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LAP_11/LAP153
Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
LIVRE DEUXIÈME
XV
AUX HELLÈNES
QUI SONT VENUS COMBATTRE POUR LA FRANCE
Allez, fils des Grecs, délivrez la
patrie, les enfants, les femmes, les
temples des dieux, les tombeaux
des ancêtres. Voilà la lutte suprême.
(Eschyle, les Perses.)
Est-ce que nous ne sommes pas
tous venus mourir pour la France ?
(Paroles d'un volontaire grec.)
Allez, fils de la Grèce, et soyez en exemple 12
A ces peuples ingrats sauvés de notre sang ; 12
D'un regard lâche et froid l'Europe nous contemple, 12
Et vous venez pour nous mourir au premier rang. 12
5 Vous seuls vous souvenez des œuvres de la France, 12
Lorsque chacun l'oublie ou l'insulte en son deuil ; 12
Vous seuls vous prononcez le mot : reconnaissance ! 12
A le dire bien haut vous mettez votre orgueil. 12
Soyez bénis ! venez, ô généreuse race. 12
10 Vous de la liberté les plus anciens soldats ; 12
Vous seuls sous nos drapeaux méritez une place, 12
Enfants de Thémistocle et de Léonidas. 12
Passez calmes et fiers, et brillez dans nos villes 12
Comme un rayon de gloire à travers nos malheurs, 12
15 Et tombez avec nous, héros des Thermopyles, 12
Tels que vos grands aïeux et couronnés de fleurs. 12
Peuple orné par le ciel de ses dons les plus rares, 12
Peuple chez qui la Muse eut son premier autel, 12
Enseignez-nous, ô Grecs, à chasser les barbares ; 12
20 Montrez-nous comme on meurt pour renaître immortel, 12
Guerriers que mon enfance admirait avec larmes. 12
Salut, ô Nikitas, Canaris, Botzaris ! 12
Je reconnais vos fils et je baise vos armes… 12
Athènes les devait à sa fille Paris. 12
25 Venez de tous ces lieux d'où nous vint la lumière. 12
Où le jour s'est levé pour tout le genre humain ; 12
Et des Huns ténébreux sauvez, peuple d'Homère, 12
Le flambeau du progrès remis à notre main. 12
Dussiez-vous y périr, votre gloire est certaine ; 12
30 Chacun de vos exploits au loin sera conté. 12
Lorsqu'on dira vos noms dans Sparte et dans Athène, 12
La France répondra : « Morts pour la liberté ! » 12
Deux nations, deux sœurs par les hautes pensées, 12
Mères de la pitié, mères des douces lois, 12
35 Préparent à vos morts des couronnes tressées 12
Du laurier de l'Attique et du chêne gaulois. 12
Et vous, soyez témoins, vous leurs divins ancêtres ; 12
Du haut du Parthénon regardez jusqu'à nous, 12
Vous que l'esprit humain aura toujours pour maîtres, 12
40 Et saluez vos fils !… Ils sont dignes de vous. 12
Ils tiennent de vous seuls ces généreuses flammes, 12
Poètes souverains, guerriers, sculpteurs, penseurs ; 12
Vous avez fait leurs corps aussi beaux que leurs âmes 12
Et vous nous les donnez, maîtres, pour défenseurs. 12
45 O Grecs ! mon humble voix par les pleurs étouffée 12
Vous dit trop mal nos cœurs, nos vœux reconnaissant s 12
Alouette gauloise, aux cygnes de l'Alphée 12
J'adresse de trop bas mes saluts impuissants. 12
Mais là-haut, dans l'éther, loin du globe éphémère 12
50 Que souillent ces tyrans promis aux coups des dieux, 12
Dans les champs éternels peints par le grand Homère, 12
Je vois se rencontrer deux groupes radieux : 12
Ils sont là tous, Bayard, Turenne, Ulysse, Achille, 12
Platon et Phidias, et Lamartine aussi ! 12
55 Et, devant eux, Corneille a pris la main d'Eschyle, 12
Le salue et l'embrasse en lui disant : Merci ! 12
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