
|
PANTALEO |
|
Et des auteurs païens délivrer sa patrie… |
12 |
|
SAMUEL |
|
Toucher, bon an, mal an, cinquante mille écus… |
12 |
|
On se met au pain sec par amour des vaincus ! |
12 |
|
PANTALEO |
395 |
J'en conclus que chez nous le paganisme rentre. |
12 |
|
Moi, j'appelle cela bouder contre son ventre. |
12 |
A don Lopez. |
|
Te faire campagnard ! Mais c'est ébouriffant ! |
12 |
|
Tu veux assassiner ta femme et ton enfant ! |
12 |
|
Les déporter, là-bas, dans vos manoirs, des bouges, |
12 |
400 |
Leur mettre des sabots, leur faire des mains rouges ! |
12 |
|
DONA SERAFINA |
|
Ah ! VOUS méconnaissez le meilleur des époux. |
12 |
|
Don Lopez ne travaille et ne vit que pour nous ! |
12 |
|
Jamais il n'oublira ses devoirs de famille, |
12 |
|
Et ne fera souffrir sa femme, ni sa fille. |
12 |
|
PANTALEO |
405 |
J'en suis sûr !… Je lui vois une larme dans l'œil. |
12 |
|
Mais tout peut arriver, madame, avec l'orgueil. |
12 |
|
Cet honneur, que l'on mêle à ce libéralisme, |
12 |
|
Peut nous mener fort loin… Au fond, c'est l'égoïsme. |
12 |
|
L'honneur est personnel, plus que les autres biens ; |
12 |
410 |
Qui songe tant à soi ne songe guère aux siens. |
12 |
|
Ah ! qu'une humble sagesse avec qui l'on prospère |
12 |
|
Convient mieux aux devoirs et d'époux et de père ! |
12 |
|
Et puis, allons au fait ! sans parler du bonheur. |
12 |
|
Pour faire son salut, à quoi sert-il, l'honneur ? |
12 |
|
SAMUEL, à don Lopez |
415 |
Résous la question ! Pour moi, j'en ajoute une : |
12 |
|
A quoi peut-il servir pour faire sa fortune ? |
12 |
|
PANTALEO |
|
Qu'importe au vrai dévot un lustre passager ? |
12 |
|
SAMUEL |
|
C'est juste. Et puis l'honneur donne-t-il à manger ? |
12 |
|
PANTALEO |
|
Songeons à l'Éternel. |
|
|
SAMUEL |
|
Songeons à l'Éternel. Et songeons au solide. |
|
|
PANTALEO |
|
Ne rêvons pas si creux. |
|
|
SAMUEL |
420 |
Ne rêvons pas si creux. Ne mâchons pas à vide. |
|
|
PANTALEO |
|
Réfléchissez, monsieur, pensez aux vrais devoirs. |
12 |
|
SAMUEL |
|
Fais tes calculs, mon cher, consulte tes tiroirs. |
12 |
A Pantaleo. |
|
Mais la discussion peut-être l'embarrasse ; |
12 |
|
Un directeur prudent laisse opérer la grâce. |
12 |
425 |
Sortons, mon cher, faisons au grand air quelques pas, |
12 |
|
Puis un tour de billard. |
|
Lui offrant un cigare. |
|
Puis un tour de billard. Vous fumez, n'est-ce pas ? |
|
|
PANTALEO, prenant le cigare |
|
Merci. |
|
A part. |
|
Merci. Que mon élève irait bien là pour gendre ! |
|
A Samuel. |
|
Mais je suis inquiet du parti qu'ils vont prendre. |
12 |
|
SAMUEL |
|
J'ai bon espoir… Je vois un rayon précurseur. |
12 |
|
PANTALEO |
|
Ah ! comptons sur le ciel ! |
|
|
SAMUEL, |
430 |
Ah ! comptons sur le ciel ! Beaucoup !… et sur ma sœur. |
|
|
|
SCÈNE II |
DON LOPEZ, DONA SERAFINA. |
DON LOPEZ |
|
Pantaleo raisonne en très grand casuiste ; |
12 |
|
Pourtant, j'ai quelque chose en moi qui lui résiste. |
12 |
|
L'Église à nul docteur, si renommé qu'il soit, |
12 |
|
De parler en son lieu n'a conféré le droit ; |
12 |
435 |
Et le premier pédant qui veut tenir chapitre |
12 |
|
De son bonnet crasseux ne fait pas une mitre. |
12 |
|
Ce monsieur, l'ex-Mentor de ton gendre futur |
12 |
|
Est-il un si grand saint ?… Je n'en suis pas bien sûr. |
12 |
|
Sous cette politique à nos fins détournée, |
12 |
440 |
Je flaire en ton dévot un courtier d'hyménée. |
12 |
|
Je connais des chrétiens, — qui ne sont pas d'hier, — |
12 |
|
D'un esprit très soumis, mais d'un honneur très fier, |
12 |
|
Professant qu'avant d'être un dévot qu'on renomme. |
12 |
|
Il faut, chemin faisant, rester un honnête homme, |
12 |
445 |
Et prouver qu'en dehors des articles de foi. |
12 |
|
D'un intérêt sordide on ne fait pas sa loi. |
12 |
|
Oui, j'ai vu de vrais saints qui faisaient bonne garde |
12 |
|
Dans le camp d'an parti, qui portaient sa cocarde, |
12 |
|
Soldats d'un droit humain et d'un serment prêté. |
12 |
450 |
Ayant pour ennemis ceux de la liberté. |
12 |
|
Je sais que ton docteur prêche, à qui veut 1 entendre. |
12 |
|
Une autre opinion : mais j'ai peine à m'y rendre : |
12 |
|
Mon premier sentiment… |
|
|
DONA SERAFINA |
|
Mon premier sentiment… C'était aussi le mien ; |
|
|
Je vous approuve en tout, vous le savez fort bien. |
12 |
455 |
Mais l'avis d'un tel homme, — excusez ma franchise, |
12 |
|
Me trouble et me confond, et je reste indécise. |
12 |
|
En fait de politique et de gouvernements. |
12 |
|
Un bon chrétien n'a pas tous ces raffinements ; |
12 |
|
C'est le point capital, celui que je vous livre. |
12 |
460 |
Du reste, mon ami, je suis prête à vous suivre, |
12 |
|
En exil, au désert, en prison s'il le faut. |
12 |
|
Sur le champ de bataille et jusqu'à l'échafaud. |
12 |
|
|
SCÈNE III |
DON LOPEZ, seul |
|
Un pareil sacrifice ! O femme Incomparable, |
12 |
|
L'accepter ! Non, jamais ! je serais trop coupable. |
12 |
465 |
Dans un obscur manoir enfouir ce trésor. |
12 |
|
Tant de vertus, d'esprit, tant de jeunesse encor ! |
12 |
|
Perdre du même coup, — disons-le sans mystère, — |
12 |
|
Un mari pour Ynez… peut-être un ministère ! |
12 |
|
Pourquoi ? pour un parti qui sera mort demain. |
12 |
470 |
C'est plus que n'aurait fait un citoyen romain. |
12 |
|
Mais mon passé, mon nom cité comme un précepte ! |
12 |
|
— Car on me sifflera, franchement, si j'accepte. — |
12 |
|
O ma fille ! ô ma femme ! ô mes fiers sentiments ! |
12 |
|
O la place qu'on m'offre ! ô tous mes vieux serments ! |
12 |
475 |
O tous mes quolibets sur les palinodies ! |
12 |
|
Avec moins de matière on fait des tragédies. |
12 |
|
Contre vous, ô Caton, j'oserais parier, |
12 |
|
Si vous aviez eu femme… et fille à marier ! |
12 |
|
Ciel ! de mes volontés, est-ce moi qui dispose ? |
12 |
480 |
Ou père, ou citoyen, décidons quelque chose : |
12 |
|
Choisissons, il le faut, les honneurs ou l'honneur ; |
12 |
|
Ou soyons paysan, ou soyons gouverneur. |
12 |
|
|
|
ACTE TROISIÈME |
SCÈNE PREMIÈRE |
DONA SERAFINA, seule |
|
Comprend-on les maris avec leur politique ? |
12 |
|
Voici le mien, bon homme, esprit droit, sens pratique, |
12 |
485 |
Ayant jusqu'à ce jour pas mal fait son chemin ; |
12 |
|
Tout lui sourit ; il tient son succès dans la main ; |
12 |
|
Il n'a qu'à dire un mot pour être un personnage, |
12 |
|
Pour tripler sa fortune et le train du ménage, |
12 |
|
Pour donner à sa femme une entrée à la cour, |
12 |
490 |
Et — que sait-on ? — pour être excellence à son tour. |
12 |
|
Eh bien ! nous projetons de fuir l'espèce humaine. |
12 |
|
D'aller vivre en fermiers dans un affreux domaine, |
12 |
|
D'avoir pour tout plaisir une chasse au renard, |
12 |
|
De marier ma fille à quelque campagnard, |
12 |
495 |
Pourquoi ? parce qu'on change un nom sur les affiches ! |
12 |
|
Qu'il faut dire bonsoir à quelques vieux fétiches, |
12 |
|
Et qu'un prince, — après tout, celui qui tient l'argent, |
12 |
|
S'appelle maître Jacque, au lieu de maître Jean ; |
12 |
|
Que deux ou trois anciens, tremblant qu'on les écarte. |
12 |
500 |
Pleurent sur un papier qu'ils nomment une charte ; |
12 |
|
Que l'on a déporté des tas de vauriens, |
12 |
|
— Des gens qui projetaient de partager les biens ; — |
12 |
|
Qu'on réduit les journaux à de simples réclames… |
12 |
|
Mais je reçois toujours mon Conseiller des Dames ! |
12 |
505 |
Plus cette feuille, utile à ma dévotion, |
12 |
|
Où j'apprends les douceurs de l'Inquisition. |
12 |
|
Rien n'est changé. — Si fait, il faut pour une jupe |
12 |
|
Quinze mètres de plus, et tout Paris s'occupe |
12 |
|
De ce nouveau miracle : un diable en bois doré |
12 |
510 |
Éternue à Saint-Roch aux sermons du curé. |
12 |
|
Ce fait a consterné le schisme et l'hérésie. |
12 |
|
Le Grand-Turc fait déjà ses paquets pour l'Asie. |
12 |
|
Tout refleurit, les arts, le luxe et cœtera ; |
12 |
|
On dit que Rossini compose un opéra. |
12 |
515 |
Et voilà le moment où monsieur s'imagine. |
12 |
|
De m'emmener bouder au fond d'une cassine, |
12 |
|
Avec des hobereaux, des gens de mauvais ton, |
12 |
|
Pour l'écouter gémir et parler de Caton ! |
12 |
|
Cela ne sera pas… ou gare à ma rancune ! |
12 |
520 |
Après tout, c'est de moi que lui vient la fortune ; |
12 |
|
Un mari de la dot nous doit l'équivalent. |
12 |
|
Quand on épouse un titre, un succès, un talent. |
12 |
|
C'est pour faire figure et mener grande vie ; |
12 |
|
C'est pour briller ; enfin, c'est pour qu'on vous envie. |
12 |
525 |
J'en vois, dont je riais, — j'expie, hélas ! mes torts… — |
12 |
|
Et qui vont m'éclipser, ayant pris des butors, |
12 |
|
Un épais magistrat, un procureur, un cuistre ! |
12 |
|
Les voilà maintenant des femmes de ministre ! |
12 |
|
La señora Mendez, par exemple ; elle avait |
12 |
530 |
La moitié de ma dot, — à peine, — elle en crevait ; |
12 |
|
Des gens de rien ! Son père a porté la marmotte, |
12 |
|
Elle a de grosses mains ; de plus, c'est une sotte… |
12 |
|
Elle a fait cet hiver l'ornement de la cour, |
12 |
|
Et le prince avec elle a dansé l'autre jour ! |
12 |
535 |
On cite son hôtel, ses chevaux, ses livrées ; |
12 |
|
Et les ambassadeurs fréquentent ses soirées. |
12 |
|
Et moi, j'irais trôner sur trente paysans ! |
12 |
|
J'aurais là des plaisirs nouveaux et séduisants ; |
12 |
|
Le boston du curé flanqué du vieux notaire, |
12 |
540 |
La promenade au bord de l'étang solitaire, |
12 |
|
Les beautés du ciel bleu, du bois noir, des prés verts, |
12 |
|
La nature… Et qui sait ? Monsieur fera des vers ! |
12 |
|
Grâce à Dieu, je suis femme ! un dévot me seconde. |
12 |
|
Tout peut se réparer… |
|
|
|
SCÈNE II |
DONA SERAFINA, YNEZ, DON LOPEZ |
DON LOPEZ |
|
Tout peut se réparer… Mais qu'a donc tout le monde |
|
545 |
L'oncle Sam discutait avec cet homme noir ; |
12 |
|
Je rencontre mon père ; il passait sans me voir ; |
12 |
|
Il se parlait tout seul de la Grèce et de Rome… |
12 |
|
DONA SERAFINA |
|
Oui vous avez pour père, ô ma fille ! un grand homme |
12 |
|
Vous lisiez au couvent un Plutarque abrégé, |
12 |
550 |
Et pour les jeunes miss avec soin corrigé… |
12 |
|
Votre père est taillé sur ces patrons antiques. |
12 |
A don Lopez. |
|
Eh bien, seigneur, où vont nos desseins politiques ? |
12 |
|
Restons-nous, partons-nous, qu'avez-vous résolu ? |
12 |
|
J'exècre pour ma part le pouvoir absolu ; |
12 |
555 |
Mais, réfléchissons bien ! quelque chose me crie : |
12 |
|
« Un homme de talent se doit à sa patrie. » |
12 |
|
Écoutez ce qu'hier m'a dit, très sensément, |
12 |
|
Un grand homme de plume et de gouvernement : |
12 |
|
« Vis-à-vis mon pays, je me croirais coupable, |
12 |
560 |
Si j'avais une foi par trop inébranlable, |
12 |
|
Un principe trop fixe, une conviction |
12 |
|
Qui m'interdît de prendre une position ; |
12 |
|
Et de servir, selon que le vent me l'indique, |
12 |
|
Ou bien la monarchie, ou bien la république. |
12 |
565 |
Lorsqu'un homme a reçu quelque talent du ciel, |
12 |
|
Une plume, une épée, une langue de miel. |
12 |
|
C'est un crime… et de plus une sottise extrême, |
12 |
|
D'en priver sa patrie et le monde… et soi-même. » |
12 |
|
DON LOPEZ |
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Je le sais. La vertu doit trouver son emploi. |
12 |
570 |
Mais Sparte a bien des fils qui valent plus que moi ! |
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DONA SERAFINA |
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Connais-toi mieux, Lopez !… Et d'ailleurs, dans sa ville, |
12 |
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Si modeste qu'on soit, il faut se rendre utile. |
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DONA SERAFINA |
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J'y songeais. Plus on voit, — m'avez-vous dit souvent |
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Le vaisseau de l'État ballotté par le vent, |
12 |
575 |
Et plus les citoyens, redoublant de courage, |
12 |
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Doivent, jeunes ou vieux, se porter à l'ouvrage. |
12 |
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DONA SERAFINA |
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C'est vrai. Plus les marins, diligents au travail, |
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Doivent revendiquer l'honneur du gouvernail. |
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DON LOPEZ |
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On le faisait du temps de la grandeur romaine. |
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DONA SERAFINA |
580 |
Qu'importent le drapeau, le nom du capitaine, |
12 |
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— Je vous cite toujours, — chacun, dans ce moment, |
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Sert l'État, non pas tel ou tel gouvernement ! |
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DON LOPEZ |
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Oui, quel que soit le chef, qu'on l'aime ou le déteste, |
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Il demeure, il s'en va ; mais la nation reste. |
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DONA SERAFINA |
585 |
Tenez, pour vous parler, en ce moment, je crois |
12 |
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Que la patrie en pleurs choisit ma faible voix : |
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« Quoi ! mon fils, vous dit-elle, en ces jours d'agonie, |
12 |
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Tu m'abandonnerais, toi, l'homme de génie. |
12 |
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Qui peux être à ton gré, publiciste, orateur, |
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590 |
financier, général, juge, administrateur ! |
12 |
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Que t'importe la main qui signe ton office ? |
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Accepte le fardeau… Fais-moi ce sacrifice : |
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Sois duc et sois ministre ! au moins sois gouverneur ! |
12 |
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DON LOPEZ |
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Pour sauver mon pays, rien ne me ferait peur ! |
12 |
595 |
Mais tous ces gens perdus de dettes et de crimes ; |
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J'irais m'associer… |
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DONA SERAFINA |
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J'irais m'associer… Pour des fins légitimes, |
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Dieu permet les moyens ; tout est pur pour les purs. |
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D'ailleurs, ces mauvais bruits… en sommes-nous bien sûrs ? |
12 |
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Vous le savez ! toujours la noire calomnie |
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600 |
Bave sur le pouvoir comme sur le génie. |
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Les mécontents, Lopez, ont un art odieux |
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De tout dénaturer… |
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DON LOPEZ |
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De tout dénaturer… Mais j'ai vu, de mes yeux ! |
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DONA SERAFINA |
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Oui, les yeux des partis ! il me reste à vous dire |
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Une chose, — on a dû certainement l'écrire : — |
12 |
605 |
Plus le gouvernement nous paraît aller mal. |
12 |
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Plus tel ou tel nous semble un méchant animal, |
12 |
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Plus tel autre se carre en ses fainéantises, |
12 |
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Plus on vexe les gens, plus on fait de sottises. |
12 |
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Plus le pouvoir, enfin, est aux doigts des manants, |
12 |
610 |
Plus vous devez tâcher d'être un des gouvernants. |
12 |
|
C'est là le seul moyen qu'un peu de bien se fasse. |
12 |
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Et vous mettez au moins un honnête homme en place. |
12 |
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Vous écartez ainsi les sots, les parvenus. |
12 |
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Puis le pouvoir, ces gens mal jugés, mal connus, |
12 |
615 |
N'attendent, pour rentrer dans une bonne voie, |
12 |
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Qu'un exemple, peut-être, et Dieu le leur envoie. |
12 |
|
Cet exemple, c'est vous ! dites-leur : me voilà ! |
12 |
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Dieu le veut ! |
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DON LOPEZ |
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Dieu le veut ! Que répondre à cet argument-là ? |
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De moi, de mes talents, que mon pays dispose. |
12 |
620 |
Mais, ma chère, — entre nous, — m'offre-t-on quelque chose |
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Un homme tel que moi vaut qu'on se presse un peu.» |
12 |
|
Quant à solliciter… jamais ! s'il plaît à Dieu. |
12 |
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Plutôt du sombre exil prendre avec moi les routes, |
12 |
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Plutôt mourir !… |
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SCÈNE III |
DON LOPEZ, DONA SERAFINA, YNEZ, SAMUEL, PANTALEO, DON RAMIRE. |
SAMUEL |
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Plutôt mourir !… Voici qui vient lever nos doutes : |
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625 |
Le roi t'a, de son chef, — va ! nul ne l'en pria, — |
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Fait duc et gouverneur de Barataria : |
12 |
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Cent mille écus de rente, une île fortunée |
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Où l'on a des pois verts pendant toute l'année : |
12 |
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Pas un seul opposant, pas l'ombre d'un journal. |
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630 |
De plus, voici monsieur, neveu du cardinal, |
12 |
|
Capitaine en premier dans les hussards-orange, |
12 |
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Qui conduit un carrosse et valse comme un ange… |
12 |
|
Il vient, par ordre exprès, très heureux de te voir, |
12 |
|
Pour te passer au cou l'ordre du Tigre noir : |
12 |
635 |
Sept rangs d'or et de jais, plus un rubis énorme. |
12 |
YNEZ, à part. |
|
Comme il est bien ganté ! quel charmant uniforme ! |
12 |
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DON RAMIRE |
|
Monsieur, le roi mon maître, instruit de vos talents. |
12 |
|
Dit, à votre sujet, les mots les plus galants. |
12 |
|
Le cardinal-ministre aussi vous apprécie. |
12 |
640 |
Ils m'ont chargé, monsieur, — je les en remercie, — |
12 |
|
Que dis-je ? ils m'ont donné l'heureuse mission |
12 |
|
De venir… enchanté de cette occasion ! |
12 |
Regardant Ynez, et à demi-voix. |
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Que de grâce et d'attrait !… je suis ravi dans l'âme ! |
12 |
A don Lopez. |
|
Vous me présenterez, je l'espère, à madame |
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645 |
La duchesse… Ah ! messieurs, crions : Vive le roi ! |
12 |
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DON LOPEZ |
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Dites au souverain qu'il peut compter sur moi. |
12 |
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Libre d'ambition, simple et d'humeur discrète, |
12 |
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J'admirais… mais j'avais des projets de retraite. |
12 |
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Le roi fait un appel à mon cœur, j'obéis ; |
12 |
650 |
Il faut aider son prince à sauver son pays. |
12 |
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SAMUEL |
|
Voilà le dévouement ! |
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PANTALEO, montrant Ynez et don Ramire |
|
Voilà le dévouement ! Voici la récompense ! |
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DON LOPEZ |
|
Il m'en coûte, messieurs, beaucoup plus qu'on ne pense. |
12 |
|
Mais l'état social lui-même est en péril, |
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|
Et nous le sauverons ; j'en jure ! |
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SAMUEL |
|
Et nous le sauverons ; j'en jure ! Ainsi soit-il ! |
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DON LOPEZ |
655 |
J'aime un pouvoir très fort ; j'en ai les habitudes… |
12 |
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J'ai là certain programme éclos de mes études : |
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|
J'ai consacré mes nuits à l'améliorer ; |
12 |
|
Accepté par le prince, il peut tout réparer. |
12 |
|
C'est un vaste système, une encyclopédie ; |
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660 |
Tout est réglementé jusqu'à la comédie : |
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|
Un impôt sur les chats et sur les perroquets. |
12 |
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Un plan qui des portiers réprime les caquets, |
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|
Une éducation sans livres et sans maîtres ; |
12 |
|
Même un canon portant à cent vingt kilomètres. |
12 |
665 |
Je rends plus général l'usage des savons, |
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Des milliers d'omnibus… |
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DONA SERAFINA |
|
Des milliers d'omnibus… Quel grand roi nous avons ! |
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PANTALEO |
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C'est un nouveau Cyrus prédit par les prophètes ! |
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DON RAMIRE |
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Comme il met sa cravate, et quel goût dans ses fêtes ! |
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DONA SERAFINA |
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Voir de près un tel homme, ah ! quelle émotion ! |
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PANTALEO |
670 |
C'est lui qui, dans sa gloire, a rétabli Sion. |
12 |
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SAMUEL |
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C'est lui qui fait hausser ou fait baisser la rente. |
12 |
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DON RAMIRE |
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Il crée un régiment de dragons amarante. |
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YNEZ |
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Que ce doit être beau ! |
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DON RAMIRE, à part |
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Que ce doit être beau ! L'instant est solennel ! |
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Il rajuste son uniforme et met un genou en terre. A Ynez : |
|
Voyez-en à vos pieds le futur colonel. |
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DON LOPEZ |
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J'ai donc tout un programme… |
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DONA SERAFINA, à part |
675 |
J'ai donc tout un programme… Il n'en veut pas démordre ! |
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DON LOPEZ |
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Par qui la liberté se combine avec l'ordre. |
12 |
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Sans secousse et sans bruit j'extirpe les abus… |
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Je crois que j'en étais aux nouveaux omnibus ; |
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Tout pour le peuple… |
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SAMUEL |
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Tout pour le peuple… Allons, à demain les programmes ! |
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680 |
Et songeons un peu plus aux plaisirs de ces dames. |
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Vraiment, si chez nous l'ordre a gagné son procès, |
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Elles ont large part dans un si beau succès ; |
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Et je compte le bal, les rubans, la musique |
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Parmi les fondements du pouvoir monarchique. |
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A Pantaleo. |
685 |
Vous aussi, vous avez, d'un esprit résolu, |
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Travaillé pour le ciel et le prince absolu. |
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Nous avons tous ici fait d'excellentes choses. |
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Montrant don Lopez. |
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Ce Brutus est guéri de ses projets moroses ; |
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Nous réconcilions, dans le parti du bien, |
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690 |
Avec un très grand prince un très grand citoyen. |
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Montrant Ynez et don Ramire. |
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Enfin, nous marions les bruns avec les blondes… |
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Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. |
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Mai 1862.
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