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Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
LIVRE DEUXIÈME
XIV
A GRETCHEN
Gretchen, pensive à sa fenêtre, 8
Effeuille poétiquement 8
Une fleur du Rhin allemand 8
Et rêve à son seigneur et maître. 8
5 Docteur ou prince palatin, 8
Fritz ou Faust, il est en campagne ; 8
Il a fait son petit butin 8
Dans la Bourgogne et la Champagne. 8
Gretchen, la belle aux cheveux d'or, 8
10 Vient d'écrire, et sa main savante. 8
Sa main que l'encre tache encor, 8
A cité Schiller, Gœthe, Dante ; 8
Prouvant qu'on ne saurait ailleurs 8
Que dans la vieille Germanie 8
15 Trouver l'amour vrai dans les cœurs, 8
Dans les cerveaux le vrai génie. 8
Maintenant, savez-vous pourquoi, 8
Sa douce lettre étant écrite. 8
Elle interroge avec émoi 8
20 L'oracle d'une marguerite ? 8
La fleur lui dit si son amant, 8
Dans les châteaux qu'il déménage, 8
Lui fait bonne part du pillage… 8
Un peu, beaucoup, énormément ! 8
25 Fritz n'a pas des instincts féroces, 8
Gretchen n'a pas les doigts fripons ; 8
Mais il faut encor des jupons 8
A son mince trousseau de noces. 8
Elle voudrait, pour les grands jours, 8
30 Quelques fins mouchoirs de batiste ; 8
Les dentelles sur le velours 8
Font très bien… Gretchen est artiste. 8
Une perle d'un certain prix 8
Manque à son tortil de baronne ; 8
35 On peut la trouver dans Paris… 8
Cette exécrable Babylone ! 8
Oui, blonde Gretchen, vous aurez 8
Plus que Fritz n'ose vous promettre, 8
Tous les trésors énumérés 8
40 Dans le pathos de votre lettre. 8
Vos princes, vos héros germains 8
Savent user de leurs victoires ; 8
Ils ont pris de leurs nobles mains 8
Notre linge dans nos armoires. 8
45 Calicot, batiste et linon, 8
Tout a passé chez leurs payses ; 8
Les payses n'ont pas dit non… 8
Gretchen, vous portez nos chemises ! 8
Pour une femme de la cour, 8
50 Franchement, vous n'êtes pas fière, 8
Gretchen ! Margot la vivandière 8
Entend mieux l'honneur et l'amour. 8
Si le sapeur, qui la courtise. 8
Lui disait, las de trop souffrir : 8
55 « Belle Margot, pour vous l'offrir 8
J'ai pris à Gretchen sa chemise. » 8
Tout irait mal, j'en ai grand'peur ; 8
Et Margot, couleur de l'aurore, 8
Gratifierait le beau sapeur 8
60 D'un soufflet rapide et sonore. 8
Nos femmes à nous, Dieu merci, 8
Ont le cœur plus haut que les vôtres 8
Et ne consentent pas ainsi 8
A porter les nippes des autres. 8
65 Jamais grisettes de Paris 8
N'ont écrit en Saxe, en Thuringe, 8
Pour prier amants ou maris 8
De vous dérober votre linge. 8
Car nous avons aussi — pardon 8
70 Au graff, au margraff, vos ancêtres — 8
Dormi chez vous sous l'édredon 8
Et parlé, quelquefois, en maîtres. 8
Nous avons doucement passé 8
Dans vos manoirs quelques années, 8
75 Et, dit-on, nous avons laissé 8
Vos jupes un peu chiffonnées. 8
Du moins nous ne les volions pas. 8
Et vous n'avez pas porté plainte. 8
Vous avez reçu sans contrainte 8
80 Les honneurs dus à vos appas. 8
Ceci, généreuse Allemande, 8
Soit dit sans vous donner du noir : 8
Ce n'est pas qu'on vous redemande 8
Fichu, camisole, peignoir ! 8
85 Gardez à jamais, nobles dames, 8
Nos rubans, nos chapeaux fanés ; 8
Si nous les rapportions, nos femmes 8
Nous les jetteraient par le nez. 8
Et, d'ailleurs, une paix loyale 8
90 Éteint tous nos ressentiments… 8
Continuez, bons Allemands, 8
A salir notre linge sale. 8
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